vendredi 31 décembre 2010

Confidences à Allah, de Saphia Azzeddine


L’histoire
Soliloque candide et furieux de la jeune marocaine Jbara, adressé à Allah, mais pas seulement.

Ma lecture
Jbara Aït Goumbra/Saphia Azzeddine est énervée. Contre l’usage que le Maroc fait de la religion, contre la pauvreté et la richesse, contre les idées reçues, bien-pensantes ou hypocrites, contre la perception du corps et les convenances. Elle s’en ouvre totalement, librement (et admirablement) auprès d’Allah, mais aussi de ses lecteurs qu’on imagine qu’elle imagine français (« fronçais », dirait Jbara).
C’est peut-être l’unique chose qui m’ait dérangée dans ce récit incarné et poignant : que par moments, de rares et tout petits moments, il perde un peu de son authenticité quand Saphia Azzeddine s’adresse trop directement non plus à Allah mais à un lectorat. Par exemple lorsqu’elle écrit : « Tandis qu’il me parle, je découvre une magnifique ceinture en or, l’équivalent de votre bague de fiançailles. » Notre bague de fiançailles ? Alors le discours glisse, alors le destinataire ne peut plus être Allah, alors toute cette rage nous devient destinée et la force de cette écriture qui semblait brute et spontanée s’efface sous un discours réfléchi et engagé qui, tout original et intelligent et rafraichissant qu’il soit n’en est pas moins archi-moralisateur.
À cette réserve près, ce livre est un véritable petit joyau. Mais un joyau poli.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

J’adopterai l’autofiction…
Ici, une vraie réussite !

… tout en restant humble.
Ainsi, je n’oublierai pas qu’un seul personnage détient rarement toutes les vérités. J’accepterai donc d’envisager certaines autres vérités.

J’irai jusqu’au bout de ma démarche.
Je traquerai donc le moindre anachronisme et la moindre déviance de mon discours. Et donc si ma narratrice est une jeune bergère marocaine inculte n’ayant jamais touché un jean de sa vie, la première fois qu’elle en aura un entre les mains elle ne jugera pas au premier coup d’œil qu’il lui ira « tip top ». De la même façon si ma narratrice est rétive à toute morale, j’éviterai tout discours ou situation moralisatrice (par exemple condamner mon héroïne à la prison le jour où elle sent qu’elle fait la première vraie mauvaise chose de sa vie, à savoir dire non à un homme qui l’aime), et préfèrerai faire confiance à la force de mon récit pour diffuser mes messages.

> Confidences à Allah, Saphia Azzeddine, Editions Leo Scheer, 2008, 145 pages.

dimanche 26 décembre 2010

Parce que je t’aime, de Guillaume Musso


L’histoire
Mark, le psy à succès, et Nicole, la superbe et talentueuse violoniste, avaient tout pour être heureux. Jusqu’à ce qu’un drame vienne bouleverser leur vie…

Ma lecture
Il fallait bien que je lise un Guillaume Musso. C’est vrai, je prétends m’intéresser aux best-sellers mais n’en étais encore jamais passée par là.
Alors c’est chose faite, et je dois dire qu’au sortir d’un mois de NaNoWriMo acharné, après lequel, vous l’aurez remarqué, j’ai eu du mal à me remettre à la lecture, l’écriture ou toute autre activité dont j’aurais pu vous parler ici, lire du Guillaume Musso est une expérience très gratifiante. Nombreux sont les écueils – ainsi que les gators (private joke réservée aux NaNoteurs, bah oui il faut bien que je me la raconte un peu !) – auxquels on se heurte quand on s’engage dans un marathon d’écriture, et ça fait du bien de constater que certains, sans cette pression du temps, arrivent à s’y heurter plus fort encore – et à s’en satisfaire, et à être publiés, et à être ultra-vendus.
Dans Parce que je t’aime, les héros vivent à New York, mais n’ont pas échappé à la violence de Chicago. Leurs vies peuvent avoir eu des « débuts prometteurs », un « milieu lumineux », jusqu’à ce que s’ensuive une « descente aux enfers ». Ils tenteront alors d’échapper à une « fin sordide ». Fréquemment, ils « écrasent des bâillements » ou « balayent le paysage du regard », parfois sous une « pluie battante ». Ils se posent des « questions lancinantes », vivent des « angoisses sourdes », ont des bébés à « la bouille ronde ». Il leur arrive d’être « spectateurs impuissants » face à des « événements tragiques ». Mais peu importe, car toujours l’amour triomphe, d’autant plus qu’ils se savent « unis par des liens indéfectibles ».
Une écriture qui ne place donc pas le curseur plus haut que l’envie de raconter une histoire, laquelle se terminera forcément par un rebondissement supposé imprévisible. Les personnages affichent des carrières brillantes, des profils lisses et des réparties convenues qui ne dénoteraient pas dans un bouquin de Mary Higgins Clark. On a d’ailleurs ici droit à autant de descriptions vestimentaires que chez la reine du suspense – avec en prime une abondance de citations de marques.
On est ainsi baignés dans un univers de carton pâte, reposant et sans surprise, saturé de bons sentiments, scénarisé et rédigé suivant des règles ultra balisées : expressions courantes voire clichés, citations en début de chapitres, repères temporels précis. Aucun risque que le lecteur se perde en cours de lecture, aucun risque qu’un élément quelconque lui échappe. La recette du succès ?...


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

Je n’abuserai pas des effets de tabulation.
Car le pathétique aussi a ses limites. Qui parfois semblent être franchies, comme en page 44 :
          « Mais quelle est l’espérance de vie d’une fille de quinze ans,
                    perdue,
                              sans ressources,
                                        au milieu d’une nuit d’hiver
                                                  à Manhattan ? »

Je ménagerai les oreilles de mes lecteurs.
Et donc je ne me sentirai pas obligée d’octroyer une bande-son à chacun de mes chapitres. Mais peut-être Musso projetait-il déjà l’adaptation cinématographique de ce roman ?...

Je vérifierai mes constructions de phrases.
Parce que je t’aime est parsemé de phrases du genre : « En tant que spécialiste de la résilience, la FAA et le FBI faisaient appel à lui lors des catastrophes aériennes et des prises d’otages. » Hum.

Je surveillerai mes images.
Musso en a de splendides, par exemple ici : « Le médecin lui tendit un mouchoir en papier et, quelques secondes, un parfum de reconnaissance flotta dans l’air. » Ah, ce doux parfum de reconnaissance… En lisant ça, moi, je n’ai pas pu m’empêcher de lever le nez pour le regarder flotter !

J’éviterai de faire l’apologie de la sœur jumelle de Paris Hilton.
Car même si c’est possiblement vendeur, je devrais tout de même pouvoir trouver mieux à écrire !

Je fixerai le temps de mon histoire.
Que les flashbacks soient écrits au passé, cela semble logique. Mais que le cours du récit soit rédigé tantôt au passé, tantôt au présent, ça me laisse perplexe. Vous comprenez quel pourrait en être l’intérêt, vous ?

> Parce que je t’aime, Guillaume Musso, Pocket, 2008, 313 pages.

mardi 30 novembre 2010

NaNoWriMo winner !

Youhouhou, et voilà, c'est chose faite, je suis devenue exceptionnelle !
Eh oui : j'ai remporté un NaNoWriMo !!
Je n'aurai pas déserté ce blog tout le mois de novembre pour rien, mais pour 50.273 mots, soit 94 pages word en times 12 interlignage simple, qui m'auront coupée de toute vie sociale et de tout sommeil raisonnable pendant 30 jours, mots qui en outre ne valent dans l'ensemble pas grand-chose, cela dit j'aimerais vous y voir vous, écrire de la qualité en aussi grande quantité sur une aussi courte période, et puis de toute façon on s'en moque puisque je vous avais prévenus que le NaNoWriMo est un concours où seule compte la quantité, pas la qualité, et en attendant je viens de rédiger intégralement jusqu'à son point final (le premier point final de ma vie !) la troisième et dernière partie d'une histoire dont les deux premières m'auront occupée un nombre d'années absolument inavouable, enfin c'est dire si une telle expérience peut booster la productivité !
Bon allez, je vous retrouve très vite pour parler lecture et écriture, mais là il faut que j'aille dormir un peu...
 
Tout de même, histoire de frimer, la preuve en certificat :



Ça en jette, pas vrai ?

mardi 26 octobre 2010

La sorcière de Portobello, de Paulo Coelho


L’histoire
Des gens qui l’ont connue, croisée, racontent Athéna, cette femme, sainte, sorcière, mère, peut-être née un ou deux siècles trop tôt.

