mardi 27 septembre 2011

La délicatesse, de David Foenkinos


L’histoire 
Deuil et émois suédois à variante polonaise d’une française à la féminité suisse.

Ma lecture 

Septembre n’est pas toujours le meilleur mois. C’est la rentrée, puis l’automne, les jours raccourcissent, les feuilles tombent, d’autres que les feuilles tombent aussi parfois et l’humeur suit.
Il existe heureusement certains remèdes, au premier rang desquels… un bon défi !!
Or en matière de défis, et en période de rentrée littéraire, Lire pour écrire aurait difficilement pu trouver mieux que l’énigme La délicatesse. Imaginez : ce roman, ainsi que le clame le bandeau ceignant sa version poche, a obtenu pas moins de 10 prix littéraires.
Oui, 10.
Avouez qu’il y a de quoi s’interroger.
Car, je ne le nie pas, La délicatesse est une lecture distrayante, amusante même, à dessein ou pas d’ailleurs, mais comment accorder beaucoup de crédit à un bouquin qui ne peut être lu qu’au second degré, à l’écriture trop clinique pour émouvoir, pour susciter même un quelconque attachement aux personnages, un quelconque intérêt aux (rares) événements.
En imaginant qu’on fasse l’effort d’entrer dans l’action, cet effort se révèle vain car quelques lignes plus loin il y aura immanquablement une interruption. La délicatesse est tellement entrecoupée d’intermèdes, digressions, notes de bas de page qu’aucun apprivoisement n’y est envisageable.
Et puis c’est truffé d’idées, dictons et vérités définitives parfois drôles (« On a toujours cinq minutes de retard sur nos conversations amoureuses ») mais souvent risibles (hommes ou femmes, tous définissent la féminité par le bruit de talons aiguilles, en conséquence de quoi tous exècrent la moquette), voire franchement agaçants (« Les enfances en Suède ressemblent à des vieillesses en Suisse »).
« Le Larousse s’arrête là où le cœur commence », écrit Foenkinos. Son univers est si aseptisé, poli, candide, insipide, jusqu’aux images et métaphores d’une platitude remarquable (« Il était Armstrong sur la lune. Ce baiser était un grand pas pour son humanité. »), qu’il ne semble pas absurde de penser que son écriture s’y est arrêtée également.
Soit.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi cette avalanche de prix ? Pourquoi cette traduction en 15 langues, ce succès en librairie ?
À cela, j’avoue avoir vainement cherché des indices dans et entre les lignes. Avant de réaliser que, comme souvent, la réponse était visible comme de gros caractères blancs sur un bandeau violet : il s’agissait d’un coup marketing !
Absolument, tout bêtement.
Dubitatifs ?
En ce cas sachez que La délicatesse fut retenue pour le Goncourt, le Renaudot, l’Interallié, le Femina et le Médicis. Et obtint (et remerciez-moi, j’ai sué pour trouver la liste complète) : le prix Conversation, le prix Notre Dame des Dunes, le prix du 7e Art (journées du livre et du vin), le prix des Écrivains dans le vent (prix An Avel), le prix des lecteurs du Télégramme de Brest (prix Jean-Pierre Coudurier), le prix Orange du livre, le prix Fnac Riviera, le prix Gaël-Club, le prix littéraire des lycéens du Liban, ainsi que le non moins fameux prix Humanités de l’école Massillon.
Alors, convaincus ?


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

Je m’efforcerai d’écrire une histoire, avant de penser à son adaptation ciné. 
Le désir de Foenkinos de voir son livre porté à l’écran est si patent qu’il en devient inconvenant. Si les scènes, les situations nous avaient laissé un doute, Foenkinos nous l’ôte en écrivant une de ses saynètes au format scénario. Et en nous livrant les titres des trois livres préférés de son héroïne, Belle du seigneur d’Albert Cohen, L’amant de Marguerite Duras et La séparation de Dan Franck, qui ont en commun d’avoir tous leur adaptation filmique. Belle du seigneur a toutefois longtemps été réputé inadaptable. Faut-il y voir un présage ?…

Je réfléchirai bien à mon titre. 

Le terme « délicat » est décliné à satiété au fil du récit. L’aurais-je autant remarqué, cela m’aurait-il tant agacée s’il n’avait pas été le titre du bouquin ? Probablement pas. Un procédé, qui plus est, bien peu dans la délicatesse…

J’éviterai de flatter mes personnages… 

… par exemple en vantant leur humour, quand celui-ci est relativement plat. Ou en m’extasiant sur l’originalité de leurs répliques, quand celles-ci sont tout de même assez convenues.

