lundi 25 avril 2011

Happy birthday to Lire pour écrire !


Vous savez ce qu’il s’est passé jeudi ? Ce blog a fêté son premier anniversaire ! Comme ça, tranquillement, l’air de rien, sans même que je le réalise. Un an déjà. C’est passé drôlement vite.
Du coup je m’aperçois que Lire pour écrire est taureau. Je ne sais trop qu’en penser. C’est un signe favorable vous croyez ? Ça fait un peu plan-plan et terre-à-terre non ? Bon en horoscope chinois Lire pour écrire est tigre et ça, c’est carrément favorable, un vrai signe de feu, pas tant qu’un dragon sans doute mais un sacré signe de chance tout de même ! Et si on conjugue les horoscopes, un tigre taureau c’est pas mal du tout : la rusticité du taureau compense l’électricité du tigre, ce qui en fait un spécimen au final assez équilibré, quoique légèrement trop sensible. Voire susceptible. Vous serez avertis comme ça.

Mais sinon alors, que s’est-il passé pendant cette année ?
Eh bien, figurez-vous que vous avez légèrement changé de profil.
Un mois après l’ouverture du blog, je vous avais informés que vous étiez 31 (dont un tiers de ma connaissance), que vous aviez visité ce blog 180 fois et y passiez en moyenne 5,8 minutes. Et vous étiez français.
 