Ma lecture
Je n’avais tenté qu’une fois l’ésotérisme à la Paulo Coelho, à l’époque de L’alchimiste, expérience qui me semblait pouvoir aisément se passer de réplique. Pourtant, le temps passant, je me suis convaincue qu’un auteur mérite toujours une seconde chance. (Là je vous entends d’ici : ah vraiment ?, tout auteur ?, même Valérie Tong-Cuong qui a commis Ferdinand et les iconoclastes ? Rhâ, facile… Eh bien allez, oui, même elle, mais peut-être pas tout de suite alors, comme vous l’avez compris je viens de lire un Paulo Coelho, ainsi d’ailleurs qu’un authentique Immarcescible américain dont je vous parlerai sitôt que ma consternation aura cédé place à la résignation, bref je crois avoir déjà donné.) Donc, je viens d’offrir à Paulo Coelho sa deuxième chance (eh oui, c’est tout moi, aussi généreuse que le système professionnel français). Or ne dit-on pas jamais deux sans trois ? Nan, je plaisante évidemment, la surabondance est vulgaire et ne conviendrait pas à un blog si raffiné !
Venons-en plutôt à cette fameuse sorcière de Portobello. Enfin, à cette femme de Portobello, car « sorcière » n’est que l’une des quatre facettes proposées (et posées comme universelles, Coelho étant adepte des vérités collectives) de sa féminité : l’héroïne du bouquin, Athéna, nous est en effet présentée comme étant tout à la fois la Vierge, la Martyre, la Sainte, et donc la Sorcière. Elle est également, accessoirement, connectée à la Grande Mère et à Sainte Sophie. Sauf que le problème de cette femme si multicasquette, c’est qu’elle manque largement d’incarnation – un comble ! Sans compter qu’elle n’est ni sympathique, ni singulière, ni fantastique malgré ce que semble nous promettre le début du récit. Or où trouver l’intérêt d’un bouquin mystique si ce n’est dans le sensationnel, je vous le demande !
J’admets qu’il s’en trouve un peu dans la construction à narrateurs multiples : différents protagonistes font, à tour de rôle, le récit de leurs rencontres avec Athéna. Ce n’est pas vraiment original, mais puisque je suis dans une période où je m’intéresse aux personnes les plus à même de raconter une histoire (je vous en parlais ici, puis et ) ça tombait à pic ! Ou plutôt ce serait tombé à pic si le résultat avait été à la hauteur, mais pour cela il aurait fallu que Coelho s’y entende un minimum dans les spécialités de ses protagonistes et sache donner à chacun une voix propre. Car un prêtre caricatural s’exprimant comme un gitan caricatural s’exprimant comme un directeur d’établissement bancaire caricatural s’exprimant comme un historien caricatural, etc., ce n’est au bout du compte pas d’un grand intérêt.
Je reconnais tout de même que parmi les vérités que Coelho énonce, certaines donnent à réfléchir. J’admets aussi que ses personnages empruntent des voies inhabituelles qui éveillent la curiosité. Malheureusement les idées ne sont pas approfondies, et les personnages sont racontés plus qu’ils ne vivent (sensation accentuée par le parti pris de narrateurs multiples relatant la même histoire).
Et là j’avoue que Coelho n’a pas de chance, car ce qu’il raconte de son héroïne m’en a rappelé (en raté, s’entend) une autre, une superbe, celle d’un géant de la littérature dans l’un de ses chefs-d’œuvre : la Lalla du Désert de Le Clézio, rien de moins. Coelho nous parle d’une Athéna déracinée, habitée, nous en dit, par exemple page 117, par la bouche du journaliste Heron Ryan, que quand elle danse il est impossible de faire autrement que de la regarder, avec ces mots : « Ce que j’ai vu par la suite – plus exactement, ce que tout le monde dans le restaurant a vu – c’était une déesse qui se montrait dans toute sa gloire, une prêtresse qui évoquait anges et démons ». Or ces descriptions, comme Athéna elle-même, ne tiennent pas trois mots la comparaison avec Lalla, cette majestueuse déracinée dont Le Clézio m’avait amenée à voir la danse magnétique, à ressentir l’absolu et l’abandon qu’elle y mettait, à l’admirer, l’envier, l’adorer. Avec l’Athéna de Coelho nulle empathie, nulle compréhension, nulle fascination. On lit ce qu’on nous en dit, point.
Bon je reconnais que la comparaison est injuste – Le Clézio est parfaitement inatteignable. Mais cela vaut avec d’autres auteurs, nettement plus accessibles, en apparence tout au moins : tenez, figurez-vous que, dans certains passages de La sorcière de Portobello, on a l’impression de lire du sous Dan Brown. Si si, vous avez bien lu, comme quoi oui il est possible de faire pire que Dan Brown ! Car s’il est une chose que l’on ne peut reprocher à Dan Brown, c’est de manquer de contenu sur lequel appuyer ses « révélations », qu’il nous parle de religion, d’appareils d’État ou autre. Or Coelho parvient à mêler une écriture simpliste à des révélations simplettes. Et savez-vous le pire dans tout ça ? C’est que dans ces passages limités et candides j’ai retrouvé, parfois dans une idée, un style, parfois mot pour mot, des choses que j’ai moi-même pu écrire dans des tentatives de fiction ! En pire dans mon cas, cela va sans dire. Or s’il y a bien une chose qu’un aspirant écrivain ne peut en aucun cas pardonner à un auteur, c’est qu’il le mette face à sa propre médiocrité. Alors moi, Coelho, jamais plus jamais !!


Pour mon best-seller à venir j’en retiens que :

J’éviterai d’énoncer trop de (fausses) vérités.
Car c’est légèrement agaçant pour le lecteur. Non ?
Quelques extraits pour que vous puissiez en juger :
« Comme toutes les femmes, j’ai rêvé toute ma vie de rencontrer le prince charmant, me marier, remplir ma maison d’enfants et prendre soin de ma famille. »
« Évidemment, d’autres femmes disent : je ne ferai pas la vaisselle, les hommes n’ont qu’à la faire. Qu’ils la fassent s’ils le veulent, mais je ne vois pas là-dedans une égalité de conditions. (…) Quelle bêtise ! Comme si faire la vaisselle, ou porter un soutien-gorge, ou ouvrir et fermer les portes, c’était humiliant pour ma condition de femme ! »
« Bien que nous tentions toujours d’être des individus indépendants, une part de notre mémoire est commune. Tout le monde cherche l’idéal de la beauté, de la danse, de la divinité, de la musique. »
Convaincus ? Allez, un petit dernier, histoire d’enfoncer le clou :
« Nous avons tous une capacité inconnue. »
Ah ce véritable propre de l’homme, le fameux « talent caché », j’adore…

Je me relirai un minimum.
Car sinon je me retrouverai à faire dire à une gitane : « Je parle au présent parce que pour nous le temps n’existe pas, il n’y a que l’espace. », puis à la laisser raconter son histoire sur 14 pages entièrement à l’imparfait et au passé composé.
Et je pourrai même me retrouver à faire imprimer une phrase comme : « J’ai senti qu’au moment de l’orgasme le corps d’Andrea tournait autour de son nombril. » Hum. Ah oui ?...

> La sorcière de Portobello, Paulo Coelho, traduction française Françoise Marchand-Sauvenargues, J’ai Lu, 2008, 320 pages.

jeudi 14 octobre 2010

Une vraie romancière !