> La délicatesse, David  Foenkinos, Folio Gallimard, 2011 (éd. originale 2009), 209 pages.

dimanche 11 septembre 2011

L’épouvantail, de Michael Connelly


L’histoire 
Face à la planète Web, les empires de presse vacillent et le LA Times en envisagerait de se séparer de l’un de ses meilleurs, mais coûteux, journalistes, Jack McEvoy. En place de la sortie en fanfare espérée, celui-ci va découvrir que les nouvelles technologies, et ceux qui en font l’usage, pourraient lui coûter beaucoup plus qu’un job…

Ma lecture 

Quelle virtuosité que la première partie de L’épouvantail !
Virtuosité par comparaison d’abord. Là où, dans Ciels de foudre ou Horreur boréale, on devinait leurs auteurs derrière les héros (ces derniers étant visiblement des versions idéalisées de ce que les premiers auraient rêvé être, vivre), dans L’épouvantail on peine à croire que Connelly ait pu ne pas vivre ce qu’il écrit, ne pas être Jack McEvoy racontant sa propre vie tant tout semble authentique, des conversations jusqu’aux pensées du héros lorsqu’il traverse tel lieu, observe tel détail. Ici on ne sent plus l’univers et le travail de l’auteur derrière le héros, on voit ce que voit le héros, on s’immerge dans sa vie.
Avouons cela dit que la vie de Connelly est (ou fut) proche de celle de McEvoy (ancien journaliste du LA Times, finaliste du Pulitzer en 1986). Mais il y a plus. Car la virtuosité de Connelly réside aussi dans son don d’amener le lecteur exactement où il le veut, quand il le veut : au moment précis où l’on devine une chose, les héros non seulement la devinent également mais la commentent, et en la commentant en devinent davantage que nous, tandis que dans le même temps, ailleurs, l’histoire s’accélère pour aussitôt nous orienter vers des situations plus imprévues encore. Ainsi le rythme évolue à celui de la lecture, et le lecteur ne garde jamais plus d’une page de déductions d’avance.
Malheureusement, la deuxième partie est plus faible. Un personnage essentiel disparaît brutalement et cette disparition est peu traitée. Un autre, à l’esprit jusqu’alors brillant, ne semble plus rien percevoir. Et la fin aurait pu être plus grandiose.
Vraiment dommage que ce final n’atteigne pas la bluffante efficacité d’une première partie, par ailleurs passionnant tableau de l’appréhension d’une époque vécue depuis l’intérieur d’une rédaction.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’éviterai les répétitions. 
Et surtout je n’emploierai pas plusieurs fois dans un même roman un terme connu mais non courant, car alors le regard bute démesurément sur lui. Comme lorsque Connelly, ou son traducteur français, emploie le terme « sis »… pas moins de cinq fois dans un même roman (« une boîte aux lettres sise près de SeaTac », « des installations qui, sises à Mesa, Arizona, offraient une sécurité », etc.) !

Je pratiquerai l’humour à mes dépens. 

Connelly, anciennement journaliste, écrit :
Tout au fond de lui-même, le journaliste a toujours envie d’être un romancier. C’est la différence qu’il y a entre l’art et l’artisanat. Les écrivains veulent tous être considérés comme des artistes.
C’est pour des phrases comme celle-là que je lui pardonne de pratiquer l’humour également aux dépens des blogs, par exemple ici :
Le journal est censé être le chien de garde de la communauté et on est en train de le filer à des petits chiots. Pense au grand journalisme que nous avons connu. La corruption débusquée, le bien public. D’où tout cela va-t-il venir, maintenant que tous les journaux du pays disparaissent ? Du gouvernement ? Allons donc. De la télé ? Des blogs ? Tu rigoles ! D’après un de mes amis qui a accepté de se faire racheter en Floride, la corruption est l’industrie qui va le plus progresser quand il n’y aura plus de journaux pour la surveiller.
À condition qu’il ne récidive pas trop, quand même. Non mais.

> L’épouvantail, Michael Connelly, Points Policier, 2011, 519 pages.

samedi 3 septembre 2011

Ainsi saigne-t-il, de Ian Rankin


L’histoire 
Enquêtant sur de troublants suicides, l’inspecteur John Rebus se retrouve confronté aux ambiguïtés de la machine politique écossaise. Or, tout incorruptible et tenace qu’on soit, peut-on avoir raison de la raison d’État ?

Ma lecture 

Après l’honnête Ciels de foudre et le prometteur Horreur boréale, voici enfin un polar étalon, auquel ne manque aucun des indispensables du genre. L’inspecteur Rebus est ce qu’il faut de désabusé, placide, sensible, alcoolique, lucide, face à des collègues au choix compétents et intrépides, ou obtus et détestables à souhait. L’écriture est efficace et directe, rythmée de dialogues du type :
-    Laissez-moi vous dévoiler le fond de ma pensée sur cette affaire John.
-    Oui, monsieur ?
-    Un beau merdier, du début à la fin.
Si l’on excepte une bande-son parfois inutile, ainsi qu’une fin qui aurait pu être plus étoffée et achevée, car en l’état elle contraint presque à acheter le bouquin suivant, Ainsi saigne-t-il propose donc, et jusqu’à son titre, tout ce qu’on attend d’un vrai bon polar, intrigue soutenue, bas-fonds glauques et machinerie politique, humour vif et dépaysement en prime.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’éviterai de trop hacher mes dialogues. 
Bizarre, ce penchant de Rankin pour les inserts, entre parenthèses et fréquents, d’éléments de description tronçonnant ses dialogues. Ainsi lorsque Mathieson parle à John Rebus, ça donne cela :
-    Nous doutions-nous alors que ces profits étaient générés par des moyens frauduleux ? (Il haussa les épaules.) C’est une question pour les avocats. (…) C’est beaucoup de temps, beaucoup d’argent aussi… (Il ouvrit les bras, paumes vers le ciel, confirmant son talent de comédien.) Et tout ça au nom de quoi, je vous le demande ? (…) La loi est une maîtresse intransigeante, à ce qu’on dit. (Petit sourire entendu.) Mais la loi, répondrais-je, n’est pas tout. (Il leva un doigt comme pour souligner ce point, puis le porta à ses lèvres.) La loi morale, inspecteur, c’est autre chose.
Difficile, avec toutes ces interruptions, de rester concentré sur le cours de la tirade…