Mais ça c’était il y a 11 mois. Car désormais :
  • vous êtes 490 à être venus sur Lire pour écrire ;
  • vous y êtes venus 1509 fois et vous avez vu 2044 pages ;
  • vous passez en moyenne 2 minutes 54 secondes sur le blog à chaque visite, et vous avez laissé 25 commentaires (ok, non, 10 sont de moi, mais vous m’avez quand même laissé 15 commentaires, soit un peu plus d’un par mois, ah ça je vous inspire ! Mouais.) ;
  • vous venez de 35 pays ! Essentiellement de France bien sûr, mais aussi du Canada, de Belgique, d’Algérie, du Maroc, de Suisse, des USA, d’Espagne, de Tunisie, du Brésil, d’Allemagne, du Sénégal, du Burkina Faso, de Russie, du Royaume-Uni, de Côte d’Ivoire, de Mauritanie, d’Italie… Bon je ne vous liste pas les 16 pays restants, qui ont généré une visite chacun, mais j’ai quand même envie de saluer l’internaute néo-zélandais qui a passé 7’03’’ à me lire et l’internaute béninois qui y a passé 5’44’’ ! ;
  • vous avez tendance à venir beaucoup plus quand le blog est régulièrement mis à jour. Ça me met une sacrée pression dites. En même temps c’est bien agréable de savoir que quand je mets en ligne un post, il se peut qu’il soit lu. Car si la démarche « lire pour écrire » fait sens, ce n’est pas sans son corollaire « écrire pour être lu » !
Et quand vous venez au fait, que recherchez-vous ?
Eh bien vous venez à 29% (en quantité de visites, pas en quantité de visiteurs) par lien direct, c’est-à-dire en saisissant directement l’adresse du blog dans votre navigateur, 29% donc à connaître ce blog et à lui être fidèles, c’est gentil ça !, et j’imagine que ce que vous y recherchez c’est avant tout de la nouveauté (j’essaierai de faire mieux, promis !).
Le reste d’entre vous vient par mots-clés dans les moteurs de recherche. En tout, vous avez pour l’instant saisi 332 mots-clés distincts, celui revenant le plus étant « lire pour écrire », ce qui est logique et du coup presque inattendu. Vous êtes d’ailleurs extrêmement flatteurs et encourageants, car vous êtes plus d’un à être venus après avoir saisi la recherche « lire pour écrire le film ». Alors désolée, je n’ai pas encore dit oui aux nombreux studios qui m’ont contactée pour faire de la merveilleuse histoire de ce blog un film, je crains qu’il ne vous faille attendre encore un peu…
Outre ces recherches directes, vous êtes nombreux à être venus en effectuant des recherches sur des auteurs, en premier lieu Amadou Hampâté Bâ, mais aussi sur Bourgeon et les Passagers du vent (plusieurs d’entre vous intéressés plus particulièrement par la scène du viol, bravo !), sur Godard et Guillaume Musso (l’un d’entre vous voulait des explications sur le pourquoi du titre « Parce que je t’aime » – certains d’entre vous sont vraiment mignons…), sur de jeunes auteurs aussi, Antonia Kerr et Benoît Charuau, et puis sur Christine Bravo (vraiment beaucoup de recherches sur Christine Bravo, qu’au final je n’ai même pas lue, désolée pour vous, il faudra que j’y remédie un de ces jours…) et Nancy Huston, sur Emmanuel Carrère et sur Dan Simmons (pourquoi mais pourquoi là encore toutes ces recherches sur les scènes de viol de L’échiquier du mal ? Rhô !…), et sur tous les autres mentionnés, Paulo Coelho, Philip Roth, JMG Le Clézio, Saphia Azzeddine, Marisha Pessl, mais aussi Hubert Reeves, Ken le survivant ou Six feet under, etc.
Parfois vos recherches sont des questions. Vous vous demandez si un auteur a le droit de tout écrire (j’espère que je n’ai pas à y voir de message codé ! Quoi ? Je vous ai prévenus qu’un tigre taureau ça peut être susceptible !), vous vous demandez ce qu’est une vengeance artistique (la mienne était aveugle mais artistique quand même, pas vrai ?), vous vous demandez comment écrire à un acteur en général, et à Michael Douglas en particulier (j’aurais tendance à vous répondre « en anglais », mais à vous de voir…), vous vous demandez comment écrire en un mois (ça c’est fastoche, c’est en faisant un NaNoWriMo !), ou bien comment écrire une petite nouvelle (ne soyez pas si timorés, lancez-vous directement dans le best-seller, c’est ce qu’on fait tous ici). Vous êtes plusieurs à vous demander comment écrire à une petite fille et comment décrire une libido (hem, j’espère pour vous que vous n’êtes pas les mêmes que ceux qui se posaient certaines questions sur L’échiquier du mal ou Les passagers du vent, car sinon je vous préviens je vous dénonce !!). Mais vous vous demandez aussi comment écrire un premier roman à 60 ans (là je vous renvoie forcément à Sam Savage…), comment écrire sur le bois ou sur l’enfance, ce qu’il convient d’écrire sur la première page d’un livre d’or pour les gîtes (alors ça, excellente question !) ou à un discours de fiançailles (je vous conseille de davantage regarder les séries tv et téléfilms de M6, vous aurez de quoi faire !), et vous vous demandez pourquoi on ressasse (et vous êtes arrivés ici, ce qui signifierait que Google juge ce blog représentatif du ressassement ? Hum. Mais que faire d’autre que ressasser, franchement ?). Vous vous demandez aussi comment remédier aux blocages quand on est une intelligence supérieure, et là je me sens hautement solidaire, et vous vous demandez ce qu’il faut lire pour être romancier (rien peut-être, si vous êtes un natural born writer). Enfin souvent vous souhaitez des conseils pour écrire un roman et vous vous demandez comment écrire un best-seller, et là j’espère que je vous comble quand même un tout petit peu !…

Le top 10 des articles que vous avez le plus visités :
1/ Amkoulell, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ
2/ La petite fille bois-caïman, suite et fin des Passagers du vent, de François Bourgeon
3/ Godard, œuvre et droit de citation
4/ Michael Douglas, Christine Bravo, l’acteur, l’écrivain et le forgeron
5/ Une vraie romancière !
6/ Un roman russe, d’Emmanuel Carrère
7/ L’échiquier du mal, de Dan Simmons
8/ Ken le survivant, histoire d’un doublage français
9/ NaNoWriMo : écrire un roman en un mois (et devenir exceptionnel)
10/ Ton aile, de Benoît Charuau

