vendredi 30 juillet 2010

L’écrivain au café


Une amie, depuis peu en jachère professionnelle, du temps devant elle et en tête une trame d’histoire ne demandant qu’à devenir manuscrit de best-seller, m’a dit vouloir profiter de son temps pour écrire, chaque matin, au café, ordi portable à côté du petit noir. L’image même de l’écrivain, non ?
Ben oui. Tenez il y a quelques jours, dans un épisode de la dernière saison des Desperate Housewives, intervenait un homme, sourire émail diamant et contemplant un livre comme moi de l’art abstrait, qui, attablé dans un troquet ordi devant lui, s’excusait auprès du serveur d’être « encore un de ces types qui écrivent dans un café ».
Bon lui faisait semblant, il n’était pas vraiment écrivain. Mon amie elle ne fait pas semblant, je ne sais pas si son manuscrit avance mais en tout cas le dynamisme de son blog (oui elle a un blog elle aussi, bien rigolo d’ailleurs, promis je vous donnerai le lien le jour où son manuscrit sera terminé et édité !) me permet d’affirmer que, au café ou ailleurs, elle parvient à écrire quotidiennement (rhô tout de suite vous, ok, je sais bien qu’on ne peut pas en dire autant de tout le monde et de tous les blogs, inutile de retourner le couteau, pff…).
Bref. Pourquoi ce mythe de l’écrivain au café ? Déjà parce qu’on aime imaginer l’Ecrivain avec un grand E se pavanant dans un chic café parisien, le Flore en général, entouré de gens brillants souvent eux-mêmes écrivains et occupés à des conversations s’envolant loin au-dessus des gris cieux de la capitale. Et parce qu’on nous dit que quand l’écrivain n’est pas occupé à discourir brillamment il l’est à écrire ou à observer la vraie vie des gens non écrivains pour trouver matière à ses prochains bouquins. Le café permettrait ça : la table pour écrire, et le va-et-vient, dans le café et dans la rue, de vrais gens inspirant de fausses histoires.

Alors moi aussi j’ai eu envie de tester.

L’écrivain et son laptop au café
Bon autant vous le dire, je n’ai pas pu tester moi-même le coup de l’écrivain écrivant sur son portable au café. J’aurais bien voulu, malheureusement la batterie du mien de portable a une autonomie dans le meilleur des cas de 13 minutes et 47 secondes, ce qui me suffit à peine à l’allumer, relire mes deux derniers paragraphes pour me les remettre en mémoire, commander mon café, cogiter et écrire deux mots avant que tout s’éteigne brutalement et que je perde les deux mots si vaillamment rédigés.
Par contre l’autre jour j’ai eu la chance de me retrouver dans un café parisien deux tables derrière un écrivain avec son portable qui a fonctionné pendant toute l’heure que j’ai passée derrière lui. Comment je savais que c’était un écrivain ? Parce que, si je n’étais pas suffisamment près de lui pour lire ce qu’il écrivait, je voyais que sa page affichait des alternances de courts blocs de textes et de passages commençant par des tirets : des dialogues, forcément. Donc de la fiction. Donc un écrivain. J’ai vérifié en laissant un stylo rouler jusqu’à sa table, ça m’a permis d’aller y jeter un œil sans me faire repérer. Ça ressemblait bien à de la fiction.
Mon écrivain donc, je l’ai observé une bonne heure. Après j’avais à faire. Je ne sais pas s’il y a eu un grand changement après mon départ, avant en tout cas il n’a pas tellement écrit. Trois lignes de dialogue consécutives d’un coup à un moment, qu’il a effacées trois minutes après. Par contre il a beaucoup cherché à observer la vraie vie de vrais gens je crois, il n’arrêtait pas de regarder tout le monde en jouant avec ses cheveux et les lunettes de soleil dans ses cheveux. Tout le monde ne le regardait pas en revanche. Ça a dû être un peu décevant pour lui qui ne faisait rien pour cacher sa jolie (hem) prose. C’est pas de chance tout de même, s’il s’était retourné il aurait peut-être vu qu’il avait du public deux tables derrière lui. Qui sait, ça aurait pu l’inciter à retaper quelques lignes de dialogues pour mieux les effacer après.
Mais laissons cet écrivain. J’ai quand même essayé d’écrire au café, moi aussi, mais je l’ai fait avec crayon (le stylo dont je vous parlais plus haut) et papier. Dans le café de l’écrivain c’était pas évident car il y avait un grand soleil qui se réfléchissait sur mes feuilles et ça me faisait plisser les yeux. Je comprends du coup les lunettes de soleil de l’écrivain, c’est encore pire le soleil avec un portable, on ne voit plus rien du tout. En tout cas pour moi, entre le soleil et le spectacle de l’écrivain, ça n’a rien donné ce jour-là.