La question à 2 cents du jour : qu’est-ce donc qu’une vraie romancière ?
Vaste question vous dites-vous ? Comme vous vous trompez ! Une vraie romancière c’est tout bête : c’est une femme qui 1/ est toute jeune et 2/ parle des pulsions sexuelles d’un homme de trois fois son âge.
Simpliste ? Ah mais ce n’est pas de moi, c’est Ali Baddou, chroniqueur littéraire au Grand Journal de Canal+ qui le décrétait, vendredi dernier, en parlant d’Antonia Kerr, auteur à « tout juste 22 ans » (info répétée 2 fois en 1 minute 30 de chronique) d’un premier roman, Des fleurs pour Zoé. Le héros de ce roman, nous apprend Ali Baddou, « approche de la soixantaine ». Or Antonia Kerr, nous dit-il encore, « a un talent incroyable pour décrire la libido d’un vieil homme, alors qu’elle a quand même que 22 ans, c’qui est quand même le signe que c’est une vraie romancière ».
Notons au passage que l’animateur en chef du plateau, Michel Denisot, 65 ans, a dû apprécier que son chroniqueur trentenaire parle d’un homme approchant la soixantaine comme d’un « vieil homme ». Mais laissons ceci.
L’info capitale est évidemment que, Mesdemoiselles apprenties écrivains, si vous avez la vingtaine et certaines facilités à parler de la libido d’hommes de trois fois votre âge, cela pourra sembler à d’aucuns le signe que vous êtes de vraies romancières. Alors foncez !
Non vraiment, dépêchez-vous, car je doute que cela fonctionne si bien passée la trentaine. Ou alors il faudrait écrire sur la libido d’hommes d’un âge extrêmement avancé (67 ans peut-être ?...), ou encore sur la libido de lémuriens, je ne sais pas, ou peut-être vaudrait-il tout simplement mieux attendre d’avoir 60 ans révolus, et écrire sur la libido de très jeunes gens – ce qui, bizarrement, semble surprendre tout autant…
Ok mais… et quand on est entre deux âges ? Eh bien entre deux âges, plutôt qu’écrire peut-être préférera-t-on chanter Brassens, Le temps ne fait rien à l’affaire

vendredi 8 octobre 2010

NaNoWriMo : écrire un roman en un mois (et devenir exceptionnel)


Vous vous souvenez de Footloose, dans les années 80 ? Dans l’une des scènes les plus mémorables Kevin Bacon bredouillait un passage de la Bible, disant qu’il y a un temps pour rire et un temps pour pleurer, un temps pour mourir et un temps pour danser, quelque chose comme ça.
Renchérissons avec les deux temps qui nous intéressent le plus : oui, il y a aussi un temps pour lire, et un autre pour écrire.
Depuis qu’on se retrouve ici on a déjà passé un peu de temps à parler lectures. Mais les temps changent, et voici venir le temps d’écrire !

Ce temps, ce sera le mois de novembre.
Tout le mois de novembre je ne ferai qu’écrire, et vous ferez de même si vous êtes des braves.

Car novembre, c’est le mois du NaNoWriMo, ou National Novel Writing Month, ou Mois National d’Écriture de Roman. Comme son nom ne l’indique pas, il s’agit d’un marathon international au principe tout simple : en novembre, faisons le pari hilarant et stupide et indispensable puisque complètement absurde d’écrire un roman, dans la langue de notre choix, qui fasse au moins 50.000 mots d’après le compteur du site nanowrimo.org.
50.000 mots c’est plutôt peu pour un roman, les créateurs du NaNoWriMo en conviennent, mais reconnaissez que c’est plus valorisant d’évoquer « ce roman qu’on écrit en un mois » plutôt que « cette longue nouvelle qu’on écrit en un mois », et puis il s’est vu plus d’un bouquin estampillé roman ne dépassant pas les 50.000 mots, et certes on atteint plus vite les 50.000 mots en langue française qu’en langue anglaise (les créateurs du NaNoWriMo ne doivent pas le savoir, ils sont américains) et plus encore qu’en langue chinoise (pauvres participants chinois…), ceci dit quelle que soit la langue 50.000 mots en un mois ce n’est pas rien, ça fait tout de même 1.666,66 mots par jour, puis il fallait bien fixer une limite or celle-ci les créateurs du NaNoWriMo l’estiment difficile mais réalisable même pour des candidats avec boulot et enfants, et puis 50.000 mots ça fait classe, non ?, alors voilà.
D’ailleurs j’ai connu le NaNoWriMo par une proche qui l’a tenté en novembre 2009. Bon elle l’a raté, car au bout des 30 jours (enfin 28 dans son cas, elle avait commencé le 3 novembre seulement, erreur fatale, 2 jours de plus et elle l’aurait peut-être réussi !) son roman ne faisait « que » 45.000 mots environ, mais 45.000 mots je peux vous assurer que c’est déjà un vrai roman, ça fait dans les 70 pages word bien tassées, ramenées en format poche avec un interlignage aéré elles font facile un bouquin de 250 pages, et puis elle n’allait pas se forcer à ajouter 5.000 mots alors que son histoire n’en nécessitait pas plus, et entre nous 45.000 mots en un mois sérieusement chapeau. A titre de comparaison, tous les posts de ce blog depuis son ouverture en avril totalisent dans les 37.000 mots, c’est dire si 45.000 mots est un drôle d’exploit !

Mais bon c’est bien aussi d’atteindre les 50.000 mots. Parce qu’alors on gagne le NaNoWriMo.
Et qu’est-ce qu’on gagne au fait ? Eh bien :
1/ on gagne la gloire de pouvoir dire à tout le monde qu’on a écrit un roman de 50.000 (ou plus) mots ;
2/ on gagne le privilège de pouvoir se gausser de ces vrais écrivains à qui il faut 7 ans pour pondre un roman, et de ces vrais/faux écrivains qui bloquent sur le même roman depuis 15 ans, là où à nous 30 jours nous suffisent, ahah ! ;
3/ on gagne un mois à ne se préoccuper que d’écriture et de rien d’autre, en frimant partout en disant « ah non ce soir je ne suis pas libre, j’écris un roman de 50.000 mots en un mois ! » ;
4/ on gagne donc les regards admiratifs de tous les gens qu’on connaît (par contre on a intérêt à réussir, sinon passé le mois de frime on n’a plus qu’à raser les murs pendant un bon moment…) ;
5/ on gagne le privilège incomparable de pouvoir mettre en pratique tous les bons conseils de lire-pour-écrire et donc probablement de bientôt vendre notre premier best-seller ;
6/ on gagne sa place au sein de la communauté internationale des écrivains frénétiques ;
7/ et on gagne un diplôme au format numérique, qu’on peut s’imprimer sur papier ou même pourquoi pas sur un t-shirt, attestant qu’on a remporté un NaNoWriMo !!

Convaincus, pas vrai ? Alors parlons pratique.
Votre roman doit donc faire 50.000 mots, c’est un minimum nécessaire et suffisant, vous pouvez en écrire plus mais ça ne vous rapportera pas davantage.
Vous devez l’écrire seul, un NaNoWriMo ne peut être coécrit.
Il peut porter sur n’importe quel sujet, dans n’importe quel genre, il suffit que vous considériez que ce que vous écrivez est un roman pour que l’équipe du NaNoWriMo le considère aussi.
A l’issue, vous conservez tous les droits sur votre œuvre : l’équipe du NaNoWriMo n’archive pas vos romans et ne vous demande aucune contrepartie.
Vous écrivez où vous le souhaitez, sur tout support, logiciel de traitement de texte, papier, machine à écrire, peu importe, en tout cas vous n’avez pas à écrire sur le site du NaNoWriMo.
Vous devez tout de même vous y inscrire, ici : http://www.nanowrimo.org/fr/user. Vous recevrez alors un mail de confirmation long et tendre (oui, il y aura la mention « love » dans l’intitulé du message, vérifiez qu’il ne se retrouve pas dans votre dossier de courriers indésirables !) et pourrez aussitôt rejoindre la communauté du NaNoWriMo puis, tout au long du mois de novembre, vérifier votre avancée grâce au compteur de mots.
Par contre vous ne devez sous aucun prétexte commencer votre roman avant le 1er novembre. Ce serait comme nourrir un Mogwaï après minuit – une catastrophe galactique. Vous avez le droit de (et même vous êtes encouragés à) réfléchir à un plan, des personnages, effectuer quelques recherches en amont, mais l’écriture ne doit pas commencer avant le 1er novembre. Évidemment personne ne vérifiera si vous avez triché, mais comme il s’agit d’un challenge avec vous-mêmes quel intérêt auriez-vous à le faire ? Puis surtout cela vous ferait passer à côté de la véritable expérience du NaNoWriMo : celle d’une écriture focalisée uniquement sur la quantité, et non sur la qualité, une approche kamikaze et de faible espérance prohibant toute ambition, censure, relecture, tout CTRL+X et tout envoi à la corbeille.
Si ça vous plaît vraiment beaucoup, vous pourrez ensuite enchaîner sur le NaNoFiMo (mois national de finition de roman) en décembre, puis le NaNoEdMo (mois national d’édition de roman) en mars.

Et si vous hésitiez encore, sachez que, comme le dit l’équipe du NaNoWriMo, « victorieux ou non, vous êtes exceptionnels si vous vous lancez ».
Je suis inscrite depuis trois jours, j’ai fait ma réserve de thé noir et de tablettes de chocolat, j’échauffe mes doigts toutes les deux heures, je peux donc affirmer que je suis, déjà, exceptionnelle !! Et je le serai plus encore en novembre.
Ça vous fait envie hein !
Alors, à qui le tour ?…

dimanche 3 octobre 2010

Best-sellers : Ultimes et Immarcescibles


Il faudrait qu’il se diversifie un peu ce blog, non ? Si je n’y prends garde, il pourrait bien ne jamais émerger du flot de tous ces blogs de notes de lecture, déjà si nombreux et souvent si réussis.