Je respecterai l’écriture du genre. 

Et donc si j’écris un polar, comme Rankin j’abuserai de phrases du style :
Il allait dire à Davidson tout ce qu’il savait, ce qui ne représentait pas la moitié de ce qu’il soupçonnait. Ce qui, en soi, ne représentait pas la moitié de ce qu’il redoutait.
Ou de pensées du genre :
Une nouvelle fois, Rebus regarda le corps. On l’enveloppait dans une housse. Direction la morgue dans un premier temps, puis le funérarium ; vos derniers déplacements en ce monde sont aussi prévisibles que les premiers.
Car l’écriture d’un bon roman policier se doit d’être efficace, drôle et mélancolique. Non ?

> Ainsi saigne-t-il, Ian Rankin, Gallimard, Folio Policier, 2003, 495 pages.

mercredi 31 août 2011

Horreur boréale, d’Åsa Larsson


L’histoire 
Le passé nous rattrape toujours. Telle est l’expérience que fait Rebecka Martinsson, jeune et brillante avocate fiscaliste à Stockholm, lorsqu’un crime atroce frappe l’un de ses anciens proches, membre de la communauté religieuse de Kiruna, la ville lapone de son enfance, la contraignant à y revenir.

Ma lecture 

Quelle désillusion, mais quelle désillusion ! Je vais avoir du mal à m’en remettre. Rendez-vous compte : à en croire ce qu’écrit Åsa Larsson, les rapports hommes-femmes en Suède sont à s’y méprendre rigoureusement semblables à ce qu’ils sont sous nos latitudes. Or si le mythe d’une société éveillée, égalitaire et harmonieuse se brise, que reste-t-il ?
Eh bien il reste un polar, de plutôt bonne facture d’ailleurs.
Premier roman d’Åsa Larsson, Horreur boréale est assez prometteur. Rythmé, alternant plutôt habilement scènes au passé et au présent, habité de personnages ce qu’il faut de complexes et incarnés (la relation entre l’héroïne et sa meilleure amie-ennemie d’enfance, Sanna, est spécialement bien vue), il bénéficie aussi d’une intrigue travaillée et documentée – notamment s’agissant des ressorts traitant des communautés religieuses ou des soupçons de fraude fiscale. Il faut dire qu’Åsa Larsson traite de toute évidence de sujets qu’elle maîtrise : elle-même juriste de formation, elle est comme son héroïne originaire de Kiruna, et l’on ne serait pas surpris d’apprendre qu’elle est ou a longtemps été sensible à la spiritualité.
Sur ce point, je pourrais la comparer à C. J. Box, dont je vous parlais il y a quelques jours, car lui aussi a choisi d’attribuer à ses héros des bouts d’histoire lui appartenant : le Wyoming (sa région), les ranchs (il fut manœuvre de ranch), l’intervention d’un guide de pêche (un autre de ses anciens métiers). Autres points communs : ils sont de la même génération (Åsa Larsson est née en 1966, C. J. Box en 1967), sont favorables au point de vue omniscient, et ont semble-t-il tous deux une aversion éprouvante pour le verbe dire (tous les dialogues sont rythmés de « mentit-elle », « soupira-t-il », « héla-t-elle », « glissa-t-il », etc.). Reste que l’écriture d’Åsa Larsson est beaucoup plus subtile, nuancée que ne l’est celle de C. J. Box.
Horreur boréale n’est pas sans quelques faiblesses, cela dit. Åsa Larsson verse légèrement dans la facilité parfois mièvre d’une Mary Higgins Clark, à laquelle elle a peut-être emprunté un penchant pour les flashbacks et pour la description des tenues vestimentaires, notamment lorsque celles-ci sont de marques coûteuses, ainsi qu’une façon de situer le(s) coupable(s) dans un cercle proche, de faire peser le poids du passé, de présenter les pensées de l’assassin tout en brouillant les pistes, ou encore de développer une romance que l’on voit venir des chapitres avant l’héroïne. Il n’empêche que malgré cela, et malgré une dernière scène inutile et des remerciements qui auraient pu ne pas préciser que les événements décrits sont fictifs, il s’agit d’un premier polar riche et abouti, qui incite à se pencher sur la suite des aventures de son héroïne, Rebecka Martinsson.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’y irai mollo avec les images d’un même type. 
À la première analogie animale, on reconnaît que l’image est parlante. Mais quand on lit : « Elle prêta l’oreille mais n’entendit que le bruit de son cœur, cognant dans sa poitrine tel un lièvre apeuré. », puis quelques lignes plus loin : « Pas étonnant que la nuit mes pensées tournent en rond, comme un écureuil dans sa roue. », et quelques paragraphes après : « Les deux autres s’agitaient fiévreusement, tels de jeunes chiens flairant une piste. », on se dit qu’à moins qu’il ne s’agisse d’un gimmick supposé nous faire sourire, ce qui ne semble pas être le cas, ça trahit un certain manque d’imagination.