Le top 5 des articles sur lesquels vous avez passé le plus de temps :
1/ Mange, prie, aime, d’Elizabeth Gilbert - Best-seller Immarcescible #1
2/ Hell bent for leather - Confessions of a heavy metal addict, de Seb Hunter
3/ L’écrivain au café
4/ Nancy Huston et le côté artistique de la vengeance aveugle
5/ Vous ne serez jamais Beckett ou Duras (en partie par ma faute)


lundi 18 avril 2011

Natural born writer


Un samedi soir de plus passé devant Ruquier. Je sais, ce n’est pas sérieux. Et en plus ça ne se dit pas. Mais c’est plus fort que moi, et avouez que ce serait moins drôle si je ne vous en faisais pas profiter. Car il y a de bonnes sorties, quand même, parfois. À un moment, Zemmour a dit à Edwy Plénel qu’il était sa boussole sud, car il était diamétralement opposé à chacune de ses pensées. Pas mal comme expression, non ? Et puis c’est vrai qu’il a son côté solaire, Edwy Plénel, boussole sud ça lui va bien… En tout cas la formule a dû plaire à plus d’un sur le plateau, ou bien boussole est le mot à la mode, je ne sais pas, car ensuite tout le monde n’avait que ça à la bouche : on apprit que Barbara avait été l’une des boussoles musicales de la jeune chanteuse L, Naulleau y alla aussi de sa boussole à je ne sais plus quel propos, peu importe car ça ne valait pas la boussole sud.
Mais les invités n’ont pas seulement parlé de boussoles, ils ont aussi parlé de poésie : la poésie des textes des chansons de L. Sur le plateau, L a déclaré ne pas avoir énormément lu, un peu ado, plus trop après. Est-ce vrai, est-ce faux ? Elle semblait modeste. Zemmour a considéré que c’était vrai, et lui a dit que ses textes étaient très réussis, qu’on ne sentait pas qu’elle avait peu lu. Ah ben oui, ça peut être glacial quand on suit l’étoile polaire. Sa boussole sud a rétorqué qu’il n’était pas nécessaire d’avoir beaucoup lu pour savoir écrire. Zemmour (serait-il fervent défenseur de ce blog ?…) a trouvé cela d’une démagogie insupportable, convaincu qu’il est que l’on ne devient pas écrivain par hasard, qu’avoir beaucoup lu est une condition sine qua non.
Faut-il avoir lu pour avoir les mots ? Faut-il s’imprégner du style des autres pour trouver le sien ? Avoir écouté quantité de chansons à textes, ou de rhétoriciens brillants, ou avoir beaucoup observé dispense-t-il de lecture ? Est-ce ridicule de vouloir lire pour écrire ? C’est que les polarités opposées font s’affoler les aiguilles et moi j’en perdrais le nord !
Pourtant, admettons que la vie soit complètement injuste et que les natural born writers existent. Peut-on, en toute objectivité, y classer tous les auteurs de best-sellers par exemple, mettons, Guillaume Musso ou Marc Levy ? (ok, facile, je sais…) Et si notre talent naturel est plus proche de ceux-là que des précédents, la lecture ne peut-elle pas au moins aider à, disons, légèrement polir l’aspect brut de nos possibilités ?…

vendredi 15 avril 2011

Confessions d’une accro du shopping, de Sophie Kinsella


L’histoire 
Est-ce vraiment la faute de Becky si son compte bancaire affiche cet énorme découvert ? Certes, elle est journaliste financière, mais après tout c’est sa banque, et pas elle, qui a pris l’initiative de fêter son diplôme universitaire en lui ouvrant droit à un découvert de 2000 livres sans frais pour deux ans ! Et puis n’est-il pas logique de considérer que, lorsqu’on achète avant tout des produits soldés, on ne dépense pas, on économise ?…