D’autant que les notes de lecture c’est distrayant, mais ce qui nous intéresse ici ce sont avant tout les best-sellers, je veux dire les vrais, ceux que nous ambitionnons tous d’écrire, ces multi-traduits et ultra-vendus, ces Incontournables au pays des Best-sellers !!

Il se trouve qu’il y a deux sortes de Best-sellers Incontournables : les Ultimes et les Immarcescibles.
Ultimes et Immarcescibles ont en commun qu’on les a tous lus, ou qu’en tout cas on est tous parfaitement informés de leur existence et au moins en partie de leur contenu.
Ce qui les distingue c’est que les Best-sellers Ultimes sont géniaux, ce sont des lectures inoubliables (d’autant plus que souvent très très longues), tandis que les Best-sellers Immarcescibles, heureusement souvent beaucoup plus courts, ne sont comme leur nom l’indique pas même fichus de se poser sur Mars (ah oui j’emploie « immarcescible » dans ce sens-là, pas dans le sens « Qui ne peut se flétrir », encore que ce genre d’écrits ne se flétrit peut-être jamais, qui sait, c’est d’ailleurs bien le pire…). Du coup ils restent sur Terre et on les subit et, allez savoir pourquoi, on les lit, en masse.

Or il serait intéressant de comprendre pourquoi on les lit, non ? Ne serait-ce que pour, à défaut de meilleure idée, tenter de reproduire leurs ficelles et vendre à notre tour du best-seller par millions de copies !
Essayer de comprendre les ficelles des Best-sellers Ultimes ne serait pas mal non plus, mais bon c’est tout de même moins facile à reproduire (encore que l’image d’illustration de ce post pourrait suggérer qu’il suffit d’imaginer un héros à barbe… à tester…). Et puis je vous l’ai dit, ça peut être beaucoup plus long à lire aussi, ce qui fait que je vous parlerai plus souvent de Best-sellers Immarcescibles que de Best-sellers Ultimes. Partons sur au moins un Best-seller Immarcescible par trimestre (et j’espère que vous mesurez l’effort que représente la lecture aussi régulière de ratages multidiffusés !!) et au moins un Best-seller Ultime par semestre (je vous vois tiquer, un tous les 6 mois ?, ben elle ne se foule pas !, facile, mais ce serait oublier que ces Ultimes sont parfois vraiment très très très très longs à lire, et puis surtout ils ne sont pas si nombreux et il ne s’en présente qu’exceptionnellement de nouveaux, alors si je vous en promettais un par mois dans moins de deux ans je n’aurais plus qu’à fermer ce blog, ce qui serait proprement abominable !, pas vrai ?).

Il se peut aussi qu’une fois de temps en temps, si vous vous montrez particulièrement insistants sur le sujet, je vous parle d’un de ces Auteurs à Best-sellers, vous savez, un de ces écrivains qui n’ont jamais rien écrit qui se vende à 150 millions de copies, mais qui ne publient jamais rien qui se vende à moins de centaines de milliers d’exemplaires, et qui donc, œuvre entière cumulée, rivalisent largement avec ceux qui n’ont à leur actif qu’un seul Best-seller Incontournable.

Une dernière chose : vous vous demandez peut-être qui décrètera que tel bouquin est un Best-seller Ultime, tel autre un Best-seller Immarcescible, tel autre encore rien de tout ça ? Je pense que vous en avez une idée… Bah oui, ce sera moi, naturellement, qui d’autre possède l’omniscience sur ce blog, hum ?!

mercredi 29 septembre 2010

My life as a man, de Philip Roth


L’histoire
Variations autour des efforts de Peter Tarnopol pour être un homme, ce qui ne semble pas évident, dans l’Amérique des années 60, quand on est un juif trentenaire sous thérapie, empêtré dans un divorce et des désirs de femmes.

Ma lecture
Encore une lecture fort à propos, qui me permet de poursuivre ma petite réflexion sur la question du narrateur le plus approprié pour raconter une histoire. Par choix ou nécessité, les héros de L’Invisible de Paul Auster transitaient du « je » au « tu » puis au « il ». Ceux de Ton aile de Benoît Charuau passaient allègrement et, semble-t-il, spontanément du « je » au « vous » au « nous » au « eux ».
Cette question de la personne narratrice et de la nécessité de biaiser pour se raconter est plus capitale encore dans My life as a man de Philip Roth. Dans une première partie, on suit l’histoire de Nathan Zuckermann, rédigée à la troisième personne. Une deuxième partie poursuit ce récit sauf que désormais Nathan Zuckermann s’y exprime à la première personne, altérant au passage une bonne part de ce qui nous avait été dit jusque-là. Enfin dans une troisième et dernière partie on apprend, de la bouche de Peter Tarnopol, s’y exprimant à la première personne, que les deux premières parties n’étaient que des tentatives pour comprendre par l’écrit le drame de sa propre vie – Nathan Zuckermann étant son double de fiction. La mise en abîme est plus troublante encore quand on sait que ce récit, toutes parties confondues, est très largement autobiographique : Philip Roth s’analyse et tente de démêler sa vie en s’inventant un double de papier (Peter Tarnopol), qui lui-même s’analyse et tente de démêler sa vie en s’inventant un double de papier (Nathan Zuckermann, qui sera le héros de bon nombre de romans ultérieurs de Philip Roth). Pourtant, au bout du compte, nous dit Philip Roth citant Simone de Beauvoir, « on ne peut jamais se connaître, mais seulement se raconter ».
Et qu’importe si les tentatives de Roth/Tarnopol de mieux se comprendre en se racontant échouent, le bouquin n’en est pas moins délectable, original, drôle et superbement écrit (m’a-t-il semblé : comme chaque fois que je lis en anglais mon point de vue est encore plus à nuancer que d’ordinaire…). La construction intrigue et amuse ; le découpage en trois parties de narrateurs, styles et propos distincts ne nuit en rien à la continuité ; et le style est relevé d’un implacable humour à la Woody Allen (My life as a man date de 1974, époque des premiers grands Woody Allen, et Roth partage avec Allen de très fréquents dialogues avec le psy, mais aussi une complexité des rapports aux femmes, l’autodérision et l’intellectualisation).


Pour mon best-seller, j’en retiens que :

Je présenterai mon personnage.
C’est-à-dire que je dirai « Nathan Zuckermann est un jeune garçon » au moins une fois avant de m’autoriser à parler indifféremment de « Nathan », de « Zuckermann » et « du jeune garçon ». C’est admirable d’éviter les répétitions, encore faut-il que le lecteur ait la possibilité de comprendre qu’on parle d’une seule personne et pas de trois différentes avant la quarante-sixième minute de lecture ! (soit le temps qu’il faut à la lectrice bretonne de base pour lire 4 pages denses dans un anglais exagérément littéraire…)

J’adopterai l’écriture à narrateurs multiples.
A plus forte raison si j’écris mon autobiographie, et que mon alter-ego de papier lui-même écrit son autobiographie. Car cela me permettra d’écrire absolument ce que je veux. Par exemple d’écrire, à la façon d’un Tarnopol/Roth, que je ne suis que l’innocente victime de gens malfaisants, que ma famille est parfaite et que mon destin aurait dû l’être. Et que si mon psy et mes ex, à qui je laisse parfois la parole, n’en pensent pas tant, ils sont forcément dans l’erreur ! Je resterai ainsi droite dans mes bottes – tout en autorisant/incitant mes lecteurs à me moquer, en lisant les points de vue de mes contradicteurs.

Je donnerai la clé d’une pub tv multi-diffusée.
Allez, avouez, vous prétendez vous défendre en anglais mais comme moi vous vous êtes écorché oreilles et méninges sans parvenir à comprendre ce que John Malkovitch peut bien dire à Georges Clooney aux portes du Paradis dans la pub Nespresso ! Vous avez compris qu’il lui disait de « make » un « guess », mais quel type de guess, alors ça ! « Make an imaginative guess » ai-je cru entendre la première fois, avant de réaliser à la deuxième écoute que ça ne collait pas. Alors quoi ? Rrr… ça m’a titillée des semaines !! Et voilà que Philip Roth me donne la réponse, en écrivant, page 215 : « As for Joan, it was Spielvogel’s educative guess that (…) ».
Educative ! ahAh ! C’était donc ça ce mot caché entre « make an » et « guess » ! « Make an educative guess », mais bien sûr ! Eh ben ça va tout de suite mieux, non ?