La vraie vie des vrais gens au café
Je n’allais bien sûr pas en rester là. J’ai retesté cette semaine à la terrasse d’un café face à la gare d’une grande ville normande. Oui, drôle d’idée, je sais, d’ailleurs ça ne m’a pas vraiment réussi. Au bout de quelques minutes, un serveur m’apportait une monstrueuse limonade dans une chope à la propreté douteuse, disant « c’est gratos » avec un sourire encore plus douteux et posant le verre sur un sous-bock où étaient griffonnés son prénom et son numéro de tél, sous-bock dans un état qui me laissait penser qu’il était loin d’en être à sa première cible. Là j’étais légèrement ennuyée et déconcentrée, du coup j’ai pensé délaisser mes feuillets pour m’intéresser à la conversation de la table voisine. Trois gars, une fille, dans les 20-25 ans. L’un des gars parlait d’un type qu’il n’avait pas l’air d’aimer tellement, il l’appelait « tête de mort » mais sans humour hein, pas la version De Caunes-Garcia, je ne savais pas qu’elle existait encore cette expression, et la fille embrayait en parlant d’un type qu’elle avait rencontré, « trop gentil le gars, du genre j’te paye le kebab et tout ! ». Tout un programme. Que j’ai choisi de ne pas suivre – je suis partie.
Je reteste trois jours plus tard, à la terrasse du café principal d’une charmante petite ville des Pays de la Loire (eh oui, c’est que je voyage drôlement moi !), un lieu plein de cachet. Patronne aimable, parasol atténuant le soleil, tasse propre. Je sors mes feuillets, prends mon stylo. Un des deux chiens qui dormaient sous la seule autre table occupée se lève et vient me renifler les pieds. Bon, tant qu’il ne bave pas. Je retourne à mes feuilles, le propriétaire du chien se lève et vient me dire « excusez-nous mademoiselle, il est pas méchant hein ». Soit. Sauf que le manège a duré 15 minutes, 15 minutes pendant lesquelles l’un ou l’autre des chiens venait renifler mes pieds ou se coller à mes jambes, et son propriétaire venait s’excuser puis ramenait le chien et s’asseyait et ça recommençait. Alors de nouveau je suis partie.
Ce sont des tranches de vie, je ne dis pas le contraire, des tranches plutôt épaisses d’ailleurs puisqu’on en parle. Mais bon.

Tout ça pour dire que si vous voulez montrer que vous écrivez, si cela vous permet de vous remotiver pour l’écriture, si vous êtes de ceux que Pennac appelle ceux qui ne veulent pas écrire mais « avoir écrit », ou bien si vous avez des yeux adaptés à une grande luminosité, des oreilles capables d’une grande patience et une capacité de concentration hors norme, oui, vous pouvez écrire au café. Mais sinon, un conseil, à part chez lui, c’est encore dans un RER que l’écrivain peut le mieux écrire. Si si ! Il lui suffit de choisir une place côté fenêtre en bout de rame : un mur dans le dos, pas d’yeux baladeurs pour lire par-dessus l’épaule, des grosses tranches de vie en veux-tu en voilà mais une lassitude, un bruit qui incitent la plupart à s’enfermer dans leur bulle laissant aux autres une paix appréciable. Que du bonheur !