Je vérifierai mes sujets. 

S’agit-il d’Åsa Larsson, ou bien de ses deux traducteurs français ? En tout cas il y en a au moins un, parmi eux trois, qui raffole du placement des subordonnées ou compléments circonstanciels en début de phrase… mais qui derrière la virgule ne place pas le bon sujet ! Ce qui donne, toutes les 4 ou 5 pages, des tournures comme :
À cause de ses petites pattes, l’épais manteau neigeux ralentissait Tjapp.
Les petites pattes de l’épais manteau neigeux ? Mouais.

> Horreur boréale, de Åsa Larsson, Folio Policier, 2011 (édition originale 2003), 389 pages.

dimanche 28 août 2011

Ciels de foudre, de C. J. Box


L’histoire 
Joe Pickett, le fameux garde-chasse du Wyoming, se retrouve aux prises avec les trois frères Scarlett, l’un charismatique et autoritaire, le second sanguin et rural, le troisième fêlé et puissant, tous incapables de contenir leur violence après la disparition de leur mère, tyrannique propriétaire du plus beau ranch de la région. Dans les plaines, d’autres dangers rôdent.

Ma lecture

 Je l’ai échappé belle. Un peu plus et je ratais mon été, dites. Non, vraiment : à quelques jours près je passais un été entier sans avoir lu un polar ! Vous parlez d’une hérésie !! Je sais, je sais, l’été c’est jusqu’au 22 septembre, oui mais reconnaissez que passé le 31 août ce n’est plus vraiment pareil, et quand on parle lecture de polar l’été, on pense farniente sur la plage sous le chaud soleil de juillet-août. Question chaleur, vous me direz, c’était pas vraiment ça cette fois. C’est peut-être ce qui m’a fait oublier tous mes principes d’ailleurs, c’est pas ce ciel maussade qui m’aurait incitée à lire un polar. Sauf qu’un temps pareil inspira peut-être le titre du roman Ciels de foudre de C. J. Box, alors grâce à lui, ouf, j’aurai quand même lu au moins un roman policier cet été !
Et alors, comment est-il ce polar ?
Eh bien, honnête.
Ciels de foudre est encore un de ces bouquins au point de vue omniscient, qui nous font les observateurs des agissements et pensées de chacun, tour à tour et dans un même chapitre. Un de ces bouquins qui, à chaque nouveau personnage croisé, nous racontent son histoire, sa vision des faits et jusqu’à ce qui va lui arriver (à grand renfort d’avertissements aux protagonistes, du genre : « Se montrer ouvertement pour mieux se cacher, c’est comme cela que ça se passait dans cet endroit. Il ne tarderait pas à en tirer la leçon. »). Un de ces bouquins aux situations plus racontées que vécues, aux dialogues peu crédibles, à la morale à la limite du dérangeant. Un de ces bouquins aux métaphores et analogies aussi nombreuses que d’un intérêt limité (« Il reprit ses esprits, sa colère se dissipant peu à peu, à l’image de la vapeur qui s’échappe d’une cocotte-minute »), où les personnages « coulent » des regards ou des sourires toutes les trois ou quatre pages. Un de ces bouquins qui dévoilent les éléments de suspense au fur et à mesure, avant que les héros n’en soient informés, annulant pour le lecteur tout possible effet de surprise.
Alors en quoi est-ce un polar « honnête » ?
Eh bien en ceci que l’intrigue est raisonnablement complexe, très documentée (combien d’auteurs américains sauvés par leur extrême travail documentaire !), le style suffisamment enlevé pour qu’on souhaite tourner la page, et certains personnages (pas tous, malheureusement, C. J. Box est plutôt manichéen dans l’appréhension de la plupart d’entre eux) sont correctement marquants.
Dommage que ceux-là soient bazardés dans une fin manquant d’ampleur. Dommage, enfin, que la traduction française laisse tant à désirer…


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

 
Je ne dispenserai pas mon héros d’un affrontement final en apothéose. 