>> My lyfe as a man, Philip Roth, Vintage, 2005 (réédition, 1ère édition 1974), 336 pages.


Citation-bonus : quand un écrivain sous analyse écrit sur l’écriture et l’analyse…

His self is to many a novelist what his own physiognomy is to a painter of portraits: the closest subject at hand demanding scrutiny, a problem for his art to solve – given the enormous obstacles to truthfulness, the artistic problem. (…) The artist’s success depends as much as anything on his powers of detachment, on de-narcissizing himself. (…) [Freud] studied his own dreams not because he was a “narcissist”, but because he was a student of dreams. And whose were at once the least and most accessible of dreams, if not his own?
Ce n’est qu’un court extrait, vous pouvez en lire beaucoup plus en page 240. Je précise tout de même que My life as a man ne prouve en rien que, tout formidable que soit son talent d’écrivain, Philip Roth soit parvenu à un tel détachement, à un tel dé-narcissisme…

samedi 25 septembre 2010

Soleil levant sur son chemin, de Benoît Charuau


L’histoire
Basile cherche, se questionne : est-il lui ?, est-il lui et cet autre lui à la fois ?, peut-il y avoir un autre lui que cet autre-là ?, est-il tout le monde ou alors est-il seul ? Seul, Basile ne l’était certes pas à la naissance : quelques minutes après lui arrivait Axel, son jumeau…

Ma lecture
Les héros du premier roman de Benoît Charuau, Ton aile, dont je vous parlais tout récemment, cherchaient la faille pour s’envoler de leur cage. Le héros de son deuxième roman, Soleil levant sur son chemin, se heurte également à un possible enfermement : la gémellité. Il livre son histoire sous forme de compte à rebours. Mais qu’adviendra-t-il lorsqu’il parviendra au zéro ? Assisterons-nous au top départ, à l’envol attendu depuis Ton aile, ou au contraire à la chute, l’échec, le néant ? L’auteur devait trancher… et son choix n’aurait pas été le mien.
La fin m’a donc déçue. Et il n’est pas évident de se défaire d’une dernière note déplaisante. Soleil levant est pourtant loin d’être réductible à cette fin. Là où Ton aile se situait à la frontière du témoignage et de la fiction, Soleil levant est un authentique roman. Cette différence de genre n’empêche pas la permanence du style : comme dans Ton aile l’écriture est construite et étudiée, on retrouve les questionnements philosophiques, la construction de l’individu. Il y a la même frénésie de se dire, d’explorer, il y a autant (sinon davantage) de ces passages si élégants. Par exemple celui où Basile vit le deuil de ce chat qui avait tant compté, regarde les gens autour, les trouve impatients, écrit : « Je cherche une oreille dressée. Je crains que le monde n’ait plus aucun tympan. »
A lire alors ? Bien sûr ! Tout en espérant qu’arrivera bientôt un troisième roman cohérent jusqu’à son dernier mot, et qui trouvera éditeur à sa mesure.


Pour mon best-seller, j’en retiens que :

J’écrirai une fin digne de mon récit (oui je sais, j’insiste…).
Ok pour un rebondissement, une rupture dans les dernières pages, à la condition que l’ensemble reste cohérent. Quel dommage d’avoir su donner une fin si subtile à Ton aile, mais d’en avoir choisi pour Soleil levant une si outrancière…

Je n’abuserai pas des adverbes, locutions conjonctives et autres transitions.
Et je ne les accentuerai pas non plus en les entourant systématiquement de virgules. Dans Soleil levant sur son chemin, on peut lire des passages comme :

« Je me sens, alors, devenir ombre. (…) Il y a, en outre, le vertige de voir cet “autre moi-même“ me devenir étranger. (…) J’ai, il est vrai, désiré cette distance. (…) Les choses sont, pourtant, simples. (…) Il décloisonne, toutefois, notre monde et m’en promet un grand. »

Vous voyez le problème ? Au bout d’un moment on ne retient plus que ces mots de transition, accentuation ou rupture, on peine à les oublier, on ne suit plus les idées. Dommage.


>> Soleil levant sur son chemin, Benoît Charuau, Publibook, 2009, 200 pages.

vendredi 24 septembre 2010

Ton aile, de Benoît Charuau


L’histoire
Un tout jeune homme, plutôt sage et mesuré, se retrouve pourtant emprisonné à Fleury-Mérogis et y entame une correspondance avec son (également jeune) ancien prof de philo de terminale.

Ma lecture
Enfin, j’ai lu du Benoît Charuau !!
Je dis « enfin » car lui et moi (si je n’étais si polie j’aurais écrit « moi et lui », la chose étant parfaitement unilatérale…) c’est une vieille histoire : l’ami d’un ami d’un ami, rencontré trois ou quatre fois en soirées dans les années 2000, il s’y distinguait, observateur et raffiné, s’appliquant à absorber chaque scène (enfin, principalement celles mettant en scène des hommes quand même…), la parole réfléchie et précise (même si parfois un tantinet misogyne, m’avait-il semblé…), présent et commentateur mais avec recul, évoluant un monde au-dessus des autres, jeune aussi, on me l’avait présenté comme étant prof de français (c’était de philo, en fait) et écrivain. Le parti idéal pour l’un de mes cousins, me disais-je alors ! Ok il était toujours accompagné, et toujours du même homme, qui ok je le savais partageait également son toit, mais il en aurait fallu plus pour me freiner !
Il faut dire que j’étais très marieuse à l’époque, je me souviens de ce couple d’amis qui se séparaient tout le temps et de mes complots pour les aider à se remettre ensemble, ah puis il y avait aussi ce tuteur de mémoire, que j’aurais trouvé parfait pour une de mes proches… Las, le couple d’amis n’en est définitivement plus un, et je ne suis jamais parvenue à faire se rencontrer ni mon prof et ma proche, ni mon cousin et celui dont je ne connaissais alors que le prénom, Benoît, et en partie le métier.
J’aurais voulu compenser en le lisant, malheureusement trouver un bouquin quand on ne sait ni de quoi il parle ni dans quelle maison d’édition ou même dans quel genre le chercher, et qu’on ne connaît de l’auteur qu’un prénom, courant d’ailleurs, n’est pas chose facile, par ailleurs trouver le nom de famille de l’ami d’un ami d’un ami ne l’est pas davantage, d’autant que les amis des amis ne le restent pas toujours, c’est comme les couples d’amis, bref. Pourtant il ne faut jamais désespérer. Parce que maintenant je le sais, il s’appelle Charuau, et ça y est j’ai, enfin, pu lire ses deux bouquins publiés à ce jour : Ton aile et Soleil levant sur son chemin.
Ton aile, c’est ce bouquin dont je vous disais ici qu’il est construit sous forme de correspondance entre un prisonnier et son ancien prof de philo. Benoît Charuau est prof agrégé de philo, il enseigne aussi aux détenus de Fleury-Mérogis, autant dire que c’est empreint de vécu, de questionnement, d’idéologie. Cela tient autant de la littérature que du témoignage, de la fiction que de l’introspection, d’un point de vue obstrué par toutes sortes de barreaux que d’une réflexion globale sur la société.
Les deux protagonistes auraient pu être plus dissemblables (on a parfois l’impression d’un dialogue entre un homme de 35 ans et sa réplique de 20 ans, notamment dans la façon dont se construit leur réflexion), cela aurait pu être plus rythmé, plus souple, mais il faut le lire car l’écriture est riche, intime et le propos travaillé, il faut le lire car c’est actuel et qu’il y a urgence à entendre ce qu’il s’y dit des prisons, de l’exclusion, de tant de formes d’exclusion, urgence à entendre cette autre voix sur les relations prof/élèves, il faut le lire car même si Benoît Charuau devait ne jamais rencontrer mon cousin (et, au passage, tout invraisemblable que cela puisse vous paraître, ne jamais se souvenir m’avoir rencontrée !) ce récit vaut une lecture, vraiment !


Pour mon best-seller, j’en retiens que :

Je m’autoriserai l’écriture à toutes les personnes.
Il y a quelques jours je vous parlais de cette écriture qu’Adam Walker, héros de l’Invisible de Paul Auster, ne parvient à poursuivre qu’après passage du « je » au « tu ». Dans leurs échanges de lettres, les deux héros de Ton aile troquent spontanément le « je » pour le « tu », mais aussi pour le « il », le « vous », le « nous », le « eux ». Les transitions sont naturelles, évidentes, et le ressort met joliment en exergue l’émotion, l’état d’esprit d’un instant.