Fort bien mais, avec tout ça vous dites-vous, n’aurais-je pas oublié les fameuses grandes conversations de l’écrivain au café ? Eh bien non, mais celles-ci figurez-vous que je n’en ai pas vu trace. Il s’en entend peut-être au café de Flore cela dit, aucune idée, pas pu tester, là-bas même un café est au-dessus de mes moyens. Mon oncle (un écrivain lui aussi, en secret) m’y a bien emmenée une fois, il y a une quinzaine d’années, on avait sans doute économisé pendant quelques semaines avant. Mais je ne me rappelle pas y avoir entendu de grandes envolées, à part les nôtres à mon oncle et moi en découvrant (et chipant, ces choses-là se conservent !) l’addition faramineuse de l’homme à la table à côté. Il avait mangé une petite omelette.

jeudi 22 juillet 2010

Ritournelle de la faim, de J.M.G. Le Clézio

jmg le clezio ritournelle de la faim

Je ne vous en dirai pas trop sur Ritournelle de la faim. Parce que certains d’entre vous peut-être ne l’ont pas encore lu et je ne voudrais surtout pas risquer de leur en gâcher la lecture.
C’est un récit magnifique, personnel, investi et bouleversant.
Je n’imagine pas qu’on puisse ne pas aimer, ne pas être touché, par les personnages, le propos, la justesse, la poésie des mots.
C’est un livre qu’il ne faut pas décrire – c’est du Le Clézio. Parler de l’histoire serait déjà trop en dire, car les informations nous arrivent par nœuds de mémoire qui se démêlent progressivement, avec une maîtrise invraisemblable de l’art de nous amener là où il faut, dans notre compréhension de la trame comme dans nos sentiments.
Juste, pour le plaisir, quelques mots par lesquels Le Clézio décrit la faim dont il est question dans son bouquin :
La faim,
une sensation étrange, durable, invariable, presque familière pourtant. Comme un hiver qui ne finirait pas.
Pas une phrase qui ne soit de ce niveau. Alors, (re)lisez-le !


Pour mon best-seller, et sous réserve que d’ici là je sache écrire comme Le Clézio, j’en retiens que :

Pas plus que lui je ne chercherai à tout expliquer.
Quand Ethel se raconte, elle peut dire : « Alexandre fit ceci » mais sûrement pas : « Mon père, Alexandre, fit ceci ». Elle sait qu’Alexandre est son père, elle ne va pas se le dire. Et le lecteur comprendra bien assez tôt qui il est pour elle.

Comme lui, je dirai les émotions telles qu’elles sont, même si cela fait cliché.
Un émoi, et le cœur bat plus vite. C’est un fait. Alors mes héros ont parfaitement le droit d’aller « le cœur battant », et même de « sentir leur cœur battre plus fort » plusieurs fois dans une même histoire. Tous les héros de tous mes romans ont le droit d’avoir parfois le cœur battant (Ethel dans Ritournelle de la faim, Lalla dans Désert, Fintan dans Onitsha…). Ces mots sont simples, l’image usée ? Et alors ?!

Comme lui, je m’autoriserai les ressemblances entre héros de différents bouquins.
Ethel de Ritournelle de la faim partage avec de nombreux autres héros de Le Clézio un même rapport au sable, à la mer, aux nuages, au voyage, au déracinement, une même rébellion. Référents ou réactions que beaucoup d’entre nous partageons. Pourquoi vouloir à tout prix créer des personnages dissemblables en tous points ?

Comme lui, je rapporterai des conversations mot pour mot.
Comment ça, il n’était pas né dans les années 30 et a forcément inventé les conversations de salon qu’il rapporte ? Je n’y crois pas, elles sont si justes, si vraies, elles ont eu lieu et il a tout enregistré et restitué, c’est évident !

Comme lui, j’accepterai que la vie soit aussi faite de répétitions.
Car certains événements n’ont d’importance que par rapport à des événements déjà vécus. Si mon héroïne prend 15 ans en quelques pages, j’ai le droit de la faire se souvenir d’un événement survenu 10 pages plus tôt. Redondant à la lecture ? Oui mais la vie est redondante, une ritournelle, le Boléro de Ravel…

Par contre, je veillerai à ce que l’édition de poche respecte mon travail.
Quelle beauté que la progression de ce récit. Quelle force dans ses dernières pages. Et quel scandale que la quatrième de couv de l’édition de poche ne livre rien moins que… les toutes dernières phrases du bouquin ! Quatrième de couv à ne surtout pas lire donc pour un plaisir de lecture intact !

