jeudi 27 mai 2010

Ce que veulent les lecteurs


Pour qu’un livre se vende nous dit-on, il faut que l’auteur anticipe et réponde aux besoins des lecteurs. J’ai lu que certains programmes permettraient désormais d’évaluer les ventes d’un livre, en fonction notamment des thèmes abordés, du titre, de la stratégie promotionnelle adoptée.
Je ne sais pas pour vous, moi en tout cas je n’ai jamais trop accroché à de tels principes marketing. En revanche, je crois à ce que je vois ! Alors je me disais, un blog, c’est un peu comme un livre, je ne perds rien à essayer de répondre aux besoins exprimés par les lecteurs de ce blog afin de voir si cela dope les statistiques de fréquentation !
Or aujourd’hui est le jour tout indiqué pour le faire. Car lire-pour-écrire fête son premier mois d’existence mesurable : je l’ai inauguré le 21 avril mais c’est seulement le 26 que l’outil de statistiques a daigné commencer à fonctionner. Je dispose donc de tout juste 30 jours de stats. Stats qui constituent l’essentiel des infos dont je dispose pour analyser vos besoins.

Alors d’abord, savez-vous qui vous êtes ? Je vais vous le dire : vous êtes 31. C’est-à-dire 3 fois le nombre de personnes auxquelles j’ai communiqué l’adresse. Vous êtes venus environ 180 fois et avez regardé environ 500 pages de ce blog (je dis environ car j’essaie d’enlever mes propres visites, ce qui n’est pas évident à estimer). Chacune de vos visites dure en moyenne 5,8 minutes (il faudra que je pense à ne pas faire des posts trop longs quand même !). Vous êtes venus ici soit parce que je vous ai donné le lien (merci à vous !), soit parce que Google vous a orientés vers ce blog depuis des recherches plutôt variées (merci à vous également, et désolée si vous n’y avez pas trouvé ce que vous y cherchiez !), recherches qu’il me semble tout indiqué que j’analyse afin de trouver des réponses à ma deuxième question : que voulez-vous ?


Vous voulez que je vous parle de Science & Vie.
Ah ça, ça vous a plu ! Enfin je ne sais pas si ça vous a plu, mais ça vous a fait venir sur le blog. J’ai reçu vos visites suite à des recherches Google portant par exemple sur :
  • « article bombe science et vie mai 2010 »
  • « patrick couvreur dans sciences et vie »
  • « science et vie distributeur de billet ».
Et là vous êtes de sacrés veinards car il se trouve que le Science & Vie de juin vient de sortir, je vous promets un post dans les prochains jours !

Quand vous ne voulez pas de Science & Vie, vous voulez du sensationnel !
Par exemple vous voulez entendre parler de « chutes de météorites », ou de « météorites mai 2010 ». Hum. L’emphase je sais faire, ça vous suffira ?

Vous voulez que je vous parle de grands auteurs.
Vous faites ainsi des recherches Google sur Beckett et Duras. J’en prends bonne note, vous aurez de l’Auteur avec un grand A et de l’Œuvre avec un grand Œ très prochainement, c’est promis !

Vous voulez des infos sur la rédaction d’un roman.
Et ça me fait drôlement plaisir, car c’est tout de même un peu le principe de ce blog !
À la personne qui est venue par la recherche « formation universitaire + écrire un roman », je voudrais en revanche m’excuser de ne pouvoir trop la renseigner, j’ai déjà eu l’occasion de dire ici d’une part qu’il faut parler de ce que l’on connaît, d’autre part que je n’ai testé aucun banc de fac spécialisée. Mais vous aurez compris que mon maître mot est « lire pour écrire », or dans toute université on est amenés à lire, et pas seulement dans les facs de lettres et autres Khâgnes, et c’est toujours bon à prendre.

Vous voulez des citations parfois plus spécialisées que celles que je vous donne.
Il s’en est trouvé parmi vous à chercher dans Google « citation féministe instrument des ténèbres ». Or si j’ai largement cité Nancy Huston, je n’ai pas repris de citations féministes. Ce n’est pas exactement le propos de ce blog. En même temps, que ne ferais-je pas pour vous satisfaire, alors hop, un extrait d’Âmes et corps de Huston, que vous jugerez peut-être féministe :
Les garçons ouvrent les poupées, les nounours et les voitures petites et grandes, ils ouvrent les fusils, jouets ou non, pour en comprendre le fonctionnement ; ils veulent pénétrer le mystère de la vie, des origines, comprendre d’où ils viennent, pourquoi ils sont là ; ils regardent de près, d’encore plus près ; plus tard, certains iront jusqu’à arracher le fœtus du ventre de la femme enceinte et à en fracasser le crâne.
Après le dépeçage du nounours, après le carnage, ils laissent derrière eux : non-sens, monceaux de chairs mortes qui ne veulent plus rien dire. Ils ont réussi à transformer le vivant en mort, en objet, en chose, en rien : puissance sidérante qui ne peut se comparer qu’à celle de mettre un enfant au monde.

Vous voulez, mais vous n’osez pas.
Une personne parmi vous est venue après avoir saisi la recherche suivante : « autour du pot ,je tourne autour du pot je n'ose pas le lui dire jsuis vraiment idiot poesie ».
Répondre aux attentes des lecteurs. Bien.
Alors si vous êtes cette personne, je ne saurais trop vous conseiller, si vous n’osez toujours pas le lui dire, de nous l’écrire à nous, ici ! Tout écrit nous intéresse !!

Je vous révélerai dans quelques semaines si tous ces efforts pour vous combler se traduisent en augmentation fulgurante du nombre de visites et visiteurs, et s’il vaut la peine de se pencher davantage sur cette idée d’anticipation et de prise en compte des besoins du marché...

mardi 25 mai 2010

Michael Douglas, Christine Bravo, l’acteur, l’écrivain et le forgeron


Si Godard ne s’est pas déplacé à Cannes, Michael Douglas lui y est venu. Samedi midi, sur Canal +, je le voyais répondre aux questions de Laurent Weil. Le journaliste demandait s’il aimait les films français, Douglas fils répondait quelque chose comme « Je vais vous avouer un secret : je ne vais jamais au cinéma. Je n’en ai pas le temps ! ».
Un secret qui ne devrait pas surprendre grand-monde, tant il est fréquent d’entendre acteurs, réalisateurs, gens du cinéma dire qu’eux-mêmes regardent très peu de films.
Peut-on faire de bons films sans en regarder ? Sans doute.
De la même façon peut-on écrire de bons livres sans en lire ? Probablement.
Ah. Mais en ce cas pourquoi nous ressasse-t-on que pour écrire il faut lire, jusqu’à ce blog qui s’appelle « lire pour écrire », et qu’est-ce que c’est que cette injustice qui fait que l’on accepte ces gens de cinéma qui prétextent manquer de temps pour voir des films quand on ne souffre pas que quelqu’un qui se vante d’écrire avoue ne pas avoir le temps de lire, et puis d’abord si c’est en forgeant qu’on devient forgeron pourquoi ne suffirait-il pas d’écrire pour devenir écrivain ?!