Je ne jouerai pas avec l’idée de me laisser emprisonner quelques mois pour avoir le loisir d’écrire.
C’est un vrai classique des fantasmes de l’écrivain en herbe, mais Benoît Charuau en a fait l’expérience : ce n’est pas une si bonne idée…

J’élargirai ma cible…
… en ne considérant pas que, sous prétexte que je fais partie d’une minorité (les bretons de la capitale par exemple) mon récit doit forcément s’en réclamer et s’adresser principalement à cette communauté. C’est vrai, pourquoi me priverais-je d’emblée de tant de ventes potentielles ?!
Alors pourquoi avoir publié Ton aile, dont l’homosexualité des héros ne change bien sûr rien à l’universalité du propos, aux éditions Biliki, dans une collection (Thé glacé) connue pour être l’une des pionnières de la littérature gay et lesbienne francophone ?


>> Ton aile, Benoît Charuau, éditions Biliki, collection Thé glacé, 2005, 206 pages.

lundi 20 septembre 2010

Invisible, de Paul Auster


L’histoire
En 1967, un jeune étudiant américain rencontre un couple de français vorace qui va bouleverser sa vie. Il raconte, se raconte, est raconté, quarante ans plus tard.

!! Attention, la suite de ce post dévoile des infos capitales sur le contenu du bouquin !!


Ma lecture
S’il fallait une illustration à la théorie de Houellebecq sur le nécessaire « couper tout » de l’écrivain, inutile de la chercher plus loin que dans l’Invisible de Paul Auster. Ici on ne coupe pas seulement le flux d’information : pour se dire on coupe son identité, l’identité des autres, on efface les lieux, on brouille les repères, on questionne la fiabilité de la mémoire, parfois même on la nie, au besoin on interrompt sa vie, on coupe le « je », le remplaçant par le « tu », le « il », pour mieux s’exposer ou disparaître au milieu de tant de trompe-l’œil. À l’inverse de Houellebecq, les deux écrivains narrateurs d’Invisible ne considèrent pas qu’ils en savent suffisamment pour écrire, ils écrivent au contraire pour faire la lumière, révéler l’ombre, tester une ou de multiples vérité(s).
Certains ressorts semblent trop évidents, certains personnages ne convainquent pas, cependant tout cela est à peine écrit que sitôt remis en question dans ce récit en labyrinthe à l’écriture aussi limpide que la construction est alambiquée et la réalité instable.
Un mot sur un thème dont j’avais entendu qu’Auster l’abordait dans Invisible : l’inceste entre un frère et une sœur. Oui ok il l’aborde. Mais ce n’est ni essentiel, ni sulfureux, ni certain (vous aurez compris que rien ne l’est dans Invisible, si ce n’est Paris, qui, comme le chantaient Jeanne Moreau et Brigitte Bardot dans Viva Maria, toujours sera Paris…), ni radical ou bouleversant, en tout cas pas lorsque cette lecture arrive après celle d’un Michel Onfray ou, évidemment, d’un John Irving. Alors s’il vous faut l’aborder avec un thème en tête, je suggère plutôt celui d’un Alain Resnais, période Marienbad


Pour mon best-seller, j’en retiens que :

Je m’interrogerai sur la personne la plus à même de raconter une histoire.
L’écrivain héros d’Invisible estime vital de se raconter, mais l’écriture bloque. Un autre écrivain lui suggère d’écrire à la deuxième personne. Le récit passe alors du « je » au « tu ». Un aléa, et le récit passe au « je raconte il ». Puis à un « je » réécrit, puis au « je » de quelqu’un d’autre, un « je » de journal intime.
Et vous savez quoi ? Cela marche !...

J’adopterai l’opiniâtreté dans l’exercice d’écrivain.
Chaque jour, le jeune étudiant Adam Walker s’isole quatre heures pour écrire. Pas mal non ? Ben oui, mais c’est un personnage de fiction. Certes, pourtant tenez, à en croire ses remerciements, en période d’écriture Marisha Pessl, auteur de La physique des catastrophes, peut s’enfermer non pas quatre mais dix à douze heures par jour pour avancer sur son bouquin. Eh oui, c’est du boulot ! Alors, à votre tour ?...

Je resterai prudente avec les noms qui font sens.
Les personnages d’Invisible s’appellent Adam Walker, Rudolph Born, Jim Freeman. Adam Walker pour le héros en action, celui qui cherche à expier un péché originel ; Rudolph Born pour celui qui permettra à Walker de se révéler ; Jim Freeman pour celui que Walker aurait rêvé être et qui libèrera son écriture. Pas vraiment dans la subtilité… Oui sauf que ces noms ne sont peut-être que des inventions – ces personnages sont-ils d’ailleurs tous réels, ou n’incarnent-ils pas différents états d’un même homme ?...
Alors ok pour le tolérer cette fois-ci chez Auster. Mais il ne s’agirait pas d’en abuser, non plus !

Comme Auster, je trouverai le titre parfait.
Je n’ai rien contre les titres accrocheurs (La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, de Stieg Larsson), ou les titres évidents, ceux par exemple nommant le héros (Carrie, Jessie, Christine, etc., de Stephen King), mais certains titres sont vraiment parfaits, ajoutent une dimension au bouquin. C’est le cas d’Invisible, qui en un mot nous dit tout, la confusion, le vertige, les possibles interprétations, un titre qu’on relit après avoir refermé le bouquin en se disant qu’il n’aurait pas pu y en avoir de plus juste. Rare, non ?, chez qui ne s’appelle pas Marguerite Duras…


>> Invisible, Paul Auster, Faber and Faber, 2010, 320 pages.

samedi 11 septembre 2010

Couper tout !


En cette rentrée littéraire, impossible d’échapper aux derniers Amélie Nothomb et Michel Houellebecq, que la critique nous présente comme de vraies réussites ? Ah non, pas impossible, vu qu’ici on n’en parlera (presque) pas.

On n’en parlera (presque) pas d’abord parce qu’à 20 € en moyenne le livre de la rentrée littéraire, je ne peux pas m’en permettre beaucoup. Ensuite parce qu’un bon Goncourt ou prétendant au Goncourt est tout aussi bon un an après en poche, quand on a un peu oublié promos et critiques. Et enfin parce que j’ai déjà envie de vous parler de tout un tas d’autres choses.

Par exemple j’ai compris que le dernier Amélie Nothomb était construit sous forme d’échange de lettres, entre, semble-t-il, elle et un soldat américain en Irak. Eh bien ça me donne envie de vous parler d’un bouquin que je viens de lire, il s’appelle Ton aile, il est de Benoît Charuau, qui l’a je crois écrit en 2001 mais publié en 2005, et il s’agit d’un échange de lettres entre, semble-t-il, lui et un tout jeune homme emprisonné à Fleury-Mérogis. C’est beau, palpitant, très actuel, je vous en parle très vite.

Quant à Houellebecq, peut-être me donnerait-il raison de ne pas me précipiter pour le lire. Je l’entendais l’autre jour, face à un Elkabbach qui lui faisait remarquer qu’il semblait s’intéresser davantage à l’actualité, à notre temps, qu’on ne semblait le croire (vous suivez toujours ?), répondre que oui il s’y intéresse mais qu’à un moment, pour écrire, il faut « couper tout ». Il faut considérer qu’on sait déjà tout ce qu’on a à savoir. On peut bien sûr, si on le souhaite, relire ce qu’on a déjà lu, mais il ne faut plus lire de nouvelles choses. Il faut s’arrêter. Arrêter d’être éponge, arrêter de remettre en cause, faire un choix, avancer.

Alors qu’en pensez-vous ? On coupe quelque temps ? On se ferme à cette rentrée littéraire, on s’en tient à ce qu’on a déjà lu, on met pause et on écrit ?...

mardi 31 août 2010

La physique des catastrophes, de Marisha Pessl



L’histoire 
La jeune Bleue Van Meer, surdouée et sur-cultivée grâce à l’éducation d’un père charismatique, érudit et idéologue, vit le monde à travers lectures, citations, références, tantôt Jane Eyre, tantôt Emily Dickinson. Mais un jour elle se retrouve témoin d’un drame.

Attention, la suite de ce post dévoile des infos capitales sur le contenu du bouquin !

