mardi 26 octobre 2010

La sorcière de Portobello, de Paulo Coelho


L’histoire
Des gens qui l’ont connue, croisée, racontent Athéna, cette femme, sainte, sorcière, mère, peut-être née un ou deux siècles trop tôt.

Ma lecture
Je n’avais tenté qu’une fois l’ésotérisme à la Paulo Coelho, à l’époque de L’alchimiste, expérience qui me semblait pouvoir aisément se passer de réplique. Pourtant, le temps passant, je me suis convaincue qu’un auteur mérite toujours une seconde chance. (Là je vous entends d’ici : ah vraiment ?, tout auteur ?, même Valérie Tong-Cuong qui a commis Ferdinand et les iconoclastes ? Rhâ, facile… Eh bien allez, oui, même elle, mais peut-être pas tout de suite alors, comme vous l’avez compris je viens de lire un Paulo Coelho, ainsi d’ailleurs qu’un authentique Immarcescible américain dont je vous parlerai sitôt que ma consternation aura cédé place à la résignation, bref je crois avoir déjà donné.) Donc, je viens d’offrir à Paulo Coelho sa deuxième chance (eh oui, c’est tout moi, aussi généreuse que le système professionnel français). Or ne dit-on pas jamais deux sans trois ? Nan, je plaisante évidemment, la surabondance est vulgaire et ne conviendrait pas à un blog si raffiné !
Venons-en plutôt à cette fameuse sorcière de Portobello. Enfin, à cette femme de Portobello, car « sorcière » n’est que l’une des quatre facettes proposées (et posées comme universelles, Coelho étant adepte des vérités collectives) de sa féminité : l’héroïne du bouquin, Athéna, nous est en effet présentée comme étant tout à la fois la Vierge, la Martyre, la Sainte, et donc la Sorcière. Elle est également, accessoirement, connectée à la Grande Mère et à Sainte Sophie. Sauf que le problème de cette femme si multicasquette, c’est qu’elle manque largement d’incarnation – un comble ! Sans compter qu’elle n’est ni sympathique, ni singulière, ni fantastique malgré ce que semble nous promettre le début du récit. Or où trouver l’intérêt d’un bouquin mystique si ce n’est dans le sensationnel, je vous le demande !
J’admets qu’il s’en trouve un peu dans la construction à narrateurs multiples : différents protagonistes font, à tour de rôle, le récit de leurs rencontres avec Athéna. Ce n’est pas vraiment original, mais puisque je suis dans une période où je m’intéresse aux personnes les plus à même de raconter une histoire (je vous en parlais ici, puis et ) ça tombait à pic ! Ou plutôt ce serait tombé à pic si le résultat avait été à la hauteur, mais pour cela il aurait fallu que Coelho s’y entende un minimum dans les spécialités de ses protagonistes et sache donner à chacun une voix propre. Car un prêtre caricatural s’exprimant comme un gitan caricatural s’exprimant comme un directeur d’établissement bancaire caricatural s’exprimant comme un historien caricatural, etc., ce n’est au bout du compte pas d’un grand intérêt.
Je reconnais tout de même que parmi les vérités que Coelho énonce, certaines donnent à réfléchir. J’admets aussi que ses personnages empruntent des voies inhabituelles qui éveillent la curiosité. Malheureusement les idées ne sont pas approfondies, et les personnages sont racontés plus qu’ils ne vivent (sensation accentuée par le parti pris de narrateurs multiples relatant la même histoire).
Et là j’avoue que Coelho n’a pas de chance, car ce qu’il raconte de son héroïne m’en a rappelé (en raté, s’entend) une autre, une superbe, celle d’un géant de la littérature dans l’un de ses chefs-d’œuvre : la Lalla du Désert de Le Clézio, rien de moins. Coelho nous parle d’une Athéna déracinée, habitée, nous en dit, par exemple page 117, par la bouche du journaliste Heron Ryan, que quand elle danse il est impossible de faire autrement que de la regarder, avec ces mots : « Ce que j’ai vu par la suite – plus exactement, ce que tout le monde dans le restaurant a vu – c’était une déesse qui se montrait dans toute sa gloire, une prêtresse qui évoquait anges et démons ». Or ces descriptions, comme Athéna elle-même, ne tiennent pas trois mots la comparaison avec Lalla, cette majestueuse déracinée dont Le Clézio m’avait amenée à voir la danse magnétique, à ressentir l’absolu et l’abandon qu’elle y mettait, à l’admirer, l’envier, l’adorer. Avec l’Athéna de Coelho nulle empathie, nulle compréhension, nulle fascination. On lit ce qu’on nous en dit, point.
Bon je reconnais que la comparaison est injuste – Le Clézio est parfaitement inatteignable. Mais cela vaut avec d’autres auteurs, nettement plus accessibles, en apparence tout au moins : tenez, figurez-vous que, dans certains passages de La sorcière de Portobello, on a l’impression de lire du sous Dan Brown. Si si, vous avez bien lu, comme quoi oui il est possible de faire pire que Dan Brown ! Car s’il est une chose que l’on ne peut reprocher à Dan Brown, c’est de manquer de contenu sur lequel appuyer ses « révélations », qu’il nous parle de religion, d’appareils d’État ou autre. Or Coelho parvient à mêler une écriture simpliste à des révélations simplettes. Et savez-vous le pire dans tout ça ? C’est que dans ces passages limités et candides j’ai retrouvé, parfois dans une idée, un style, parfois mot pour mot, des choses que j’ai moi-même pu écrire dans des tentatives de fiction ! En pire dans mon cas, cela va sans dire. Or s’il y a bien une chose qu’un aspirant écrivain ne peut en aucun cas pardonner à un auteur, c’est qu’il le mette face à sa propre médiocrité. Alors moi, Coelho, jamais plus jamais !!


Pour mon best-seller à venir j’en retiens que :

J’éviterai d’énoncer trop de (fausses) vérités.
Car c’est légèrement agaçant pour le lecteur. Non ?
Quelques extraits pour que vous puissiez en juger :
« Comme toutes les femmes, j’ai rêvé toute ma vie de rencontrer le prince charmant, me marier, remplir ma maison d’enfants et prendre soin de ma famille. »
« Évidemment, d’autres femmes disent : je ne ferai pas la vaisselle, les hommes n’ont qu’à la faire. Qu’ils la fassent s’ils le veulent, mais je ne vois pas là-dedans une égalité de conditions. (…) Quelle bêtise ! Comme si faire la vaisselle, ou porter un soutien-gorge, ou ouvrir et fermer les portes, c’était humiliant pour ma condition de femme ! »
« Bien que nous tentions toujours d’être des individus indépendants, une part de notre mémoire est commune. Tout le monde cherche l’idéal de la beauté, de la danse, de la divinité, de la musique. »
Convaincus ? Allez, un petit dernier, histoire d’enfoncer le clou :
« Nous avons tous une capacité inconnue. »
Ah ce véritable propre de l’homme, le fameux « talent caché », j’adore…

Je me relirai un minimum.
Car sinon je me retrouverai à faire dire à une gitane : « Je parle au présent parce que pour nous le temps n’existe pas, il n’y a que l’espace. », puis à la laisser raconter son histoire sur 14 pages entièrement à l’imparfait et au passé composé.
Et je pourrai même me retrouver à faire imprimer une phrase comme : « J’ai senti qu’au moment de l’orgasme le corps d’Andrea tournait autour de son nombril. » Hum. Ah oui ?...

> La sorcière de Portobello, Paulo Coelho, traduction française Françoise Marchand-Sauvenargues, J’ai Lu, 2008, 320 pages.

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