Ma lecture 

Ça m’a fait drôlement plaisir d’enfin inaugurer ma rubrique « Best-sellers Immarcescibles », grâce au Mange, prie, aime d’Elizabeth Gilbert. À tel point que je me suis trouvé le courage de me lancer sans attendre dans la lecture d’un autre bouquin dont j’étais convaincue qu’il ne pouvait qu’appartenir à cette même catégorie : le célèbre Confessions d’une accro du shopping de Sophie Kinsella.
Des mois et des mois que je voyais cet espèce de bouquin rose bonbon à l’illustration ridicule et au titre dissuasif planté en tête de gondole des Fnac, et que je ne pouvais m’empêcher de le toiser à chaque passage en pestant qu’il fallait arrêter de prendre les lectrices pour ce qu’elles ne sont pas forcément tout le temps. Les mois passant, j’ai dû admettre qu’il devenait un véritable best-seller, traduit dans une quinzaine de langues et classé dans les meilleures ventes en Angleterre, aux USA et en Europe (d’après mes sources, qui il est vrai dissocient Angleterre et Europe), alors malgré toutes mes réticences, et n’écoutant que les besoins de ma nouvelle rubrique, j’ai pris sur moi et osé me lancer dans ma première expérience consciente de chick-lit. Je dis consciente, car j’avais comme tout le monde lu Le journal de Bridget Jones à l’époque, mais ça ne compte pas car à cette époque justement on ne parlait pas encore de chick-lit, et psychologiquement ça change pas mal de choses. Si, quand même.
Mais donc j’ai pris sur moi et finalement ouvert les Confessions d’une accro du shopping.
Vous devinez la chute. Non, cette lecture ne m’a pas donné matière à faire un post sur un second Immarcescible. Ce n’en est pas un. C’est même un bouquin plutôt drôle figurez-vous, pas si mal ficelé, pas si mal écrit. Bon ce n’est pas non plus une grande lecture, on n’en ressort pas transformé, les personnages ne sont pas exactement mémorables et tout n’est pas réussi, notamment la dernière partie, bâclée. Mais je comprends le succès d’un tel petit bouquin, qui n’affiche aucune prétention, divertit, est de lecture aisée et dont les personnages ne peuvent être placés qu’en difficulté temporaire, le happy end étant inéluctable. Une littérature distrayante et confortable.


Pour mon best-seller en chick-lit, j’en retiens que :
 

J’adopterai le pseudo. 
L’auteur, Madeleine Wickham, a signé ce bouquin du pseudo Sophie Kinsella. Excellent choix. Le prénom d’un auteur de chick-lit, vous en conviendrez, se doit de finir par une sonorité en « i » ou en « a » (pas du tout glamour, « Madeleine », comme elle a eu raison de changer !), et le nom ne peut que faire au minimum légèrement exotique.

J’adopterai la couv rose bonbon avec illustration de magazine féminin. 

Car parfois, le too much est la seule attitude convenable.

Je resterai légère. 

Tout ce gaspillage, toutes ces dépenses, tous ces mauvais choix qui précipitent inexorablement Becky, l’accro du shopping, vers la chute ont leur petit côté oppressant. Ne vaut-il pas mieux maintenir une insouciance permanente dans ce genre de littérature ? Choix qui présente l’avantage de dispenser du sinon inévitable rebondissement invraisemblable et outrancier qui sauvera l’héroïne d’un bien mauvais pas.

Je ne revendrai pas les droits d’adaptation ciné à Disney.

 Car la frontière entre chick-lit rigolote et film caricatural et gnangnan est aussi fine qu’allègrement franchie par les studios. L’adaptation se rue dans absolument chacun des pièges évités par le bouquin. Consternant.