Ma lecture 

J’ai abordé ce bouquin avec trois préjugés favorables. Le premier car l’héroïne se prénomme Bleue, ce qui me l’a rendue d’emblée sympathique, pour des raisons qui ne regardent que moi. Le second parce que l’auteur, Marisha Pessl, pas loin d’être aussi jeune que son héroïne lors de l’écriture de ce roman, s’adonne régulièrement au cor d’harmonie, ce qui me l’a également rendue d’emblée sympathique (là encore pour des raisons qui ne regardent que moi, même si toute personne dotée d’une oreille valable ne peut que se ranger à mon a priori favorable). Le troisième car ce bouquin est la preuve par l’exemple du bien-fondé de ce blog : Bleue Van Meer vit de lectures, le récit est découpé en chapitres portant chacun le titre d’un classique différent (Les Hauts de Hurlevent, Madame Bovary, Moby Dick, Cent ans de solitude, Le Procès…), si bien que la table des matières ne s’appelle pas « Table des matières » mais « Lectures obligatoires ». Les références à des bouquins (ou thèses ou films ou œuvres d’art en tous genres) sont légions, que ces bouquins existent réellement ou non d’ailleurs ; les personnages empruntent leurs noms à ceux de livres ou films (Bleue et son père s’appellent « Van Meer », nom qui rappelle celui de Van Veen, héros de Ada ou l’ardeur, livre de Nabokov maintes fois cité dans La physique des catastrophes, un autre personnage s’appelle d’ailleurs Ada, et le personnage féminin pivot du livre s’appelle Hannah, presque comme l’Anna de L’avventura d’Antonioni, avec qui elle n’est pas sans autres points communs) ; et la jeune Bleue s’appuie sur une profusion de citations pour nous raconter son histoire. Cerise sur le gâteau, elle tourne en ridicule un ressort à la deus ex machina que j’avais moqué ici à l’occasion d’un post sur L’échiquier du mal, de Dan Simmons : quand Bleue se retrouve perdue en forêt, elle se dit : « Je me rendais compte qu’il était aussi peu probable que je trouve des campeurs équipés d’une radio qu’une Jeep Wrangler neuve dans une clairière avec les clés sur le contact et le réservoir plein. » Pour rappel, les héros de Dan Simmons, eux, dans une situation similaire, trouvaient non seulement la Jeep neuve avec les clés sur le contact et le réservoir plein, mais également le pack de canettes de bière !
Bref, d’emblée une amie de lire-pour-écrire.
Et à part ça ? A part ça, dans l’ensemble, La physique des catastrophes fonctionne pas mal du tout. Bleue est un personnage original et bien tracé, son esprit virevoltant, sa curiosité intellectuelle, sa réflexion par références et comparaisons pleines d’imagination séduisent, son discours d’ado surdouée et néanmoins pétrie de certitudes convainc. Le récit est habilement construit, très maîtrisé, pensé, documenté, travaillé. Le style est saturé de satire et d’humour. Et, l’érudition abasourdit. Jusqu’à l’écoeurement parfois. Toutes ces références bibliographiques, souvent drôles, à la longue usent, on en oublie Bleue pour deviner l’auteur, Marisha Pessl, dont on se demande alors si son but était d’étaler sa fantastique culture, ou bien de se cacher derrière des auteurs confirmés plutôt que d’oser ses pensées propres. Et parfois on ne voit plus ni Bleue ni Marisha Pessl, mais citations-du-monde.com, et là c’est franchement dérangeant. Idem pour les omniprésentes comparaisons et métaphores : au début amusantes car si originalement imagées et fantasques (« Papa attrapait les femmes comme certains pantalons en laine attrapent les peluches. » ; « Il m’interrompit d’une voix joyeusement officielle, tel un gérant de magasin sortant de son bureau pour m’annoncer que je devenais à compter de ce jour une cliente privilégiée » ; « Le manteau s’échoua sur son bras comme une gracieuse secrétaire en pâmoison » ; « ses gros pieds cramoisis posés sur le coussin en velours grenat comme des travers de porc servis à un roi »), elles finissent par lasser, détourner de l’intrigue, si omniprésentes qu’on ne peut jamais être dans l’action pure. (Je vous ai déjà dit ce que je pensais de ces écrivains américains qui ne peuvent écrire un paragraphe sans recourir à ce genre de descriptions imagées, souvenez-vous, quand je vous parlais de Ténèbres, prenez-moi la main de Dennis Lehane. Qui signerait une pétition anti-cours de creative writing avec moi ?…)
C’est peut-être la longueur du bouquin qui veut cela. Plus de 800 pages pour une histoire à l’intrigue non pas inexistante mais secondaire (ce qui n’est pas forcément un mal, les scènes de suspense et d’action ne sont pas les plus convaincantes, et celles où l’héroïne exprime de la peur n’en suscitent aucune à la lecture), c’est beaucoup. L’écriture de Marisha Pessl a beau être enlevée et explosive, les longues digressions agacent. Peut-être le bouquin aurait-il gagné à faire un tiers de pages en moins. Cette longueur est d’ailleurs surprenante, pour un premier roman (car il s’agit d’un premier roman, que l’auteur a publié non pas à 60 ans, comme Sam Savage et son Firmin, mais à 26 ans). Preuve qu’il ne faut pas écouter ceux qui disent qu’un éditeur ne publiera jamais un manuscrit de 800 pages, à moins que l’auteur s’appelle Stephen King ou J.K. Rowling, qu’en tout cas aucun éditeur ne publierait un premier roman dont la longueur excessive signifierait coûts de production élevés et risque de rebuter les lecteurs ? Pas forcément. Car, si La physique des catastrophes est un premier roman, il témoigne d’une indéniable maîtrise narrative, au style ébouriffant et qui en prime nous apprend plein de choses, ce qui n’est jamais déplaisant. Parions que l’on réentendra vite parler de Marisha Pessl…


Pour mon best-seller j’en retiens que :

 
J’exigerai une couverture cohérente. 

Encore une couv française qui laisse pantois : photo et quatrième de couv donnent à penser que l’histoire va être celle d’une toute jeune ado (fillette même à voir la photo), alors que Bleue Van Meer entre en dernière année de lycée. Ok on est aux USA et les américains ont une vision toute particulière de l’enfance (une fille de la promo de Bleue parle du jour de la remise des diplômes de fin d'études secondaires comme « du dernier jour de son enfance ») mais tout de même.

Je jetterai mes premiers romans. 

Marisha Pessl dit avoir rédigé et jeté à la corbeille tant ils ne lui convenaient pas un roman noir puis une sorte de roman sudiste avant de proposer à la publication La physique des catastrophes. Bon calcul, qui lui permet de se présenter avec un premier roman abouti, maîtrisé, loin du galop d’essai. Évidemment, il faut pour cela avoir une écriture productive : combien peuvent se permettre, à 26 ans comme à tout âge, de jeter deux manuscrits pour ne publier que le troisième et meilleur …

Je travaillerai mes personnages secondaires. 

Quel dommage que ne gravitent autour d’un personnage principal si riche et original que des archétypes américains. Quel dommage qu’en plus ces archétypes n’aient pas leur discours propre, mais s’oublient tous parfois à parler de la même et si singulière façon que Bleue, à grand renfort de citations de bouquins et de formules à l’emporte-pièce ! (Milton, tombeur de ces demoiselles au QI de misère, cite Argos, chien d’Ulysse dans L’Odyssée ; Miss Brewster, dernière d’une série de conquêtes rivalisant de bêtise pathétique du père de Bleue, entre deux inepties et réactions hystériques et puériles lâche des vérités comme : « Les gens vaniteux ne se pendent pas. Ils se plaignent, ils gémissent, ils font du bruit, mais ils ne se passent pas la corde au cou. »)

Je dévoilerai le nœud de l’intrigue dès l’introduction… 

… si, comme Marisha Pessl, je n’arrive pas à faire autrement qu’écrire plus de 500 pages avant d’en arriver à une scène d’action. Parce que laisser entendre aux lecteurs qu’il va y avoir un drame sera peut-être alors mon seul espoir de retenir leur attention jusque-là. Bien sûr, j’essaierai tout de même plutôt de rentrer plus rapidement dans l’action afin de ne pas avoir à employer ce genre de ressort.

Je penserai à ceux de mes lecteurs qui me lisent avec attention… 

Et donc, je ne prétendrai pas écrire une histoire à fin ouverte, comme dans la littérature ou le cinéma européens, quand je parsème mon récit d’indices sur la plus plausible des fins, par exemple en ne parlant d’un des personnages clés qu’à l’imparfait (comment, ce personnage dont l’héroïne ne parle qu’au passé meurt ou disparaît ?, mais quelle surprise !!), comme dans les romans ou films à gros budget américains.

… Et je penserai à ceux de mes lecteurs qui ont cru à mon histoire. 