Tenez, ce même samedi, sur France 2 cette fois (rhô, tout de suite, comment ça je regarde trop la télé ??), chez Ruquier, Christine Bravo présentait son nouveau livre, Foudre. L’histoire se situe dans le Vieux Sud des USA, Bravo en évoque le climat poisseux, les 50°C mais l’humidité, l’accablement, elle relie ça aux styles des grands écrivains du Sud, William Faulkner, Margaret Mitchell. Elle se réfère à de nombreux auteurs, Hemingway, d’autres qui m’échappent. Cette femme a beaucoup lu. Beaucoup écrit également, d’abord pigiste, puis rédactrice, journaliste.
Beaucoup lire et beaucoup écrire : la recette pour faire un bon écrivain ? Les deux snipers de Ruquier, Zemmour et Naulleau, loin d’encenser Foudre l’estiment : d’écriture rebutante pour le premier qui ne jure que par Balzac et Flaubert, et entièrement raté sauf au niveau de l’écriture pour le second. Des critiques qui s’annuleraient presque et qui ne vous avancent pas plus que moi si vous non plus n’avez pas lu Foudre.
Quoi qu’il en soit ce livre existe et n’est pas le premier de Christine Bravo, qui avait commencé ses piges au journal Le Matin après avoir, alors anonyme, remporté un concours d’écriture – écriture qui l’aura fait vivre des années. Elle a beaucoup lu. Elle a beaucoup écrit. Elle est publiée. Elle est écrivain. Libre à vous de forger d’éventuels rapports de causalité.

Si j’ai bien suivi l’émission, cet écrivain, donc, a rédigé son [coup de] Foudre alternativement depuis deux points de vue : celui de l’homme, Sam, et celui de la femme, Anna. Elle explique avoir rédigé ses quelques scènes de sexe depuis le point de vue de Sam, jugeant que les propos érotiques passent nettement mieux quand on les met « dans la bouche » (sic) des hommes.
Sur Canal +, Laurent Weil interroge Michael Douglas sur sa venue à Cannes pour Basic Instinct, en 1992. Ça fait pas loin de 20 ans, on lui parle encore et toujours de ce film-là, qui comptait un homme à la réalisation, un autre au scénario, un encore à la photographie, une poignée d’autres à la production. Et Sharon Stone.
Et, je me suis demandé ce que l’acteur et sa partenaire de l’époque penseraient de cette opinion de Christine Bravo…

vendredi 21 mai 2010

Ténèbres, prenez-moi la main, de Dennis Lehane


Il y a huit jours, à l’occasion d’une vengeance aveugle, je vous avouais avoir mélangé les souvenirs de deux lectures : Instruments des Ténèbres de Nancy Huston, et Ténèbres, prenez-moi la main de Dennis Lehane. J’avais illico relu Instruments des Ténèbres. Pour mettre un terme définitif à toute possible confusion future, je viens d’également relire Ténèbres, prenez-moi la main.

Pour tout dire, ce qui m’a le plus motivée n’était pas d’en finir avec ma méprise, mais plutôt Shutter Island. Car ce récent film de Scorsese est tiré d’un bouquin éponyme du même Dennis Lehane, à qui l’on devait déjà le livre à l’origine du Clint Eastwood Mystic River. Or depuis la sortie ciné de Shutter Island, il ne se passe pas une semaine sans que je subisse au moins un trajet de transport en commun comprimée contre des lecteurs (enfin, que des lectrices jusqu’à présent pour être exacte) absorbés par ce bouquin, alors ça me titillait de le lire à mon tour mais, comme en même temps j’ai ma fierté qui me pousse à si possible ne pas lire le bouquin que tout le monde lit au moment où tout le monde le lit juste parce qu’il a été adapté au ciné avec Dicaprio, d’autant plus que les lectrices en question m’ont semblé dans l’ensemble plus jeunes que moi ce qui a naturellement renforcé ma défiance, j’ai jusqu’à présent résisté à l’envie de l’acheter. Pourtant ça me démangeait de plus en plus. Lire un autre Dennis Lehane me sembla donc être un bon compromis.

Bref.
Ténèbres, prenez-moi la main est un polar. Très noir par moments, mais dans l’ensemble pas tant que ça, même si certains crimes et répliques sont abominables. Mais disons qu’un certain détachement dans le ton ainsi qu’un prologue dévoilant beaucoup trop n’autorisent pas à lire tout premier degré ni à se sentir complètement imprégné de l’intrigue.
C’est aussi une suite, puisque c’est le deuxième d’une série de cinq polars où Lehane met en scène un couple d’amis détectives : Patrick Kenzie et Angela Gennaro. Nul besoin d’avoir lu le premier cependant pour suivre l’histoire.
La question est donc : ces deux détectives et l’enquête qu’ils mènent dans Ténèbres, prenez-moi la main donnent-ils envie de s’acheter les 4 autres bouquins où intervient le duo, et tant qu’on y est Mystic River et Shutter Island, et tant pis si la couv de ces deux-là est désormais celle des films, et tant pis si cela implique affronter les mêmes jaquettes que tant d’autres lectrices dans le RER ?
Ma réponse serait à la rigueur, mais rien n’urge non plus à ce moment-là…
Parce que la lecture n’est pas désagréable, l’intrigue est plutôt accrocheuse, le style efficace, cependant il m’a manqué des personnages plus charismatiques, moins oubliables.


Attention, la suite de ce post dévoile des infos capitales sur le contenu du bouquin !


De cette lecture je retiens que dans mon best-seller :

J’éviterai d’abuser des comparaisons et métaphores.
Ça, c’est typique des écrivains américains ! A croire que 90% d’entre eux ont participé aux mêmes cours d’écriture où on leur a appris que pour faire pro il faut sans cesse recourir à l’analogie tarabiscotée. Vous n’avez pas cette impression ? La preuve par l’exemple, avec ceci que l’on trouve en page 30 :
À mon réveil, une méchante brise glaciale pareille au souffle d’un dieu puritain s’insinuait en sifflant par les fissures sous mes fenêtres. Le ciel était pâle et dur comme le cuir d’un gant de base-ball (…) et le soleil voilé s’efforçant de percer l’étendue figée des nuages ressemblait à une orange piégée sous la surface d’un étang gelé.
Vous vous les représentez, vous, le souffle du dieu puritain, le ciel « pâle et dur comme le cuir d’un gant de base-ball » et le soleil ressemblant « à une orange piégée sous la surface d’un étang gelé » ?
Et il y en a tant d’autres ! J’ai savouré celui-ci, en page 101 :
La lune voilée ressemblait à ces blocs de glace d’où émanent des vapeurs blanchâtres, et l’air était imprégné d’odeurs semblables à celles qui flottent généralement après un match de football entre lycéens, le soir.