> Confessions d’une accro du shophing, Sophie Kinsella, Éditions Pocket, 2006, 366 pages.


dimanche 10 avril 2011

Zadie Smith et l’écriture, en dix points


J’avais quelques minutes à perdre hier midi. J’étais en avance pour un rendez-vous, n’avais pas le temps de m’installer à un café ni d’entreprendre quoi que ce soit de légèrement intéressant. Il fallait pourtant que j’occupe ces quelques minutes. À côté, il n’y avait que boutiques d’un chic dissuasif, et une maison de la presse. Celle-ci était aussi guindée et ordonnée que les boutiques de luxe, et l’homme à la caisse ne m’aurait pas davantage épiée si ses articles avaient valu 1000 euros pièce (ce qui n’était pas loin d’être le cas de ses agendas et cahiers à spirales). J’ai malgré tout réussi à y passer trois minutes complètes avant d’en ressortir, me sentant trop inopportune.
Pendant ces trois minutes, j’ai feuilleté le dernier numéro de Books. La couverture annonçait un témoignage de Zadie Smith sur l’écriture, et vu que j’ai lu tout Zadie Smith (bon, ok, elle n’a encore publié que trois romans, n’empêche que je les ai tous lus !) et vu que rien ne vaut un témoignage d’écrivain sur l’écriture, j’étais prête à envisager d’investir les 6,50 euros que coûte un numéro de Books pour lire l’article « Comment j’écris » signé Zadie Smith.
Sauf que j’avais suffisamment de temps à perdre pour prendre celui d’ouvrir Books, de le feuilleter jusqu’à la page dudit article et d’en lire les premières lignes. Et là j’ai réalisé que l’article m’était familier. Car il s’agissait de la retranscription d’une conférence donnée par Zadie Smith en 2008 lors d’un programme d’écriture organisé par l’Université de Columbia, qui avait déjà été publiée par The Prospect en 2009, et que j’avais alors lue.
Conférence intéressante, où Zadie Smith évoque son travail d’écrivain en dix aspects.
La retranscription en VO de The Prospect est toujours disponible sur leur site Internet, gratuitement, ici.
Mais ne vous inquiétez pas, je ne vais pas vous laisser comme ça. C’est que je vous connais, je sais que maintenant que j’ai commencé à vous en parler vous voulez l’info tout de suite, et non pas plus tard en anglais sur le site de The Prospect, ou plus tard encore en français lorsque vous serez passés au kiosque acheter Books !
Alors hop, rien que pour vous, petit résumé de ce que j’ai retenu des dix réflexions de Zadie Smith sur l’écriture…



1- L’économie appliquée aux écrivains
Zadie Smith distingue deux sortes d’écrivains : les macro-planificateurs et les micro-managers.
Le macro-planificateur est structuré. Il prend des notes, colle des post-its, planifie son intrigue avant même de commencer à écrire. Cela lui confère une grande liberté de mouvement : il peut en effet écrire indifféremment un chapitre ou un autre, sans nécessairement respecter l’ordre chronologique, et il peut modifier des éléments, se séparer d’un personnage ou changer la fin, sans risque pour la structure générale de son histoire.
Le micro-manager, catégorie dans laquelle s’inclut Zadie Smith, commence son roman par la première phrase et rédige linéairement jusqu’à la dernière. Sans forcément, lorsqu’il commence, savoir où il va. Ses 20 premières pages sont donc cruciales, car elles donnent le ton de l’ensemble du bouquin – ce qui implique que chaque mot employé peut radicalement en modifier la tonalité générale. Il n’est pas rare qu’un micro-manager passe des mois voire des années sur ces 20 premières pages, ce qui ne l’empêchera pas d’ensuite boucler le reste du roman en l’histoire de quelques semaines.

2- Nos convictions en écriture… et leurs fluctuations !
« Souvent, écrivain varie », suggère Zadie Smith. Et c’est un véritable drame. Imaginez que vous passiez trois ans à bûcher sur un roman, convaincus, par exemple, qu’une histoire se doit de dévoiler le moindre secret personnel, politique ou historique. Maintenant imaginez que, deux ans plus tard, vous soyez a contrario convaincus que, sitôt qu’il n’y a plus de place pour les secrets, nous vivons dans un espace totalitaire. Imaginez comme votre roman initial vous paraîtra alors étranger, pour ne pas dire insupportable !
La bonne nouvelle ? Zadie Smith estime qu’il faut en passer par le rejet d’un roman pour aborder le suivant. Selon elle c’est précisément ce rejet de nos précédentes convictions, et des écrits qu’elles nous ont soufflés, qui nous donne l’allant pour écrire de nouveau, différemment.