>> Ritournelle de la faim, J.M.G. Le Clézio, Folio Gallimard, 2010, 205 pages.

samedi 17 juillet 2010

La théorie des cordes, de José Carlos Somoza


L’histoire
Quand une poignée de physiciens assistés d’étudiants brillants, de paléontologues et d’un théologien trouvent à la théorie des cordes (théorie dite « du tout », visant à réconcilier mécanique quantique et théorie de la relativité générale, mais aussi à unifier les interactions fortes, faibles, électromagnétiques et la gravitation (je sens que j’en largue certains, ahah, on fait moins les malins et on comprend tout de suite mieux l’intérêt de lire Science & Vie là !)) de nouvelles équations permettant d’ouvrir les cordes du temps, et d’ainsi emprunter des fenêtres sur le passé, l’horreur n’est pas loin.

Ma lecture
Il est des bouquins à la lecture desquels on ne peut s’empêcher de penser aux chefs-d’œuvre qu’ils auraient pu être, si seulement ils avaient été plus ceci, avaient montré moins de cela, etc. C’est malheureusement le cas de La théorie des cordes.
À quoi cela tient-il ? À pas grand-chose. À plein de petites choses.
À des personnages forts peut-être, mais qui ne suscitent pas d’empathie, en bonne partie à cause d’allers-retours entre passé et présent des personnages, où les scènes du passé ne sont pas suffisamment dans l’action pour nous embarquer, et trop nombreuses pour permettre aux scènes du présent de compenser.
À un mélange des genres déroutant. On achète un bouquin Actes Sud à la couverture d’un grand classicisme et au titre ultra sérieux. On découvre une première partie qui ressemble à un thriller avec certaines maladresses stylistiques mais au fond scientifique sérieux, nourri, ancré dans le réel (l’auteur va jusqu’à faire intervenir de vrais astrophysiciens, par exemple Stephen Hawking) et non dénué de clins d’œil (le second rôle principal, un physicien fictif brillantissime, invente une théorie dite « du séquoia » et s’appelle Blanes, nom très proche des « branes », ces membranes ou objets étendus de la théorie des cordes). Puis sans prévenir on se retrouve dans de la science-fiction virant au fantastique horrifique, sorte de sous Ça de Stephen King.
Il y a des trouvailles, des idées originales, mais j’ai regretté que le style et le parti-pris scénaristique soient en-deçà des ambitions et efforts de recherches scientifiques. Ça aurait pu être un vrai bon roman...


J’en retiens que dans mon best-seller :


J’éviterai d’aligner les généralités.

Par exemple les phrases du genre : « Comme c’est le cas de tous les grands timides, son discours se fit soudain disproportionné », ou : « La voix de Mme Ross surgit par surprise, comme pour ceux qui parlent rarement ». À plus forte raison si c’est pour employer ces tournures malheureuses !

J’exigerai de mon éditeur une bonne traduction.

Je sais, les gens polis ne balancent pas. Je sais aussi, en tout cas j’imagine, le travail que représente la traduction d’un bouquin pareil, long (600 pages) et avec des longueurs ce qui fait qu’en longueur ressentie c’est pire encore. Reste que si je décidais d’écrire un best-seller en espagnol j’éviterais de le faire traduire par Marianne Millon. Je serais drôlement curieuse de lire la version originale des deux phrases citées dans le point précédent, pour voir si c’est aussi mauvais. Et quand bien même la maladresse de ces phrases précises ne viendrait pas d’elle, on peut certainement lui attribuer les très fréquentes confusions de genres, des « le » à la place de « la », des « il » à la place de « elle », qui font que souvent on a du mal à suivre les scènes. Un exemple en page 307, où on lit :
«  Une pensée semblait avoir traversé l’esprit de Carter.
- Je ne vous aurais jamais imaginés si détectives, dit-elle. »
Carter, qui vient de parler, est un homme. Un personnage secondaire, dont on peut très bien avoir oublié à ce moment-là qu’il s’agit d’un homme, auquel cas on est alors complètement perdus dans la lecture.
Et que penser de tournures comme celle-ci : « Sans comprendre leurs propos, le regard d’Elisa, déconcerté, voyageait de l’un à l’autre ». Ainsi donc certains propos échappent au regard d’Elisa ? Hum. Il y a certes de quoi être déconcerté.