Ok, c’est classique, mais l’on se doit parfois de respecter les règles d’un genre. Même si on adore notre personnage et qu’il nous est intolérable de les voir, lui ou ses proches, en situation de souffrance, il faut se contraindre à en passer par là pour satisfaire nos lecteurs. Eh, c’est qu’ils ont souhaité lire un polar, zut !!

Je me rappellerai qu’analogies et métaphores sont de l’art. 

Je m’abstiendrai donc d’infliger mes images en masse à mes lecteurs, tant que je ne les aurai pas élevées à ce rang. Car un lecteur a tout de même droit à autre chose qu’à :
L’on aurait dit qu’il avait le nez décollé, presque comme s’il pendouillait sur le visage, à l’image d’un oiseau qui vole au ralenti et ne sait pas trop où se poser.
ou :
C’est alors que quelque chose ou quelqu’un passait devant la fenêtre, à l’intérieur, masquant la lumière, à l’image d’un doigt qu’on agite devant la flamme d’une bougie.
ou encore :
Les nuages envahissaient le ciel, à l’image d’un rideau qui masque la lumière et atténue les contrastes.

Je ferai confiance à mes lecteurs… 

Je ne me sentirai donc pas obligée de leur rappeler systématiquement qui est qui, de peur qu’ils ne suivent pas. Alors au lieu d’écrire, comme C. J. Box, ceci :
- Joe est là ? lança celui qui organisait des parties de pêche à la rivière.
J’écrirais plutôt ça :
- Joe est là ? lança Tommy.
C’est bien suffisant, et tout de même moins maladroit, non ?
De la même façon, je n’éprouverai pas le besoin d’expliquer à mes lecteurs les tonalités de mes personnages à chacune de leurs réparties, en ponctuant celles-ci d’expressions du genre « lui renvoya Missy sur un ton méprisant », ou « s’enquit-elle d’une voix calme », ou encore « la corrigea Missy sur un ton glacial ». Si ma scène est correctement écrite, mes lecteurs devraient pouvoir d’eux-mêmes deviner le ton employé par mes personnages…

… mais pourrai néanmoins envisager de les éclairer à l’aide d’un schéma. 

Insérer, comme ont pu le faire Agatha Christie ou J. R. R. Tolkien, un plan de la demeure ou de la région où se situe mon action peut parfois clarifier les choses autrement mieux que ne le font d’interminables pages descriptives. Et puis vous n’oserez tout de même pas prétendre que ce qui était bon pour la reine du crime ou le créateur de la fantasy moderne ne le serait pas pour C. J. Box ou nous, hum ?…

> Ciels de foudre, de C. J. Box, Points Policier, 2010 (édition originale 2006), 340 pages.

dimanche 21 août 2011

Georges Brassens face à Philippe Némo : musique, rythme et inspiration


En cet ultime jour de l’expo Brassens à la Cité de la musique, je ne peux pas ne pas vous parler d’une interview qui y était proposée à lécoute, autre que celle où Georges Brassens et René Fallet évoquent leurs lectures, une interview particulièrement précieuse du poète par Philippe Némo pour France Culture, en 1979.
Brassens y parle musique bien sûr, chansons, modernité, y livre son goût des sciences, son indifférence au confort. Il dit ne pas se considérer poète, et se sentir loin du fin gourmet, pince-fesses et grand buveur qu’on imagine, se décrivant plutôt comme « un anthropoïde frugivore ». Il s’y exprime avec son éternelle mesure, pudique et délicat (« Je n’édicte pas de loi, dit-il, je dis ce que je crois penser »), n’échappant pas toutefois à quelques bouffées d’orgueil (il explique ainsi qu’il est très difficile de chanter Oncle Archibald ou Je me suis fait tout petit, que le public ne peut pas le faire, que seul un musicien peut le faire – ce qu’il illustre en en chantant des extraits avec force involontaires fausses notes, remarquées par Némo, auquel Brassens réplique qu’il « est très fatigué ces temps-ci »).
Comme à chaque fois qu’un grand auteur parle création, il y a matière à s’inspirer. D’autant plus que Brassens est, il le dit lui-même, « quand même un musicien un peu des mots aussi ».
Je ne résiste donc pas au plaisir de vous restituer de larges extraits de ces entretiens…


Apprendre des autres 

L’une des pensées de Brassens, facilement applicable et qui, j’ose la comparaison, n’est pas sans lien avec ce que je proposais pour tous ceux, dont moi, qui n’ont pas la chance d’être des natural born writers, concerne l’enrichissement au contact des autres. Par l’écoute :
Comme école, j’ai d’abord eu mon oreille. Mais c’est très suffisant pour la musique, l’oreille. Sans doute pour le reste aussi. Il est très possible qu’un analphabète, placé au milieu de gens cultivés, puisse devenir à son tour cultivé lui-même rien que par l’oreille, rien qu’en écoutant les autres, (…) on prend ça comme on prend l’accent.
Comme par la lecture :
En arrivant à Paris, en 1940, j’avais 18 ans, j’ai passé mon temps à la bibliothèque du 14ème [ à lire les poètes ], et là je me suis aperçu que j’étais absolument nul. Alors je me suis demandé si, en lisant les poètes, je n’arriverais pas à acquérir, sinon leur génie, du moins (…) à ornementer un petit peu mon esprit de manière à écrire des chansons un peu meilleures que celles que j’entendais quotidiennement à la radio.