Bon alors là, c’est peut-être parce que je ne suis ni américaine ni garçon mais je dois dire que les odeurs d’après « match de football entre lycéens, le soir » ne m’évoquent pas grand-chose d’intéressant…
Mais ce n’était pas encore mon préféré. Mon préféré, je l’ai trouvé page 127 :
Le hall sentait l’ammoniaque, le solvant au pin et la sueur intellectuelle accumulée depuis deux siècles – un parfum de connaissances cherchées et de connaissances acquises, de grandes idées conçues sous la lumière poudreuse d’un soleil fragmenté se déversant par un vitrail.

Ah, le parfum de la sueur intellectuelle, des connaissances et des « grandes idées conçues sous la lumière poudreuse d’un soleil fragmenté se déversant par un vitrail », c’est, comment dire, ah voilà que je ne trouve pas mes mots, hum, mettons, légèrement fumeux non ?

Je ne m’efforcerai pas de varier mes verbes à tout prix.
Dans mon post Hubert Reeves, Einstein, l'âge et la force des convictions déjà, je faisais l’éloge du verbe « dire ». Bien sûr je ne prétends pas qu’il est toujours mieux de « dire » plutôt que d’« acquiescer », de « rétorquer », de « répliquer », etc., simplement des fois on sent trop les efforts d’un auteur essayant par tous les moyens d’éviter une répétition de verbe.
Un petit exemple page 181 :
- On a un problème, fit ce dernier.
- Peut-être un petit problème, renchérit Devin, ou peut-être un gros.
- Et c’est… ? s’enquit Angie.
- Asseyons-nous d’abord, déclara Oscar en repoussant son assiette.
Un autre page 273 :
- Les gens qui nous connaissent savent qu’on s’évite depuis une bonne dizaine d’années, Patrick, objecta Phil. (…)
- Mais vous étiez proches avant ? lança Bolton.
- Comme des frères, répondit Phil (…).
- Pendant longtemps ? reprit Bolton.
- Du berceau jusqu’à… disons, nos vingt ans, précisa Phil.
Je ne dis surtout pas qu’il faudrait tous les remplacer par le verbe dire, mais vous ne trouvez pas que ça fait laborieux, que ça perturbe légèrement le rythme de lecture ?
Dubitatifs ? Peut-être cette réplique-là (p. 36) vous convaincra-t-elle :
- Ouuuh, ulula Bubba.

Franchement si tout œil ne tique pas sur cette surabondance de « u », je ne suis plus experte en best-sellers moi ! Sans compter que l’image n’est pas tellement appropriée : si le Bubba en question a beaucoup du petit ourson du même nom, il ne tient en revanche rien de l’oiseau de nuit…

J’adopterai les fins de chapitres judicieusement placées.
Ah il sait y faire Lehane, y’a pas à dire. On est pépères en train de suivre une petite conversation gentillette entre un détective ou deux, un flic ou deux, un mafieux ou deux, rien de très palpitant, et là paf !, une phrase vient tout bouleverser. Et du coup paf !, on change de chapitre. Im-pos-si-ble de refermer ce bouquin à la fin d’un chapitre. Pas toujours d’une grande finesse, mais d’une efficacité imparable !

Je me trouverai un éditeur endurant.
C’est-à-dire un éditeur qui relira mon bouquin jusqu’au bout, plutôt que de laisser coquilles orthographiques et mots manquants s’accumuler sur les 100 dernières pages.

J’éviterai d’attenter à la patience de mes lecteurs.
Quand le héros croise un type et qu’on lui fait remarquer que ce type aurait été super canon s’il avait été une nana, et que quelques pages plus loin, dans un van du FBI, il voit la photo d’un type qu’il lui semble reconnaître et dont il se dit que les traits sont ceux d’une jolie nana, nous lecteurs ne pouvons qu’aussitôt faire le rapprochement. Bien sûr cet idiot de héros non. Et ça nous agace. Quand en plus il tourne autour du pot, notre patience commence à atteindre ses limites :
J’avais la certitude de l’avoir déjà vu, mais impossible de le remettre.
Je songeai à différentes possibilités :
Dans la rue. Dans un bar. Dans un bus. Dans le métro. Au volant d’un taxi. Au club de sports. Au milieu de la foule. Pendant un match. Dans une salle de cinéma. À un concert.
Grrrrrr…
Quand après de longs errements le héros a enfin une révélation et parvient à faire le lien entre les deux types, loin d’être subjugués par la perspicacité de notre héros détective, on est surtout consternés…

Je tolérerai qu’interviennent quelques femmes normales.
Car si chaque femme que le héros croise est l’une des plus belles femmes qu’il ait jamais vues, on se demande où sont toutes les autres et si le jugement du héros est fiable en la matière.

J’adopterai le scénario à rebondissements.
Parce que c’est tout de même ce qu’on attend d’un polar : du suspense, de fausses pistes et des surprises. Mais du coup je ne ferai pas de prologue se déroulant après le récit et donnant 5 noms de personnes survivantes, parce qu’alors on sait que les morts et les méchants ne compteront pas au nombre de ces 5 noms-là, ce qui réduit énormément les possibilités et par la même occasion le suspense.

Je ferai un méchant digne de sa réputation.
Quand on nous fait miroiter en début de bouquin l’intervention d’un tueur si démoniaque que l’on n’ose même pas le nommer, on se prépare aux grands frissons. Alors quand le méchant se révèle être un homme qu’on a trouvé plutôt brave type pendant tout le bouquin et qui dans les dernières pages se fait tuer plutôt facilement, on crie à l’arnaque !

J’éviterai la scène du « je t’aime » bouleversant...
… si c’est pour que le héros, qui en l’occurrence découvre l’amour, découvre ce que c’est d’entendre « Je t’aime » et de le dire à son tour en le pensant, d’aimer et de se sentir aimé, qui découvre un sentiment qu’il dit n’avoir jamais éprouvé jusqu’alors, soit irrésistiblement attiré par une autre femme cent pages plus loin et oublie aussi sec celle qui avait fait l’objet de ces sentiments prétendument uniques.
D’autant plus pathétique quand le héros se veut porteur d’une morale irréprochable, à grand renfort de discours du genre :
Il y a déjà assez de malveillance comme ça chez le type normal qui se lève chaque matin pour aller bosser et se prend pour quelqu’un de bien alors que si ça se trouve, il trompe sa femme, entube ses collègues, ou reste persuadé, tout au fond de son cœur, de l’infériorité d’une ou deux races.
La plupart du temps, notre capacité de rationalisation étant ce qu’elle, il n’a jamais conscience du dilemme. Et il peut quitter cette terre en se croyant bon.
Je pourrai faire pareil, toutefois, si je veux mettre mon héros face à ses faiblesses et contradictions et les rendre intelligibles au lecteur. Mais alors il faut que cela se ressente. Si le lecteur ne comprend pas où l’auteur veut en venir, l’auteur doit partir du principe que c’est lui qui ne s’est pas correctement fait comprendre…