Je n’abuserai pas des cliffhangers.

La première fois que José Carlos Somoza écrit : « Elle se trompait lourdement, et il lui restait à peine plus de six minutes avant de le constater », ou encore nous parle de la « culbute horrible et définitive » qu’allait prendre le cours de la vie d’Elisa, on est intrigués et avides de savoir ce qui va se passer. Mais après 500 pages de récit relativement plat, parsemé tous les 6 paragraphes de phrases du genre « Cependant, les choses allaient prendre un tour qu’elle ne soupçonnait même pas. », ou « Des années plus tard, elle en viendrait à penser que, si elle avait soupçonné ce qui l’attendait après ce voyage, elle n’aurait pas pris cet avion, ni répondu à l’appel du portable ce dimanche-là. », ou « Plus que toute autre chose, cette curieuse expression fut son résumé visuel de la journée. Et les événements postérieurs feraient qu’elle ne l’oublierait jamais. », ou « Le moment difficile était venu, et elle le savait », ou « S’il avait raison, si Zigzag était tel qu’il le croyait, alors cela serait bien pire que tout ce qu’ils imaginaient », etc., etc., on n’en peut plus. Quand il s’avère que « l’horreur » tant attendue est des plus banales et prévisibles, on referme le bouquin avec le sentiment d’avoir été copieusement floués.

J’épargnerai à mes lecteurs d’avoir à deviner qui est le personnage duquel j’adopte le point de vue à chaque saut de ligne.
Parce que déjà, c’est complètement dépassé d’adopter un point de vue omniscient. Et surtout parce que l’effet de suspense qui peut se créer la première fois que l’auteur écrit une scène en disant « il » plutôt que Victor ou David ou Tartempion (en commençant par exemple par : « Il était inquiet, sans trop savoir pourquoi. », pour qu’on se dise, oh, mais qui peut-ce donc être qui est inquiet, et pourquoi ?), se transforme en impatience féroce quand Somoza emploie le ressort pour la cinquantième fois, nous faisant systématiquement patienter plusieurs pages avant de nommer son personnage – soit longtemps, longtemps après qu’on ait deviné de qui il s’agit.

J’éviterai de révéler dans mon prologue la clé de l’intrigue.

Car un lecteur peut parfaitement se rappeler ce qu’il a lu dans le prologue. Souvent d’ailleurs il se doute que, si un événement a été placé en prologue, c’est qu’il jouera un rôle important avant la fin de l’histoire, il le mémorise donc d’autant plus. Alors évitons de mettre en place un suspense qui, ô surprise, se révélera dans les dernières pages être lié à un prologue très (trop !) explicite.

Je n’en ferai pas trop sur mon héroïne.

Surtout quand ses actions ou paroles ne sont pas à la hauteur des descriptions que je trace d’elle. Voyez cette description que Somoza donne de son héroïne Elisa dès la deuxième page de la première partie : « une femme jeune et solitaire, à la longue chevelure noire ondulée, dotée d’un visage et d’un corps qui n’auraient pas détonné sur la couverture d’un magazine de mode, mais qui possédait en même temps un esprit analytique et une prodigieuse capacité de calcul et d’abstraction ». Rien que ça. Pourquoi pas. Mais alors on demande à le voir à l’œuvre, cet esprit prodigieux, on attend des répliques plus travaillées que celles de la première gamine (sur le tard) effrontée venue ! Somoza, lui, a visiblement considéré que la seule chose qu’il était nécessaire de démontrer à répétition n’était pas son grand intellect mais plutôt son grand potentiel d’attractivité sexuelle. Facile (encore que, souvent raté d’ailleurs, par exemple quand Victor admire sous son t-shirt « ses seins doux et fermes » à la fois : comment sait-il en regardant le t-shirt d’Elisa que dessous se cachent des seins « doux et fermes » ? Mystère). Et dommage.

J’éviterai les inventions qui pourraient trop vite faire tomber mon livre en désuétude.

Le récit de La théorie des cordes, que Somoza rédige en 2006, se déroule en 2015. Futur très proche. Or ses héros ne se séparent pas de leurs « bracelets-montre-ordinateurs-ultra-plats ». Espérons pour Somoza que de tels gadgets ne tardent pas à voir le jour…

Je serai prudente avec les figures de style.