Ainsi je ne conclurai pas un récit raconté depuis la première page par l’héroïne, à la première personne, par un épilogue à la troisième personne où l’auteur s’adresse à ses lecteurs en prenant un recul ironique sur l’ensemble de l’histoire. C’est drôle et cela met en exergue certains détails de l’histoire qui pourraient avoir échappé aux moins attentifs des lecteurs, mais ça brise le lien qu’à la lecture nous pouvions avoir noué avec certains personnages et que nous aurions sans cela pu garder intact.
Mais là encore, gageons qu’il s’agit de l’hésitation d’une jeune auteur à se prendre au sérieux. Ce qui nous fait redoubler d’impatience de lire d’autres Marisha Pessl, plus affirmés !

>> La physique des catastrophes, Marisha Pessl, Folio Gallimard, 822 pages, 2009, traduction française Laetitia Devaux

jeudi 26 août 2010

Un roman russe, d’Emmanuel Carrère



L’histoire
 

Autoanalyse d’Emmanuel Carrère sur deux années de sa vie, qui le voient se rendre dans la petite ville de Kotelnitch, en Russie, pays de ses ancêtres maternels, sur les traces d’un hongrois qui y resta prisonnier plus de cinquante ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale, mais qui le voient aussi s’interroger sur les ombres de sa famille, sur son rapport avec la langue russe, avec l’écriture, sur une passion qu’il vit et  dont il écrit qu’il s’agit d’amour.

Attention, la suite de ce post dévoile des infos capitales sur le contenu du bouquin !

Ma lecture 

Ce roman russe n’est pas un roman mais une autobiographie, bien écrite, bien construite aussi, croisant avec aisance des tranches de la vie familiale, professionnelle, amoureuse de Carrère, le tout délivré sans réserve, sans tabou. Et sans pudeur. A ce point que rapidement un malaise s’installe. Si dès l’incipit Carrère nous fait les voyeurs de l’un de ses rêves érotiques, le malaise vient plutôt de ces paragraphes où il s’adresse en les tutoyant à sa (véritable) compagne de l’époque, ou à sa (véritable) mère. Rien ne nous est caché, normal puisque dans ce livre Carrère tente de se défaire d’un secret familial qui lui pèse, c’est donc un livre qui se veut anti-secrets, oui mais souhaitons-nous être invités dans tant d’intimité ? Pouvons-nous oublier qu’il nous livre non seulement son intimité mais également celle de personnes qui lui sont ou lui étaient proches, y compris dans les moments les moins glorieux pour elles ?
Le malaise vient aussi de la personnalité de Carrère, suffisant, définitif, dérangeant. C’est bien le problème de la forme autobiographique, on s’offre au jugement des lecteurs. Or pour moi cela a coincé.
Notamment dans son récit de sa relation avec Sophie, cette femme dont il répète tant qu’il l’aime, mais avec qui sa relation semble tenir davantage de la passion physique narcissique, exhibitionniste, destructrice, possessive, malsaine, sadique. Ses descriptions et analyses de leurs déchirements amoureux sont les passages qui peut-être résonnent le plus en nous, ceux auxquels il est le plus aisé de s’identifier. Mais également ceux qui donnent de l’auteur l’image la moins flatteuse, jusqu’à la gêne. Quand il parle de Sophie il écrit : « J’aime le regard des commerçants, des clients du café sur elle, sur sa beauté. (…) J’aime qu’on m’envie parce que c’est moi qu’elle aime. » Il dit plus loin qu’il aime se montrer auprès de ses amis avec elle, sentir que les hommes de son entourage l’envient, jusqu’à ce que survienne « le moment, à table, où quelqu’un demande à Sophie ce qu’elle fait dans la vie et où elle doit répondre qu’elle travaille dans une maison d’édition qui fait des manuels scolaires, enfin parascolaires. (…) J’aimerais mieux qu’elle puisse dire : je suis photographe, ou luthière, ou architecte ; pas forcément un métier chic ou prestigieux, mais un métier choisi, un métier qu’on fait parce qu’on aime ça. Dire qu’on fait des manuels parascolaires ou qu’on est au guichet de la Sécurité Sociale, c’est dire : je n’ai pas choisi, je travaille pour gagner ma vie, je suis soumise à la loi de la nécessité. (…) Pour moi qui dépends si cruellement du regard des autres, c’est comme si elle se dévaluait à vue d’œil. » Certes c’est honnête, direct. Mais bon…
Carrère s’agace aussi que Sophie utilise des expressions comme « je pose une semaine de congés », que ses amis en utilisent d’autres comme « sur Paris ». Mais il aime l’imaginer faisant une grande randonnée, pense à la chance des hommes qui alors la croiseront, quand normalement sur les chemins de GR « on ne croise que des moches », se réjouit de la fierté qu’elle éprouve quand, un soir où elle dîne dans un gîte, il l’y appelle de Russie, pour l’ahurissement des tablées.
Il est fier aussi de leur entente sexuelle, fier qu’elle affiche un visage de « femme bien baisée », fier d’être l’homme qui lui donne cette expression. Il en est si fier qu’il décide de la donner à voir au monde, en lui rédigeant un texte érotique qui sera publié dans un supplément du journal Le Monde au cours de l’été 2002, un texte rédigé à la deuxième personne du singulier, qu’il conçoit comme une déclaration d’amour ultime mais qui n’aura pas exactement les retombées qu’il en espérait.
Il réfléchit à cet échec, se remet en question, se dit qu’il a défié les dieux en se croyant autorisé à faire des paris sur l’avenir, s’interroge sur l’acte pour un écrivain d’offrir ses proches en pâture au public. Et récidive aussi sec en livrant en conclusion de son Roman russe une lettre très personnelle à sa mère.
On pensait bien avoir senti, au fil du bouquin, que c’était à sa mère que tout ceci s’adressait. Mais, comme le lui dit une amie vers le milieu du livre, n’est-il pas légèrement immature « de sortir sa bite comme ça devant parents et enfants » ? J’ajouterais : n’est-il pas encore plus immature de le faire en prenant à témoin le reste du monde ?
Beaucoup de malaise donc. Cependant un malaise qui tient surtout au fait qu’il s’agit d’une autobiographie, impudique, et non d’une fiction. Au fond c’est Carrère, l’homme, qui m’a dérangée. Car Carrère l’écrivain est plus que convaincant. L’analyse des sentiments, revisités avec le recul de quelques années, est souvent subtile, servie par cette introspection jusqu’au-boutiste. Certains passages, notamment en Russie, sont somptueux, et l’écriture pour l’essentiel est pure et belle. Cela aurait été de la fiction que j’en serais peut-être ressortie bouleversée.

J’en retiens que pour mon best-seller :

 
Je m’inspirerai des romans de gare. 

Carrère estime que son récit pornographique publié dans Le Monde et restitué ici est « performatif », dans la mesure où, à l’image de la phrase « je déclare la guerre » qui aussitôt prononcée implique que la guerre est de fait déclarée, lorsque lui écrit « tu mouilles » cela aussitôt « fait mouiller ». Pense-t-il. Ce qui est proprement incompréhensible, venant d’un écrivain qui situe d’innombrables actions de son Roman russe dans des trains ou des gares. Ne s’est-il donc jamais abaissé à feuilleter un des romans à deux sous qui y pullulent et qui lui auraient donné quelques clés sur ce que veulent les femmes ? N’a-t-il jamais non plus eu la chance de regarder A la poursuite du diamant vert, où la trop rare Kathleen Turner s’émoustille et pleure d’émotion en rédigeant des scènes de passion fougueuse à destination d’un public féminin ? Proprement ahurissant étant donnée sa génération ! Et bien dommage pour lui ! Et, plus encore, pour ses lectrices…

En revanche je ne m’inspirerai pas forcément des films racoleurs. 

Vous savez, ces films qui commencent par une scène de sexe très explicite qui n’apparaît pas vraiment justifiée dans l’histoire. Par exemple, la première scène du par ailleurs très regardable 7h58 ce samedi-là de Sidney Lumet. Côté bouquins, si on comprend bien la scène initiale du Baise-moi de Virginie Despentes, on comprend moins le besoin de Carrère d’amorcer son récit par cette description d’un rêve érotique. Choix qu’il semble expliquer cependant vers le milieu du bouquin, où il écrit que « lorsqu’il y a du cul on lit jusqu’au bout, c’est comme ça ». J’ai lu jusqu’au bout. Pas forcément pour ces raisons-là. Mais une technique en valant bien une autre, peut-être se trouvera-t-il parmi vous des volontaires pour choisir de l’imiter...

>> Un roman russe, Emmanuel Carrère, Folio Gallimard, 398 pages, 2008