3- Lire ou ne pas lire les autres écrivains
Pour écrire, certains ont besoin de s’isoler de tout ce qui peut ressembler à de la littérature. Qu’on leur rappelle que l’écriture existe en dehors d’eux, et c’est le blocage complet. Il faut reconnaître que lire par exemple du Le Clézio a son petit côté inhibant.
Engagés dans un processus d’écriture, d’autres prennent le parti de ne pas lire au prétexte que toute lecture risquerait de pervertir leur écriture, d’altérer leur style.
Zadie Smith n’est pas de ceux-là. Quand elle écrit, elle s’entoure de piles de bouquins, relisant l’auteur le plus à même de répondre à ses besoins du moment, de l’aider à équilibrer sa prose. Quant à la perversion du style… elle se situe plutôt du côté d’un John Keats, dévoreur de bouquins, écrivain à la démarche de perpétuel apprenant.
Lire pour écrire, John Keats et Zadie Smith, même combat !

4- Le moment magique
Lorsque l’écriture du roman est bien avancée, peut survenir ce moment magique où, subitement, plus rien n’existe en dehors. Ce moment où l’on peut commencer à écrire à 9h du matin et brusquement réaliser qu’il fait nuit et qu’on écrit toujours, et qu’en une journée on a davantage écrit qu’on ne l’avait fait en trois mois un an plus tôt. Ce moment où tout nous renvoie à notre bouquin, aussi bien une conversation volée dans un bus qu’un article de journal. Ce moment où le monde semble tellement en accord avec notre œuvre qu’on panique : il nous semble impératif de pouvoir être publié là, maintenant, tout de suite !
Zadie Smith en convient, cette étape peut rendre l’écrivain un peu fou. Mais elle lui rend également toute possibilité littéraire accessible.

5- Démanteler l’échafaudage
Bon là, je suis désolée mais on arrive au passage de la conférence de Zadie Smith que mon anglais m’a le moins permis de comprendre. Une histoire d’échafaudages vous voyez, des échafaudages érigés patiemment par l’écrivain pour construire son roman bout à bout, quand l’édifice est encore trop bancal pour se maintenir droit tout seul.
Pour Zadie Smith, ce procédé est une béquille utile… à condition de penser à démonter l’échafaudage une fois l’histoire bouclée. Car les lecteurs n’ont sûrement pas besoin de voir comment on a bâti notre récit.

6- Le test des 20 premières pages
Arrive le moment où, alors qu’elle en est au dernier quart de son bouquin, Zadie Smith relit ses fameuses 20 premières pages. L’amusant, dit-elle, est le peu de confiance qu’un écrivain accorde à ses lecteurs dans ces premières pages. Pour autant que le sache l’auteur, ses lecteurs peuvent parfaitement avoir lu sans problème Thomas Bernhard, ou Georges Pérec, alors pourquoi éprouve-t-il la sensation que, s’il n’explique pas l’intégralité de l’histoire d’un personnage la première fois que celui-ci traverse une pièce, le lecteur pourrait ne pas le suivre ?
Ne jamais sous-estimer la patience et l’intelligence du lecteur !

7- Le point final
Ah, l’euphorie de la toute dernière phrase d’un roman !… Pour Zadie Smith, la félicité ressentie dans les 4h30 qui s’ensuivent justifierait à elle seule que l’on entreprenne l’écriture d’un roman !