Quand Somoza écrit « Mais Mendez, soudain, s’était transformé en Colin Craig », ça prête à confusion. Ok, on comprend vite que Mendez ne s’est pas vraiment transformé en Colin Craig, qu’il a juste emprunté les manières brusques de Craig, mais dans un récit de science-fiction on s’attend à tout, y compris aux métamorphoses, alors l’accumulation de telles figures de style rend la lecture ardue.
D’autres figures, sans prêter à confusion, prêtent plutôt à sourire, comme celle-ci : « son estomac se transforma en un poing de pierre ». D’autres encore, plus poétiques, sont tout aussi nuisibles car nous font trop nous attarder sur elles, cassant ainsi le rythme de la lecture et nous déconnectant de l’action à des moments cruciaux, par exemple : « Elle avait tellement peur que sa propre peur la paralysait encore plus, ce qui ne faisait que la développer, dans une sorte de pari où des quantités minimes seraient devenues énormes en raison de la contribution d’un nombre infini de joueurs ». Toujours se rappeler le conseil du Maître du genre (Stephen King bien sûr, qui d’autre ?!) : chaque mot qui ne fait pas progresser l’action est un mot superflu !

J’exigerai que les versions étrangères respectent mon travail.

Car finalement, mon principal problème avec ce bouquin réside dans d’étranges choix de l’éditeur français. Tenez, regardez ces trois couvertures :

La première couv est l’originale, celle de la version espagnole. Le titre est Zig Zag, la pochette fait thriller fantastique. Couverture cohérente. La deuxième est la couv de la version anglophone : titre inchangé, graphisme science-fiction. Couverture différente mais cohérente elle aussi. Et la troisième est la couv de la version française : titre sérieux (« Zig Zag » devient « La théorie des cordes »), éditeur sérieux, illustration sérieuse. Mais bouquin qui n’en vire pas moins au thriller fantastico-horrifique.
Alors, qui est responsable de ma déception, au final ?...

>> La théorie des cordes, de José Carlos Somoza, 2008, Actes Sud, collection Babel, traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 600 pages.

mercredi 14 juillet 2010

Science & Vie de juin et juillet 2010 : best-sellers, le retour !


Vous faites partie de ces fatigués des suites et remakes de livres ou films ou séries à succès, de ceux qui pensent qu’il n’y a qu’un seul Zorro (et bien sûr dans votre esprit il s’agit de Guy Williams, sûrement pas de Douglas Fairbanks !), qu’un seul Bond, James Bond, de ceux qui pensent encore qu’une pantoufle de verre n’a rien à voir avec une pantoufle de vair et qu’une seule vaut sa morale, que l’histoire de Scarlett et Rhett méritait de demeurer en l’état, que le meilleur des Harry Potter c’était le 3 et que Les passagers du vent auraient pu s’en tenir à 5 tomes ?
Je vous comprends.
Oui, sauf que comme ne m’ont jamais dit mes grands-mères n’empêche que ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde pour autant, c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs succès, ou quelque chose comme ça.
Et la bonne nouvelle, c’est bien sûr que Science & Vie est là, dotant de petites ailes à capteurs solaires nos muses et de prétextes scientifiques nos reprises de succès. Car pour nous autres futurs auteurs à succès, c’est bien tout le principe et l’intérêt d’une démarche scientifique : ne rien tenir pour acquis, et ne faire consensus que jusqu’à ce qu’une avancée vienne remettre en cause nos convictions passées et nous laisse entrevoir une façon plus moderne et donc forcément meilleure de réécrire l’histoire.
L’autre bonne nouvelle, c’est que vous n’avez même pas besoin de lire Science & Vie de juin et juillet, je vous donne en exclu tous les tuyaux que j’y ai dénichés pour écrire des suites qui, cela va sans dire, surpasseront largement les best-sellers et blockbusters originaux !