>> Ténèbres, prenez-moi la main, de Dennis Lehane, VF, traduction Isabelle Maillet, Rivages Noir, 2002, 512 pages.

mercredi 19 mai 2010

Godard, œuvre et droit de citation

godard film socialisme

Godard n'est pas à Cannes. Son Film Socialisme si, et encore, il n'est pas plus à Cannes qu'ailleurs puisqu'il est disponible sur YouTube en 5 versions accélérées. En tout cas le réalisateur, lui, n'a pas fait le déplacement, officiellement, vous l'avez probablement entendu, en raison de « problèmes de type grec ».
Les Inrocks l'ont rencontré, chez lui, en Suisse. Lisez « Le droit d'auteur ? Un auteur n'a que des devoirs » Jean-Luc Godard, c'est quelque chose !

Comme le titre de cet entretien ne l'indique pas, JLG y parle de bien d'autres choses que du droit d'auteur. Mais c'est de ce qu'il dit de ça que j'ai envie de vous parler.

Godard se dit « contre Hadopi, bien sûr ». Au journaliste qui lui demande s'il ne réclame aucun droit aux artistes qui prélèvent des images de ses films, il répond « Bien sûr que non ». Il revendique d'ailleurs un droit à la citation, plaidant : « En littérature, on peut citer largement. Dans le Miller de Norman Mailer, il y a 80 % de Henry Miller et 20 % de Norman Mailer. En sciences, aucun scientifique ne paie des droits pour utiliser une formule établie par un confrère. Ça, c'est la citation et le cinéma ne l'autorise pas ».
Vous commencez à me voir arriver là, non ? Évidemment, le problème des droits d'auteur se pose quand on tient un blog. Vous aurez remarqué que je m'autorise les citations, je m'autorise également à illustrer mes billets par des images dont j'ignore le plus souvent les crédits. Lorsque Wikipedia, Google Images ou Flickr m'informent que des visuels sont sous licence creative commons, c'est-à-dire réutilisables à des fins non commerciales, cela ne me permet ni d'être certaine que tel est bien le cas, ni d'être certaine que mes petits assemblages de 2 ou 3 images, toujours redimensionnées, souvent coupées, retouchées, recadrées respectent cette licence.
Oui mais, ce blog n'a aucune visée commerciale, n'affiche ni pub ni liens potentiellement lucratifs, est ouvert à chacun sans que j'aie l'impression d'y complètement sortir d'un cadre privé. Ça ne me semble pas vraiment autre chose que de récupérer un logo « flower power » et le coller sur un sac que je porte à l'épaule dans la rue, ou de faire un karaoké sur un morceau de Grease à un mariage, or ça qui me le reprocherait ? Il me semble pourtant moins nuisible de pratiquer le pillage d'images et la citation sur un blog confidentiel que d'infliger à tous du flower power ou  un pastiche de Grease... non ?
En tout cas Godard ne m'en tiendrait sans doute pas rigueur, puisque, à propos de pillage, il dit : « des gens le font, mettent ça sur Internet et en général c'est pas très bon... Mais je n'ai pas le sentiment qu'ils me prennent quelque chose. »

Ouf. Tout ça pour justifier que ce blog ne respecte pas le droit d'auteur.

Vous remarquerez que le contenu de ce blog n'est pas davantage protégé par un quelconque droit d'auteur. Quand j'ai commencé à y écrire, on m'a conseillé d'y faire figurer un copyright, on m'a fait remarquer que je passais du temps à écrire ces billets, que cela représentait du travail, que je ne devais pas me laisser piller, qu'il fallait faire respecter mes droits.
Quels droits ?
« Un auteur n'a aucun droit. Je n'ai aucun droit. Je n'ai que des devoirs. », dit Godard. Godard, celui du Mépris et de Pierrot le fou, celui des Histoire(s) du cinéma et de Allemagne année 90 neuf zéro. Si un auteur tel que lui n'a aucun droit, à quoi pourraient prétendre mes posts sur mon blog ?

Lire-pour-ecrire continuera donc à tout ignorer de tous types de droits d'auteur !

Soit. Mais alors... et pour nos best-sellers ? Car là c'est autre chose, un best-seller ce n'est pas un post sur un blog, c'est, allez, osons le dire, une œuvre !
« Non », répond Godard. « L'œuvre, je n'y crois pas ». Bon, je suis malhonnête, en fait si, il admet qu'il y a des œuvres, c'est à « l'œuvre dans son ensemble, le grand œuvre » qu'il ne croit pas. Mais ça n'y change rien, déjà parce qu'il y a de la marge avant qu'on soit en mesure de qualifier d'œuvres nos futurs succès littéraires, pas vrai ?, et aussi parce que, quand bien même, Godard dit encore qu'il « ne devrait pas y avoir de propriété des œuvres ». C'est aussi simple que ça.
Reste qu'un best-seller ça sert aussi, espère-t-on (et espèrent éditeurs et diffuseurs), à rapporter un peu d'argent.
Nul copyright ici donc, mais en ce qui concerne nos best-sellers on s'en tiendra peut-être au principe de réalité.
Principe qui a rattrapé Godard, puisque son distributeur ne l'aura pas laissé libre d'adapter le temps de distribution de Film Socialisme à son temps de production : le tournage s'est étalé sur 4 ans, Godard aurait aimé se donner un temps tout aussi adéquat pour la distribution. Il imaginait former au parachutisme un jeune couple « qui soit un peu lié au cinéma », les expédier aux quatre coins de France diffuser une copie et enquêter sur les réactions, sonder ainsi progressivement l'accueil fait au film. Au lieu de quoi : une sélection à Cannes, et une sortie simultanée en salles de cinéma et sur un site Internet de vidéos à la demande.
Dommage ?
Bah, il nous faut simplement accepter le fait que les distributeurs ont leurs propres problèmes de type grec...

mercredi 12 mai 2010

Nancy Huston et le côté artistique de la vengeance aveugle

nancy huston vengeance aveugle

Hier soir je relisais Slaloms, l'une des « Formidables aventures de Lapinot » de Lewis Trondheim. Dans une bulle, Richard (le félin allumé) dit à Lapinot, Titi et Pierrot : « Pff… vous ne comprenez rien au côté artistique de la vengeance aveugle ». Vous y comprenez quelque chose, vous ? Je vous le souhaite, car dans ce post il sera avant tout question de ça !
Vous vous en souvenez, j'espère, dans les premières pages d'Âmes et Corps Nancy Huston semblait remettre en cause l'existence de ce blog. J'avais légitimement crié vengeance. Or la vengeance, m'a appris Lio, est un plat qui se mange froid, j'ai donc patiemment rongé mon frein, sauf que là ça fait déjà bientôt 15 jours et vu les températures que nous propose ce printemps mon plat me semble avoir macéré largement ce qu'il faut. Alors c'est parti !