8- Prendre du recul
Voici un conseil que Zadie Smith considère comme étant le plus important qu’elle puisse donner, même si elle admet n’avoir jamais été capable de l’appliquer elle-même : toujours mettre son manuscrit de côté un long moment, si possible un an, avant de se relire et de se faire publier. Elle raconte qu’on ne se relit jamais aussi efficacement que deux ans après avoir été publié, quand on se retrouve assis dans une salle de conférence, à dix minutes de faire une lecture de notre propre texte, et qu’alors toutes les répétitions, métaphores inutiles ou autres marques de vanité nous sautent désespérément aux yeux.
Cette relecture lucide, on en est incapable quand le manuscrit est tout juste bouclé, quand les mots nous sont si familiers qu’on n’y distingue plus rien. Et notre éditeur, qui vient d’en lire coup sur coup 12 versions différentes, n’en est alors pas capable non plus.

9- L’épreuve des épreuves
Si recevoir des épreuves avec corrections est une telle épreuve c’est que, lorsque l’on s’est décidé à remettre notre manuscrit, forcément très différent de ce qu’on en espérait, c’est bien qu’on n’avait plus de ressources ni de volonté pour continuer à le travailler. Les épreuves pointent cruellement tout ce qui serait améliorable… malheureusement on en est arrivés à un stade où on ne peut simplement plus.

10- Dix ans après…
Zadie Smith a du mal à se relire. Elle dit n’avoir jamais réussi à relire son premier bouquin, Sourires de loup. Essayer la dégoûte. Elle a fini par réussir à relire son deuxième roman, L’homme à l’autographe, mais à toute vitesse et des années après sa publication. Et là, la nausée a cédé la place à la surprise, car il y a des pages entières qu’elle n’a pas reconnues, qu’elle ne se souvenait pas avoir écrites. Et qui du coup ne lui inspiraient pas trop d’animosité. En relisant son dernier roman, De la beauté, elle dit être parvenue à trouver quelques passages avec lesquels, même avec le recul, elle se sent plutôt en paix.
On le serait à moins…

mardi 5 avril 2011

La carte et le territoire, de Michel Houellebecq


L’histoire
Que l’on soit artiste, architecte, écrivain ou commissaire, dans les années 80, 2000 ou 2020, comment accepter et restituer une époque.

Ma lecture
Je le remarquais déjà ici, on n’échappe pas à la sortie d’un roman de Houellebecq. On ne peut se boucher yeux et oreilles avec suffisamment d’application et de persévérance pour n’en rien entendre avant de le découvrir par soi-même. À plus forte raison quand le roman en question se transforme en Goncourt, forcément controversé.
Alors évidemment, bien avant de le lire je savais que Houellebecq était un personnage de son propre roman. J’avais entendu surtout ces accusations de plagiat à Wikipédia. Et sur ce coup-là, je me sentais hyper solidaire. C’est que l’atout Wikipédia, je connais ! Ben oui, en période de NaNoWriMo, quand on est contraints d’écrire sans se retourner et sans avoir le temps d’effectuer des investigations approfondies, quoi de plus naturel que d’innocentes petites recherches sur le web participatif ? Et si des pages Wikipédia décrivent exactement, à la nuance près, un concept, un point technique, pourquoi aller en modifier la moindre virgule ? On se sent davantage plagiaire en réécrivant du Wikipédia pour n’avoir pas l’air de, qu’en en copiant/collant, non ? (et non, ce n’est pas (uniquement) comme ça que j’ai gagné mon NaNo, non !)
Tout ça pour dire que j’ai abordé ce livre en lectrice avertie mais, pensais-je, bienveillante. Sauf qu’à la lecture de ces si longues pages de descriptions de voitures, de courants artistiques et autres anecdotes historiques, j’ai franchement douté de l’intérêt même de la chose. Témoigner d’une époque ok, utiliser pour ce faire les outils de ladite époque c’est la logique même, mais y fallait-il tant de détails assoupissants ?
Hormis cela, et un changement de rythme dans le récit dont je me serais passée, reste Houellebecq, Houellebecq-auteur, Houellebecq-personnage, avec son témoignage lucide et mélancolique d’homme qui se vieillit avant l’âge. Imaginez combien les motivations humaines doivent paraître prévisibles, ridiculement peu nombreuses et primaires, quand on est un écrivain à la Houellebecq, ou un commissaire à la Pennac (oui, le commissaire de La carte et le territoire a beaucoup du divisionnaire Coudrier de la série Malaussène, ce qui est assez surprenant, on ne s’attend pas vraiment à trouver des ressemblances entre un Pennac et un Houellebecq). Il faut alors se résoudre à la médiocrité, à l’absence de divertissement (problème commun aux Leroy-Merlin, dirait Frédéric Lefebvre) ou de stimulation nouvelle, et c’est ce désabusement des aînés (Houellebecq ou le père de Jed, très semblables jusqu’à parler d’une voix presque non distinguable) qui fait que j’ai reposé le bouquin en me disant qu’on ne perd décidément jamais son temps en lisant un Houellebecq.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