De l’inspiration… 

Moins applicable mais partagée par tant d’entre nous lorsque nous tentons de créer, est cette considération sur l’inspiration :
Quand on se met à penser à quelque chose, on finit quand même par trouver au fond de soi des choses dont on ne soupçonnait pas l’existence. Très souvent, une idée me vient comme ça qui me tombe du ciel. Enfin peut-être pas de si haut, mais enfin qui me tombe de quelque part. Un truc m’arrive (…) à la suite d’une réflexion sur laquelle je n’ai aucun contrôle. Une partie se passe dans l’inconscient quand même. Des choses se font un petit peu à votre insu, des choses cheminent toutes seules en vous puis, à la suite d’une conversation, d’une lecture, d’une rencontre, d’une affiche, une idée peut vous venir.

… et des thèmes 

Alors que Némo l’interroge sur les thèmes de son œuvre, parmi lesquels il repère la mort, la femme, la charité, le peuple, Brassens a cette répartie qui pourra soit effrayer, soit ravir les apprentis écrivains que nous sommes : il n’y a presque pas de thèmes.
Ainsi l’expose-t-il :

Il y en a combien, de thèmes ? Il n’y en a pas beaucoup plus. Il y a la patrie, il y a la nature, quels sont les autres thèmes ? Il n’y en a pas 36. (…) Les thèmes sont rares. Je crois les avoir tous plus ou moins bien traités, parce qu’il n’y a pas de thèmes. La nature, l’amour, Dieu, la vie, la mort. Bon, ben l’amitié, l’amour, la fraternité, la solidarité, ce que Monsieur appelait tout à l’heure la tendresse à propos de la femme avec qui on vit, tout ça c’est la même chose, il n’y a rien d’autre. Enfin il y a peut-être d’autres choses mais ça m’a échappé jusqu’ici.
Qu’écrire alors, s’il n’y a pas de thèmes ? Facile : suivre Lao Zi, et trouver sa voie ! Car comme le dit Brassens : « chacun a sa façon de traiter les thèmes éternels ».

La musique des mots 

Le moment peut-être le plus mémorable de cette interview est celui où Brassens se lance dans une fantastique démonstration de l’aspect ternaire du vers français.
Il explique que, exactement comme l’alexandrin français est en 6/8 (« Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie ! »), le vers français est en 6/8 – ainsi que l’est d’ailleurs sa musique favorite.
En les chantant à Némo, Brassens met en évidence les similitudes des rythmes de Perrine était servante, de La mauvaise réputation, de Zimmerwald (« La parole de Lénine  / De Liebknecht et de Rosa  / Retentit dans les champs, les casernes, les usines  / L’ennemi est dans notre pays ») et de Auprès de ma blonde. « C’est le rythme français par excellence, explique-t-il, et c’est aussi le rythme du vers français ».
De Gaulle, dont je vous disais ici que, dans Les arbres qu’on abat, il déplorait face à Malraux ne pas parvenir à se défaire du ternaire dans ses écrits, ne l’aurait sans doute pas contredit.

Se réécouter… 

À la question de savoir si, en tant qu’auteur, on peut jouir de son œuvre aussi bien que l’on jouit de celle des autres, Brassens répond :
Non, car il y a une petite part, si infime soit-elle, de fabrication dedans, qui m’enlève un peu de plaisir, un peu d’attention. Quand je reçois la musique d’un autre je la reçois toute faite alors je suis entièrement disponible. Quand j’écris une musique, je ne suis pas entièrement disponible, le frisson est moins grand. Mais il faut qu’il y ait une espèce de frisson, je ressens une espèce de frisson que je ne ressens que très rarement ailleurs.

… ou être réécouté 

Cette part de fabrication qui peut lui ôter du plaisir est néanmoins nécessaire. Brassens raconte passer beaucoup de temps sur chaque chanson, car la difficulté consiste, selon lui, à créer un morceau qui soit non pas écouté, mais réécouté :
Il me faut à peu près un mois, pour faire une chanson. Pas pour la faire, mais pour la refaire. Comme je chante pour être réécouté, je fais attention à ce que j’écris. Parce que quand on chante pour être écouté une seule fois, [ ça va ], mais quand on chante pour être réécouté, c’est l’épreuve la plus difficile, il faut tenir le coup. Alors il faut quand même soigner ce que l’on écrit. Et très souvent les choses écrites d’un seul jet, comme ça, et qui satisfont l’oreille du premier coup, ne résistent pas longtemps.