Ma vengeance aveugle contre Nancy Huston étape 1 : le choix des armes

Qu'elle soit aveugle n'implique pas que ma vengeance ne soit pas réfléchie ! Ne serait-ce que parce qu'il fallait bien que je trouve où et comment l'attaquer, Nancy Huston. Coup de bol, elle désigne l'arme idéale dès la page 31 d'Âmes et corps, dans son texte Déracinement du savoir, où elle écrit  : « Je sens qu'il faut fuir comme la peste les analyses « savantes » de ce que moi j'écris. (…) Discourez à mon sujet si vous le désirez mais de grâce, épargnez-moi vos conclusions ! »
Bingo ! Ah non, pas les analyses « savantes », ça vous avez compris que ce n'était pas le propos de ce blog, en revanche discourir et dispenser des conclusions, no problemo ! En les affirmant de manière péremptoire et absolue bien sûr, ce qui ajoutera au châtiment puisque Huston dit aussi, dans son texte Une semaine…, qu'elle n'a presque plus d'opinions, qu'elle écoute celles des autres « éberluée par la facilité avec laquelle ils les acquièrent et la violence avec laquelle ils les défendent »…


Ma vengeance aveugle contre Nancy Huston étape 2 : on repompe

L'art de la vengeance ça me connaît, c'est que j'ai lu Sun Zi à une époque, et donc c'est aussi savoir piquer à l'adversaire ses armes pour les faire nôtres. Comme j'admets de bonne grâce que Huston est brillante, son écriture fine, argumentée, précise, etc., en vertu de quoi irais-je me priver de lui piquer quelques idées, hum ? Ce qui au passage vous permettra de constater que, traduites avec mes mots, les précieuses pensées de Huston ne sont finalement que des rappels de grossiers basiques éculés…

1/ Parler de ce qu'on connaît
Dans le texte Tolstoï et Sartre : bonne foi, mauvaise conscience, Nancy Huston reproche à Sartre son asservissement à l'intelligence, ses personnages romanesques ressemblant si peu à des êtres humains. Elle a cette phrase : « Si l'écrivain se coupe de son enfance, de ses racines, de sa mémoire physique, onirique, ancestrale, il se prive de tous ses moyens artistiques. Car c'est précisément ce qui, chez lui, est « contingent » (…) qui constituera, dans ses livres, sa force ».
Ça en jette hein ? Oui enfin bon en même temps qu'est-ce d'autre au final qu'une paraphrase de ce précepte avec lequel on n'a de cesse de rebattre nos oreilles d'écrivains en devenir  : parlons de ce que nous connaissons ! Cela dit, ça ne peut pas faire de mal de le répéter une fois de plus…

2/ Écouter la musique de ses textes – et se relire !
Rien de mystique hein, rassurez-vous, il s'agit uniquement d'entendre comment sonnent nos phrases. Dans son texte Festins fragiles, Huston dit que « chaque roman a sa musique spécifique ». Elle ajoute : « la révision d'un texte littéraire – phase infiniment plus longue et ardue que celle de son écriture – relève pour moi d'une écoute exigeante de son rythme, de sa poésie ! ».
Huston n'est pas seule à le dire. Beaucoup d'écrivains témoignent se relire à haute voix pour entendre la rythmique de leurs phrases. Dans le somptueux Les chênes qu'on abat…, Malraux rapporte que De Gaulle déplorait avoir du mal à s'extraire du rythme ternaire dans ses écrits.
Alors n'attendons plus et adoptons la relecture à voix haute !
Notez que la citation de Huston fait référence à un autre incontournable : le temps de relecture. Le livre n'existe pas tant que tous les mots ne sont pas couchés sur papier, on est d'accord. Mais pour tous ceux d'entre vous qui ne sont pas des génies (ah non, je n'ai certainement pas à m'inclure dans cette catégorie  !) le livre n'existe toujours pas une fois que le point final du récit a été posé. Vous n'avez alors qu'une ébauche qui demande à mûrir et s'affiner. Une fois votre récit terminé, relisez-vous. Et coupez, et réécrivez. Puis relisez-vous et recoupez et re-réécrivez. Et quand vous pensez vous être suffisamment relus, laissez poser quelques semaines puis relisez-vous à nouveau, et recoupez et réécrivez, jusqu'à ce que chaque mot vous paraisse irremplaçable et indispensable et que rien ne vous semble améliorable. Et puis allez relisez-vous encore une dernière fois pour la route, et là on verra ce que l'éditeur pourra bien trouver à redire (ou à relire ?) !

3/ Se prendre pour Être Dieu !
Dans son texte Marguerite Duras : les limites de l'absolu, Nancy Huston écrit : « Tout écrivain ment en sélectionnant, pour se créer un monde à l'intérieur de l'univers  ». Ok. Mouais. Allons plus loin, non ? Nous ce qu'on veut c'est écrire des best-sellers, pas la réalité. Comme disait Sydney Pollack dans Tootsie, les gens ne veulent pas payer une place de théâtre pour entendre parler de miasmes chimiques quand ils en respirent déjà toute la journée ! Eh bien pour les bouquins, c'est pareil !
Quand nous écrivons nous avons tous les droits, toutes les libertés. Nous pouvons créer l'univers comme nous l'entendons, à notre image ou non. Zut, quand nous écrivons, nous sommes Dieu !!

4/ Permettre à l'histoire de mener sa vie propre
Dans Instruments des ténèbres, Nancy Huston fait dire à son héroïne Nadia/Nada, parlant de l'écriture, ceci : « D'avance, on sait très peu sur la forme que prendra la statue. (Jamais je n'aurais cru que la grossesse de Barbe se passerait ainsi.) ». Tout au fil de ce livre, on retrouve cette idée d'un récit qui prend forme presque malgré l'auteur.
Bon ça c'est vrai. Vous qui écrivez, ça vous est arrivé n'est-ce pas ? Vous avez votre trame, plus ou moins détaillée, parfois peut-être très détaillée mais bien sûr tous les détails ne vous sont pas encore connus, et donc vous commencez à rédiger une scène et subitement l'un de vos personnages a un geste, une parole, un acte que vous n'aviez pas anticipé – ou en tout cas pas eu conscience d'anticiper. Grisant non ? Beaucoup d'auteurs parlent de ce moment prodigieux où les personnages commencent à vivre leur propre vie. Certains parlent de muse, dans Instruments des ténèbres Huston fait intervenir un daimôn. D'autres parlent simplement d'inspiration.
Mais restons terre-à-terre, l'inspiration n'est pas toujours de bon conseil (les passages faisant intervenir le daimôn sont d'ailleurs ceux qui m'ont le moins intéressée dans Instruments des ténèbres), et la transe créatrice n'empêche pas de se rappeler des points mentionnés en 2/ : garder à l'oreille la musicalité de l'ensemble, et surtout relire, relire et relire.