Je profiterai des privilèges de mon prétendu grand âge…
… et dispenserai à satiété ma profonde sagesse, fruit de mon incomparable expérience. Comme Houellebecq, quand il assène des vérités du genre :
C’est sans doute par compassion qu’on suppose chez les personnes âgées une gourmandise particulièrement vive, parce qu’on souhaite se persuader qu’il leur reste au moins ça, alors que dans la plupart des cas les jouissances gustatives s’éteignent irrémédiablement, comme tout le reste. Demeurent les troubles digestifs, et le cancer de la prostate.

J’emploierai des points-virgules.
Il est rare d’en trouver autant que chez Houellebecq ; et c’est bien dommage ; non, là c’était raté ; bon tant ; pis.

Je ne me sentirai pas obligée de sacrifier à la rencontre cliché.
On sent bien à la lecture que Houellebecq ne devait pas croire très fort à la rencontre entre Jed et Olga en l’écrivant. Du moins, j’espère qu’il n’y croyait pas !…

Je dirai, et ferai l’inverse. 
Surtout si l’on m’interroge sur de l’aussi indiscret que l’écriture d’un roman ! Alors comme Houellebecq je dirai qu’il est « impossible d’écrire un roman (…) pour la même raison qu’il est impossible de vivre : en raison des pesanteurs qui s’accumulent. » À condition que, comme Houellebecq, ça ne m’empêche pas d’en écrire tout de même, et un best-seller qui gagnera un Goncourt s’il vous plaît !

Je donnerai malgré tout quelques conseils aux apprentis auteurs.
Des conseils d’autant plus appréciables qu’ils vont à contre-courant des habituels articles fleuves sur le combat que les écrivains en devenir devraient tous mener contre la procrastination. Pour Houellebecq, il semble bon d’attendre :
On peut toujours, lui avait dit Houellebecq lorsqu’il avait évoqué sa carrière romanesque, prendre des notes, essayer d’aligner des phrases ; mais pour se lancer dans l’écriture d’un roman il faut attendre que tout cela devienne compact, irréfutable, il faut attendre l’apparition d’un authentique noyau de nécessité. On ne décide jamais soi-même de l’écriture d’un livre, avait-il ajouté ; un livre, selon lui, c’était un bloc de béton qui se décide à prendre, et les possibilités d’action de l’auteur se limitaient au fait d’être là, et d’attendre, dans une inaction angoissante, que le processus démarre de lui-même.

J’irai au plus simple.
Je ne me fatiguerai donc pas en épuisantes recherches sur mon sujet, quand il est nettement plus aisé et gratifiant de se poser en auteur français qui fait dans l’authenticité et le littéraire, et non dans la recherche, la besogne et l’exactitude à l’américaine. Observation qui me vient des remerciements de Houellebecq : « Je n’ai d’habitude personne à remercier, parce que je me documente assez peu, très peu même si l’on compare à un auteur américain. »
Comment ça, vous ne trouvez pas que cette démarche soit plus accessible ? Mais je n’ai parlé que de posture, attention, pas de qualité !

> La carte et le territoire, Michel Houellebecq, Flammarion, 2010, 428 pages.