Cela ne peut que valoir pour les écrits que l’on destine à être relus.
Mais bien sûr, avant que d’être réécouté, relu, déjà faut-il avoir été écouté, lu. Or Brassens explique qu’il est toujours difficile d’entrer dans une nouvelle œuvre, en ces termes :

On entre toujours difficilement dans… des choses qui ne sont pas des moulins quoi. C’est toujours difficile. Pour entrer dans mes chansons il faut faire un petit effort, il faut être un peu mon complice. Si on n’est pas mon complice, on ne peut pas y pénétrer. Parce qu’il faut faire au moins la moitié du chemin. Il faut que le public ait du talent. Enfin il faut que le public ait le même talent que moi, ou presque. Je crois que les gens qui m’aiment bien ont à peu près le même talent que moi.
On aimerait tant pouvoir lui donner raison…

lundi 15 août 2011

Le contenu de Lire pour écrire approuvé par… un Panda !


À l’occasion du premier anniversaire de Lire pour écrire, je vous ai un peu parlé statistiques de fréquentation. Eh bien figurez-vous qu’il s’est depuis passé une chose fantastique : les stats de ce blog ont cru comme le Yangzi Jiang. L’inondation foudroyante.
Non vraiment : après un an de progression modeste et plus ou moins constante, le blog a vu sa fréquentation doubler en seulement trois semaines !
Par quelle aberration ?
Pas grâce à de la promo, terme inconnu de ce blog, ni trop par le bouche-à-oreille probablement car ce qui a surtout augmenté c’est le trafic généré par les requêtes dans Google.
Oui, il semblerait que vous vous soyez subitement mis à faire trois à quatre fois plus de recherches portant sur des thèmes ici abordés. Cela s’expliquant forcément par un contenu éditorial de grande qualité, toujours plus proche de l’actualité (un effet expo Brassens ?) et touchant de ce fait un lectorat nombreux et ravi.
Pensais-je.
Jusqu’à ce que j’entende parler de Panda. Google Panda, plus exactement, soit un nouvel algorithme du géant de la recherche, qui fait trembler le landerneau du référencement internet. Depuis son déploiement sur le web anglo-saxon entre février et mai dernier, Panda aurait contribué à faire chuter notablement la fréquentation de mastodontes du web (eBay est souvent cité parmi les grands perdants).
Il faut avouer que depuis quelques années les critiques se multipliaient quant au manque de pertinence de résultats arrivant en première page et orientant l’internaute vers des sites bien référencés mais à contenu faiblement qualifié. Google aurait donc développé Panda pour faire un grand tri, focalisé en premier lieu sur la qualité éditoriale.

Mais comment un moteur de recherche peut-il juger de la qualité éditoriale d’un site ?
Plus facilement qu’on ne l’imagine. Par exemple, en :

  • vérifiant que le contenu du site est original et non pas dupliqué ou plagié ;
  • notant la quantité de fautes d’orthographe, de frappe ;
  • s’intéressant à la proportion de mots de vocabulaire rares, à la longueur moyenne des phrases, à la complexité de la construction des phrases ;
  • pénalisant un site proposant de nombreuses pages dénuées de tout contenu éditorial ;
  • avantageant un site aux articles détaillés, par rapport à un autre aux articles courts et sans substance ;
  • sanctionnant une surabondance d’encarts publicitaires et de mots-clés (cette surabondance tendant à prouver que le contenu éditorial n’est alors qu’un prétexte à de la génération de revenus publicitaires) ;
  • s’intéressant à l’engagement des internautes avec les contenus (temps passé sur le site, popularité, relais ou non sur les réseaux sociaux…).

Et qui Google chercherait-il à renvoyer en queue de résultats avec ces critères ?
En premier lieu, les sites dits « fermes de contenus », soit des sites internet producteurs de contenus à la chaîne, rédigés et mis en forme de façon à être spécialement bien référencés par les moteurs de recherche – du moins avant l’arrivée du Panda – et vivant des revenus générés par les clics des internautes sur leurs liens publicitaires, omniprésents et, au passage, souvent générés par… Google ! (les célèbres annonces AdSense)
Ces sites seraient ainsi considérés par le moteur planétaire comme les plus dangereux pollueurs de résultats.
Là, il faut que je passe aux aveux : j’ai moi-même mis à mal la biocapacité du web. J’ai en effet, il n’y a pas si longtemps, écrit pour une de ces fermes de contenus. Bon j’étais un fermier plutôt amateur, de ceux qui font se côtoyer sur un parterre restreint plants de tomates, manguiers et rangées de riz, s’activent frénétiquement trois jours puis délaissent le labeur deux semaines, et s’étonnent ensuite d’un rendement bien modéré. Quoi qu’il en soit si j’ai cessé toute exploitation ce ne fut pas tant en rapport avec la ferme, qui fournissait des outils convenables (un module d’administration simple, une équipe de relecture, des fiches de conseils d’écriture ou d’exploitation des images plutôt bien ficelés), une relative liberté et pas trop de ces comportements déclencheurs des foudres de Panda (pas de duplication de contenu, un minimum de sélection), qu’avec l’exploitant agricole – Google, via ses annonces AdSense justement.