5/ Être un écrivain nouveau
Dans son texte Le déclin de l'« identité » ?, Nancy Huston s'interroge sur le rôle de l'écrivain. Il y a un siècle, un siècle et demi, dit-elle, « les écrivains pouvaient encore viser à élargir les horizons de leurs lecteurs ». En effet, l'existence du « lecteur d'antan » était « restreinte à la réalité ». Ce lecteur n'avait ni télé, ni radio ou téléphone, ni appareil photo, ni voiture. Il ne savait « que ce qu'il voyait, entendait, et touchait ». Ainsi, la littérature « sous toutes ses formes » pouvait-elle s'appliquer « à faire exister, dans l'ici et le maintenant, des réalités d'ailleurs ou d'autrefois ». Huston dit encore que ce lecteur « avait une identité culturelle ». Tandis que le lecteur contemporain « en a mille : autant dire aucune ».
Arrivés à ce stade, j'imagine que vous brûlez d'impatience de savoir ce que Nancy Huston propose comme rôle à l'écrivain nouveau. Je vous comprends. Et pourtant, désolée, mais ce passage ne m'a pas suffisamment convaincue pour que j'aie envie de vous l'expliquer là. Non, vraiment, n'insistez pas.
Pff, trop faible moi… Bon allez, ok, d'accord, très bien, je vous le résume quand même, mais vite fait alors, et vous allez voir c'est décevant ! Alors donc en gros il y aurait désormais les écrivains « polarisés » (qui trouvent matière dans leur culture et s'en satisfont), les écrivains « pulvérisés » (multiculturels parfois jusqu'à l'excès, par exemple Romain Gary), et les écrivains « divisés », ceux qui ont non seulement changé de pays mais en souffrent. Naturellement, Nancy Huston se rangent dans ces derniers. Naturellement, elle leur trouve toutes les qualités du monde. Et naturellement, elle n'y range pas les futures écrivains bretonnes exilées à Paris ! Ah ce snobisme de la double nationalité métropolitaine… Voyez, c'était vraiment pas la peine de s'y attarder.
D'autant que moi, j'ai compris directement ce qu'était l'écrivain nouveau. C'est J.K. Rowling et c'est J.R.R. Tolkien. C'est écrire Harry Potter et Le seigneur des anneaux. Si le lecteur d'aujourd'hui a une existence non restreinte à la réalité, alors oublions la réalité, offrons-lui tout ce qu'il imagine et tout ce qu'il ne peut imaginer car il n'est pas l'écrivain génial que nous serons bientôt ! Dire que certains ont besoin d'écrire des textes alambiqués pour y réfléchir et ne comprennent même pas que la solution est aussi simple que ça. C'est pourtant pas sorcier…

6/ Affronter les angoisses de l'écrivain
Enfin, dans Déracinement du savoir, parlant d'un atelier d'écriture auquel elle a participé étudiante, Huston nous rapporte ce qu'elle y a appris des peurs de l'écrivain : « l'angoisse de la page blanche, le « blocage de l'écrivain », la rivalité, l'impuissance, la rage et la jalousie littéraires, et le désir (absurde, évidemment, pour une jeune fille de dix-neuf ans) d'être Écrivain avec un grand E, d'écrire tout de suite un chef-d'œuvre… Oui : j'appris, en somme, à ne plus oser écrire du tout, et à vouloir, à défaut d'écrire, mourir ».
Nous aurons plein d'occasions de revenir sur l'angoisse de la page blanche, le blocage, la rivalité et toutes ces choses dans de prochains billets. Attardons-nous plutôt sur le drame de cette pulsion de mort, quand l'écriture ne vient pas ou n'est pas à la hauteur. Entre nous, cette pulsion, oubliez-la : elle ne nous concerne certainement pas ! Oh non, ouhlàlà, pas du tout, personne ici n'a jamais parlé de devenir Écrivain avec un grand E ni d'écrire un chef-d'œuvre, juste de devenir ces écrivains suffisamment avertis, un minimum doués et ce qu'il faut de besogneux pour produire des best-sellers ! Entreprise autrement valorisante et différemment ambitieuse, moins narcissique, moins destructrice et potentiellement beaucoup plus lucrative. Que du bénéf, je vous dis !


Ma vengeance aveugle contre Nancy Huston étape 3 : et maintenant on frappe un grand coup !