S&V et mon remake du Jour d’après.
Désormais je sais que, le jour d’après « la » catastrophe, il y aura plein de vie et surtout des plantes ! Eh oui, désolée Cormac McCarthy, c’est bien joli La route mais même sous un nuage de cendres, sans grande luminosité, avec des pluies acides, un refroidissement général et après des explosions atomiques la vie reprend ses droits, à commencer par la flore (S&V juillet 2010, dossier p. 50-73).
Car, on le sait, la nature a horreur du vide. Sitôt le champ laissé libre à cause d’une catastrophe, des espèces dites « opportunistes » reconquièrent le terrain.
En cas de marée noire, cela se fait par étapes. Sitôt après la marée noire, on assiste à un véritable (et anormal) boom de la vie, jusqu’à ce que l’équilibre se recrée. Il faut compter en moyenne deux ans pour récupérer un écosystème comparable au précédent, quantitativement et qualitativement.
En cas d’explosion nucléaire le vivant ressurgit rapidement, mais se transforme sous l’effet des radiations. Les espèces aux génomes les plus compacts semblent moins affectées, néanmoins toutes les espèces subissent certaines modifications de leur morphologie et de leur métabolisme.
Le cas des incendies est sans doute le plus spectaculaire, car nombre d’espèces ne se portent jamais si bien qu’après un feu de forêt, étant libérées de la compétition d’espèces d’ordinaire plus fortes. La vie reprend très vite, même après le passage de coulées de lave, ne serait-ce que sous la forme de rejets de troncs (l’écorce procurant une certaine isolation thermique), de germination des graines rescapées et des graines profondes, de drageons venant des racines protégées. Et surtout les incendies ne sont pas nouveaux. Il y en a toujours eu, bien avant l’homme, et le vivant s’est adapté pour cohabiter avec. Ainsi certaines graines ne germent que grâce à la chaleur dégagée par les incendies, demeurant au repos le reste du temps, tandis que de nombreuses espèces voient leur germination stimulée par les karrikines, molécules présentes dans la fumée.
Alors, pas de no life’s land dans mon Jour d’après !

S&V et mon remake de La planète des singes.
Ok le dernier remake de celui-là n’est pas vieux, pourtant, n’en déplaise à Pierre Boulle et Tim Burton, il est temps d’actualiser un peu l’histoire. Car son propos, à savoir l’espèce humaine supplantée par l’espèce simiesque, ne tient plus du tout aujourd’hui où l’on sait que l’homme n’est qu’un singe comme un autre, que, loin d’en être une espèce descendante, il n’est ni plus ni moins qu’une des branches de l’espèce, partageant par exemple un ancêtre commun avec le chimpanzé (S&V juin 2010, dossier p. 58-79).
D’ailleurs ce que l’on tenait, du temps de Boulle, pour le propre de l’homme, ne l’est peut-être pas tant que ça. Les singes aussi trichent parfois au jeu pour en laisser d’autres gagner (S&V juin 2010, p. 28). Quant à ce qui est du langage, là encore certaines découvertes chamboulent nos a priori. Le chercheur Alban Lemasson, spécialisé dans l’étude des singes mones de Campbell (qu’il étudie entre autres dans la station biologique de Paimpont, oui oui en Bretagne, oui oui en pleine forêt de Brocéliande, ce n’est pas formidable ça ?, ah je vois d’ici le succès qu’aura Le retour de la planète des singes au royaume de Merlin !) s’attache ainsi à décrypter leur langage fait de « hok-koo », de « krak » et de « wak-oo » combinés en séquences vocales, d’une façon analogue à celle qu’a l’homme de former des phrases à partir de mots (S&V juillet 2010, p. 92-97). Lemasson y repère syntaxe, conversation, comprend désormais nombre de leurs phrases : mâle signalant la chute d’un arbre, l’entrée sur le territoire d’un groupe voisin, le bruit d’un léopard, etc. Bon, ok, les alertes aux léopards ne s’entendent peut-être pas très souvent en forêt de Paimpont. Mais ça peut quand même faire un sacré best-seller !!