Bon qu'est-ce que vous en pensez, je suis suffisamment vengée là ? Je ne sais pas moi, je me dis qu'une vengeance n'en est pas vraiment une sans coup de grâce. Ce serait dommage de s'en tenir à de la demi-teinte, non ? D'autant qu'elle, elle n'y est pas allée de main morte quand elle s'en est prise à ce blog.
Bon allez, puisqu'on est tous d'accord, en avant pour l'assaut final !!
J'avoue que ça m'arrange que vous ayez accepté, ça fait un moment que je voulais inaugurer la version féminine de mon logo « danger cliché » et je suis drôlement contente de le faire aux dépens de Nancy Huston !
Car oui, on trouve du gros méchant cliché chez Huston, comme quoi même les plus brillants esprits n'y échappent pas !
Mais laissez-moi savourer cette vengeance. Ce cliché, je ne vais pas vous le livrer comme ça, abruptement, ça gâcherait le plaisir. Je vous raconte.
Alors imaginez-moi, qui étais là, tranquillement en train de lire Âmes et corps. Toute à mon esprit de revanche. Me réjouissant à l'idée de tous les sarcasmes et raccourcis faciles que ça allait pouvoir m'inspirer et de toutes les bonnes infos que j'allais pouvoir y piocher pour vous les livrer gratuitement ici. Hmm... c'était bien !…
Jusqu'à ce que j'en arrive, page 183, au texte La donne. Huston dit que c'est, de ses textes, celui qui a été le plus largement diffusé, et l'un des plus sujets à polémiques. J'en ai cherché des commentaires dans Google, n'en ai pas trouvé parmi les premiers résultats de ma recherche et ai abandonné. J'aurais été curieuse de savoir ce qui s'en est dit pourtant. Car moi, ce texte m'a gênée. Tellement que j'ai douté, après l'avoir lu, pouvoir mener ma vengeance à bien. Sérieusement, oui oui !
Avant Âmes et Corps je ne connaissais quasi rien de Nancy Huston. Ma première lecture d'Instruments des ténèbres ne m'avait pas laissé un souvenir impérissable, au point que j'avais mélangé cette lecture avec celle de Ténèbres, prenez-moi la main, de Dennis Lehane, qui n'a pourtant rien à voir si ce n'est ce « ténèbres » dans le titre français. Je suis également toujours passée à côté de ses interventions dans Le Monde et autres journaux. J'ignorais qu'elle était cette érudite, féministe, penseuse de l'esprit, provocatrice, douée. J'ignorais qu'elle était cette femme que je trouvais belle en découvrant son profil sur la couverture d'Âmes et corps. C'était donc pour moi une grande, belle et intelligente découverte.
Jusqu'à ce fameux texte La donne, dont le premier paragraphe débute par les mots « Je suis belle » et le second par les mots « Par ailleurs, je suis intelligente ». Dans ce texte, elle s'en prend à l'hypocrisie qui consiste à nier qu'il existe une « donne », une inégalité de départ tant au niveau de l'intelligence que de la beauté. Elle argumente, se prend comme exemple. Est-ce cela qui m'a gênée, qu'elle se décrive comme belle et intelligente ? Je le pensais avant qu'elle ne me le dise, pourquoi cela me gênerait-il ? Ou alors étais-je gênée qu'elle le dise ? Est-ce que cela m'énervait qu'elle ne fasse pas preuve de cette humilité, que certains peuvent choisir d'appeler hypocrisie ou fausse modestie, en tout cas de cette attitude communément admise qu'on ne se vante pas de ces choses-là ? Je ne crois pas. Enfin, ok, ça m'a peut-être énervée, un petit peu. Ou plus qu'un petit peu, peut-être, ok.
Il faut dire que certains de ses choix de mots ont de quoi crisper. A plusieurs reprises elle parle de sa « beauté supérieure » et de son « intelligence supérieure » (par exemple : « mon intelligence supérieure rendait pénible et humiliant de travailler à plein temps comme secrétaire »). Elle dit que ses occasions de tirer avantage de sa beauté furent innombrables, mais aussi inévitables : « si j'avais voulu les éviter, il aurait fallu que je me déguise en femme laide ». Elle semble penser avoir eu accès à des expériences qui ne se peuvent vivre que lorsque l'on est, comme elle, exceptionnellement gâtée en matière de beauté et d'intelligence, par exemple dans ce passage où elle déclare : « Il est rare qu'une seule et même personne ait fait l'expérience des deux extrêmes, c'est-à-dire, ait été traitée en alternance comme tout-corps et comme tout-esprit ».
Alors oui, j'admets que l'accumulation de telles formules m'a agacée, cependant jusqu'au bout je me suis dit qu'il devait s'agir d'un second degré qui me dépassait. Et puis Huston insiste sur sa beauté et son intelligence mais se défend régulièrement de s'en vanter, arguant : « je n'ai jamais compris qu'on puisse se vanter du jeu qu'on avait reçu grâce aux hasards du destin ». Ma gêne ne venait donc certainement pas (que) de ça.
Alors quoi ?
Alors déjà, peut-être (sûrement dites-vous ?) fais-je partie de ces idéalistes qui ne veulent pas accepter une vérité, mais moi je prétends que tout n'est pas joué dès la naissance. Que la beauté comme l'intelligence sont des choses que l'on peut travailler – que l'on peut également choisir de ne pas travailler, d'ailleurs. Je prétends aussi que quand Nancy Huston dit que, parce qu'elle a quarante ans, sa beauté n'en a plus pour longtemps, et que désormais ses étudiantes sont souvent plus belles qu'elle, et que bientôt sa fille d'alors 11 ans sera plus belle qu'elle, elle se trompe. Qu'il est possible de dissocier beauté et potentiel de séduction, et que la beauté d'une jeune femme au sommet de son potentiel de séduction avec tout ce qu'elle irradie d'hormonal n'éclipse pas la beauté d'une femme de tout âge y compris très avancé dont le corps et l'esprit (Nancy Huston ne parle-t-elle pas d'âmes et corps ?) s'expriment en harmonie.
Mais surtout ce qui m'a gênée, le gros méchant cliché dont je vous parle (oui, nous y voilà !), c'est tout ce que Huston pense ne pouvoir exister que pour celles qui disposent d'une beauté supérieure, d'une intelligence supérieure. Je prétends que quand Nancy Huston imagine que très peu de personnes ont, comme elle, vécu alternativement des situations où elles étaient traitées comme purs esprits et des situations où elles étaient traitées comme purs corps, elle se trompe. Je prétends qu'il n'est pas besoin d'être supérieurement belle et/ou intelligente pour être régulièrement traitée parfois comme tout-corps, parfois comme tout-esprit. Je me sens bien placée pour témoigner de ce que toute femme, toutes quelconques que soient sa beauté et son intelligence, est régulièrement traitée en alternance comme tout-corps et comme tout-esprit.
Je crois que la conscience que Huston a de sa beauté et de son intelligence a nui à son objectivité. Je la soupçonne d'être engagée dans une course à laquelle elle imagine peut-être que toute femme participe activement et à laquelle pourtant je sais que toute femme ne souhaite pas forcément participer (je me fonde par exemple sur ce passage où, parlant d'un charismatique écrivain-professeur qui animait des ateliers d'écriture à l'université, auxquels assistaient Huston ainsi que 9 autres jeunes femmes, toutes, selon Huston, très intelligentes et très belles, et toutes, selon Huston, se livrant « une concurrence féroce pour plaire au professeur », Huston donc, étant parvenue à le séduire et coucher avec lui, écrit ces mots : « J'ai gagné ». Bien sûr je n'en ai pas été témoin, mais j'ai du mal à imaginer que ces 9 autres jeunes femmes nourrissaient toutes un réel désir de coucher avec leur professeur. Qu'il y ait eu jeu de séduction certainement, mais tant de fantasmes ne veulent surtout pas être assouvis ! Qui a gagné, qui a perdu, et quoi ?). Et je dis que j'ai été déçue et même attristée de lire ces phrases, ces clichés, de la part de celle que je venais de découvrir si brillante, intelligente et féministe.

Ça casse, ça, hein ?!
En tout cas pour ma part, ayé, ça va mieux, vengée !
Quant à vous remerciez-moi tout de même, c'est vrai quoi, vous aussi ça vous défoule, non ? Et puis j'ai été sympa, je vous ai fait grâce de « Huston, vous avez un problème » ! (Ah ben non, désolée, pas pu résister finalement…)


Ouvrages cités :
  • Slaloms, Les formidables aventures de Lapinot tome 0, de Lewis Trondheim, L'Association 1993 puis Dargaud en 1997 (entièrement redessiné !), 48 pages
  • Âmes et corps, Textes choisis 1981-2003, de Nancy Huston, Essai, Actes Sud, coll. Babel, 2009, 275 pages
  • Instruments des ténèbres, de Nancy Huston, Actes Sud, coll. Babel, 2005, 345 pages
  • L'art de la guerre, de Sun Zi (appelez-le Sun Tzu ou Souen Tseu ou ce que vous voulez, je ne démordrai pas de mon Zi, apprenez le chinois et vous verrez, et oui je sais qu'en vrai il s'appelait Sun Wu et alors ?, zut à la fin !), ne parlons pas d'éditeur ça ne voudrait rien dire c'est trop vieux, vous pouvez le lire gratuitement ici
  • Les chênes qu'on abat…, d'André Malraux, Gallimard, 1971, 239 pages

lundi 10 mai 2010

Tous narcissiques !

michel onfray et le narcissisme

Que de débats ces temps-ci autour de la parution du dernier Michel Onfray, celui sur Freud, Le crépuscule d'une idole (éd. Grasset). Onfray en discutait samedi soir sur France 2 chez Ruquier, lequel demanda à Raphaëlle Bacqué (grand reporter au Monde, qui n'est pas le dernier journal à publier des articles essentiellement à charge contre le philosophe depuis 3 semaines, lui offrant à l'occasion une tribune pour qu'il se défende et que le flot de critiques puisse reprendre de plus belle) si elle avait fait une (psych)analyse. Bacqué répondit qu'elle avait commencé mais avait vite arrêté, car elle ne devait pas être "assez narcissique pour ça".

Pas assez narcissique. La psychanalyse, ou le moi, moi, moi, moi ? Moi, je ?... Et quand bien même !

Et quand bien même, moi, je vous dis qu'elle se goure, Raphaëlle Bacqué. Elle est narcissique. Mais bien sûr, rhô, faites-moi confiance, puisque je vous le dis ! Et je suis narcissique, je ne dirai sûrement pas le contraire, d'ailleurs quoi de plus narcissique qu'un blog ? Et vous aussi vous êtes narcissiques, oh oui, qu'est-ce que vous croyez, nous sommes tous narcissiques ! Jusqu'à un certain point, je vous l'accorde, mais tout de même. Chaque personne se sent l'héroïne de sa vie, chaque personne se vit au centre du monde, même la très amoureuse, même la dépressive, même celle qui a 6 enfants, même l'empathique, et même mon dentiste vietnamien qui pourtant me dit qu'il n'est qu'une fourmi travailleuse à l'intérieur de la fourmilière.

Vous pensez que j'exagère ? Et pourtant nous sommes tous de cette espèce qui a placé la Terre au centre de l'Univers, qui a si longtemps refusé d'envisager que c'était elle qui tournait autour du Soleil plutôt que l'inverse, qui se pense aussi aboutissement de la Création, et qui chante : "Quand un gendarme / Rencontre un autre gendarme / Qu'est-ce qui les charme ? / Des histoires de gendarmes". Tous, narcissiques, tous, centrés sur nous.

Tant d'écrivains l'occultent, dépeignant un héros magistral mais des personnages secondaires désincarnés. Alors moi, je vous le demande : dans vos best-sellers, pensez égocentrisme universel, et décrivez des personnages existant chacun par et pour lui-même !

mercredi 5 mai 2010

Hubert Reeves, Einstein, l’âge et la force des convictions

hubert reeves sur einstein et la force des convictions

Ah, les « dialogues du ciel et de la vie » d'Hubert Reeves à France-Culture, c'était quelque chose hein ? Ah non ne me dites pas que vous avez raté ça, non vraiment vous seriez impardonnables, d'autant plus qu'ils sont toujours disponibles sur le site Internet d'Hubert Reeves et en bouquins aussi (sous les titres Chroniques du ciel et de la vie et Chroniques des atomes et des galaxies).
En lisant Ames et Corps de Nancy Huston (qui ne perd rien pour attendre, rassurez-vous, une promesse est une promesse !), où elle évoque Sartre pour en dire, entre autres, que son premier roman, La nausée, qu'il publia à 33 ans, fut également son plus réussi, j'ai repensé à une série de causeries de Reeves sur Albert Einstein, en décembre 2005. Il y disait d'Einstein, entre autres, que sa carrière comporta deux périodes bien distinctes, « l'une extrêmement fructueuse, l'autre quasiment stérile » : il élaborera, notamment, ses deux grandes théories de la relativité (la restreinte puis la générale) avant 40 ans, en revanche les 30 dernières années de sa vie se révéleront infécondes (en termes de production scientifique). Deux grands hommes, deux grands esprits qui auraient atteint leurs sommets dans leur jeunesse ?
Trop simple. Hubert Reeves évoque la force des convictions. Einstein, dit-il, avait une confiance illimitée en la toute puissance de la rationalité. Pour lui, « le monde est totalement compréhensible en termes de concepts, d'idées claires et de mathématiques. Le principe de causalité règne en maître : une cause produit un effet et un seul (…). Le hasard n'est qu'un alibi camouflant notre ignorance ». Ces convictions lui donnent la force d'établir, seul, des théories qui modifieront « notre vision du temps, de l'espace, de l'énergie et de tous les mouvements provoqués par la force de gravité ». Mais elles le pousseront également, le reste de sa vie, à en ignorer certains résultats.
Car certaines de ses équations ouvrent la voie à la physique quantique que développeront Bohr, Schrödinger, Heisenberg et d'autres, et qui, au grand dam d'Einstein, contient... une certaine dose d'indétermination ! L'accord entre les prédictions quantiques et les résultats de laboratoires est indéniable, Einstein en convient mais ne peut accepter de laisser une part au hasard, comme il ne peut accepter l'idée quantique que la façon d'observer la nature influence les résultats obtenus. Fort de ses convictions, il passera trente ans à tenter (en vain, naturellement) de trouver « une causalité cachée qui permettrait de se débarrasser [de ce] hasard quantique ». « Je ne peux pas croire que Dieu joue aux dés », dit-il au physicien quantique Niels Bohr. A quoi Bohr répond : « Albert, cessez de dire à Dieu comment il doit se comporter ». « Ne me dites pas que la Lune n'existe pas quand je ne la regarde pas », dit encore Einstein à Bohr, qui rétorque : « Comment voulez-vous que je le sache ? ». Ainsi se perdirent, pour la postérité, les trente dernières années d'un cerveau si brillant.
Intéressant, non ? Hum. Mais quel rapport avec l'écriture et en quoi cela nous aidera-t-il à écrire nos futurs best-sellers, me demanderez-vous. A vous de me répondre, cette fois ! Allez, questionnez-vous, décelez ce qui vous englue, relativisez vos convictions et dites-moi si vous trouvez toujours cela hors sujet...

Bonus du post
J'ai employé 9 fois le verbe « dire », conjugué ou non, dans ce court billet. Vous l'aviez remarqué ? Je parierais que non. Et pourtant 9 fois c'est beaucoup ! Oui mais souvent, dire ne se remarque pas. Alors que rétorquer (employé une fois ici), acquiescer, répliquer, approuver, riposter, réfuter et autres arrêtent l'œil. Dans vos dialogues, n'oubliez pas que « dire » souvent suffit, et n'interrompt pas l'essentiel – votre dialogue !