S&V et mon remake d’Alerte.
Qu’un singe développe une maladie et nous la transmette par contact direct ou postillons, et c’est la panique mondiale. Alors imaginez l’affolement si un nouveau virus nous venait des plantes, ces espèces capables de disséminer des graines dans les airs, ne connaissant ni frontières ni recensement ! Impossible qu’un humain réagisse à un virus de plante vous dites-vous ? N’en soyez pas trop sûrs. Didier Raoult, virologue au CNRS de Marseille, pense avoir trouvé la preuve d’une infection de l’homme par le virus du piment ! (S&V juin 2010, p. 46-47)

S&V et mon remake d’Orange Mécanique.
Oubliez les lavages de cerveau à la Kubrick, où l’on maintient les yeux du patient artificiellement ouverts pour l’obliger à visionner des heures de messages subliminaux et où on le conditionne à réagir à un stimulus sonore. Désormais, on sait manipuler les neurones chargés de coder la mémoire, pour reprogrammer celle-ci artificiellement (S&V juillet 2010, p. 106-109). Les comportements étant souvent fonction d’un apprentissage associatif (telle odeur est désagréable et correspond à une chose désagréable, je l’évite), il suffit de modifier les neurones chargés de ces informations pour reprogrammer nos comportements. Science-fiction pensez-vous ? Et pourtant on le fait déjà sur des mouches, et on prévoit de pouvoir demain reprogrammer les cellules de l’homme liées à la faim, au sommeil. Ou autre. De quoi faire frémir les jeunes générations !…

S&V et mon remake de L’Arnaque et Ocean’s Eleven.
Fastoche celui-là, maintenant que je sais que, lorsqu’un joueur perd de peu, son cerveau pense avoir gagné, et active ses aires de la récompense de la même façon qu’en cas de succès (S&V juillet 2010, p. 24). Je n’ai donc plus qu’à écrire l’histoire d’un casino truqué de telle façon que les joueurs échouent le plus souvent de peu, afin que leur cerveau, dupé, les encourage à y revenir !

S&V et mon remake de L’expérience interdite.
Plus besoin d’être interne en médecine pour savoir provoquer un état de mort imminente et accéder au fameux tunnel des visions avec une lumière au bout. Aujourd’hui tout un chacun peut en faire autant, il suffit d’un pot d’échappement ! Si si, je vous assure, car les visions de ces expériences de mort imminente pourraient être dues à un excès de CO2, celui-ci modifiant l’équilibre acide-base du cerveau, et provoquant ainsi des hallucinations (S&V juin 2010, p. 46). Peut-être la substance hallucinogène du futur…

En revanche je ne pourrai pas réécrire :
- Le Volte-Face de John Woo : la greffe de visage la plus complète à ce jour, réalisée à Barcelone, n’inclut apparemment pas les paupières… (S&V juin 2010, p. 12).
- Les séries animées cultes. Parce que ce serait un péché impardonnable de leur donner des suites ! N’empêche que je pourrai fabriquer le Grand Condor d’Esteban, en m’inspirant de l’avion suisse Solar Impulse, de 60m d’envergure et conçu pour voler jour et nuit grâce à la seule énergie du soleil (S&V juin 2010, p. 54). Et puis je pourrai fabriquer le vaisseau d’Ulysse 31 ou mieux, celui d’Albator, l’Atlantis : la sonde à voile solaire japonaise Ikaros a un design tout à fait comparable (S&V juillet 2010, p. 48-49 et 84-91).

Mais je pourrai écrire un remake des Structures élémentaires de la parenté, de Claude Lévi-Strauss !
Ok ce n’est peut-être pas le best-seller ultime. Mais reconnaissez que ça fait chic, après tous ces remakes, d’envisager celui de la thèse d’un ethnologue ! Dans ses travaux de recherche, Lévi-Strauss établit un lien entre prohibition de l’inceste et naissance de la société. Soyons plus modernes que cela ! S&V nous explique que le risque génétique lié à l’inceste (enfants malades ou non viables) n’existe peut-être qu’à cause de cette prohibition de l’inceste (S&V juillet 2010, p. 112-114). Absurde ? Non : la consanguinité favorise l’expression des allèles porteurs de mutations dommageables, certes, mais la surmortalité infantile résultante permet l’élimination naturelle des individus porteurs, et ainsi l’élimination progressive de cette anomalie génétique. Le tabou de l’inceste de nos sociétés empêche ce nettoyage génétique. Mon remake opposera donc, aux positions rétrogrades de notre société, l’avènement d’une société de la nature, encourageant l’inceste pour le bien de nos gènes ! Des objections ?...