Mais passons.
Depuis l’arrivée de Panda, prétendument effectif en France depuis quelques jours seulement, et pourtant ressenti par quantité d’analystes de référencement web depuis la mi-avril, il y a donc beaucoup plus de trafic en direction de Lire pour écrire.
Ce qui pourrait être très valorisant : si Google référence mieux ce blog depuis Panda, c’est qu’il le classe au nombre des sites à contenu éditorial pertinent, utile et de haute valeur rédactionnelle, youhouhou !
Sauf que ce serait trop simple. Car il se trouve que Lire pour écrire est hébergé sur Blogger, l’outil blog de… Google, eh oui, encore lui. Or j’ai lu que l’ensemble des pages Blogger avait gagné en trafic depuis Panda.

Mouais.
Alors que retenir de tout ça ?
Peut-être simplement que, pour être lu, et quelles que soient ses convictions, mieux vaut savoir choisir son canal de diffusion. Et que, quoi qu’on pense du point de vue d’un panda sur une qualité éditoriale, celui-ci se base sur des principes qu’il ne serait pas forcément idiot d’appliquer à une bonne part de nos écrits…


> Plus d’infos sur les critères de Panda ici.
> Un article très intéressant sur la qualité éditoriale d’un site web .

dimanche 17 juillet 2011

Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier


L’histoire 
Dans la première moitié du XIXe siècle, un journaliste raconte les tribulations de jeunesse de son oncle, médecin de campagne à « l’estomac plein d’élévation et de noblesse », à l’épée plus décorative qu'offensive, à la philosophie nourrie au bon lait de l’automne.

Ma lecture 

Vous vous souvenez que, quand je vous racontais que Georges Brassens et René Fallet disaient que pour être de leurs amis il fallait en passer par la lecture de Mon oncle Benjamin, je me demandais si avoir vu le film avec Jacques Brel pourrait suffire ? Eh bien j’ai la réponse : c’est non, très probablement pas.
Car si Brel y campe un Benjamin idéal, le scénario est loin de restituer la truculence de ce livre au vocabulaire joyeux, aux situations loufoques, aux interminables envolées philosophiques, à l’humour réjouissant, notamment dans les dialogues, dont voici un exemple :
- Prends garde, Page, fit le notaire Arthus, tu n’es qu’un homme de plume, et tu as affaire à un homme d’épée.
- Il t’appartient bien, à toi, homme de fourchette, mangeur de saumon, de parler des hommes d’épée ; pour que tu fisses peur à quelqu’un, toi, il faudrait qu’il fût cuit.
La langue est vive, riche et chantante et, dès la première page, on comprend qu’elle ait tant séduit Brassens. Tillier et lui affectionnent quelques mêmes expressions (on trouve dans Mon oncle Benjamin comme dans Le gorille une « vieille décrépite », et comme dans Le grand chêne des « jours filés d’or et de soie »), et certains personnages auraient toute leur place dans l’univers de Brassens, par exemple ce bailli qui « aurait donné sa femme, ses enfants et son greffier pour un chétif morceau de blason ». Benjamin aussi évidemment, dont il est dit qu’à 32 ans il vivait chez sa sœur, laquelle « lui donnait de bons conseils qu’il écoutait fort attentivement, il faut lui rendre justice, mais dont il ne faisait pas le moindre usage ». Quand Brassens chante le savoir-boire, Benjamin est, lui, décrit comme n’ayant pas été un ivrogne mais « un épicurien qui poussait la philosophie jusqu’à l’ivresse », Tillier concluant en ces mots l’une de ses aventures : « Ainsi finit cette grande expédition, qui coûta peu de sang à l’humanité, mais beaucoup de vin à M. Minxit ». Et puis, à travers Benjamin, Tillier exprime des idées de liberté, d’égalité, d’humanité mais aussi d’irrévérence argumentée et élégante envers la bourgeoisie, la noblesse (Benjamin voue aux nobles une haine qu’il dit « toute philosophique », mais que son beau-frère juge plutôt « toute platonique »), le clergé, qui ne pouvaient que plaire au poète. Et au minimum à tous ses amis, forcément.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’adopterai le bon sens implacable. 
Car cela permet aux héros des réparties parfaitement imparables, comme lorsque Benjamin, attaqué sur le décès de certains de ses patients, argue :
À quoi servirait-il que Dieu se donnât la peine de nous envoyer des maladies, s’il se trouvait des hommes qui pussent les guérir ?

J’oserai l’indignation citoyenne. 

Ainsi raisonne Benjamin Rathery :
Il est impossible que vingt millions d’hommes consentent toujours à n’être rien dans l’Etat pour que quelques milliers de courtisans soient quelque chose ; quiconque a semé des privilèges doit recueillir des révolutions. »
Puisse l’Histoire lui (re)donner raison…


!! Attention, le paragraphe ci-dessous dévoile la fin de l’histoire !!

Je m’interrogerai sur les formes d’écriture, tant que j’en aurai le temps. 

Le narrateur, journaliste et pour cela, à ses propres yeux, raté, compare les articles de journaux aux produits culinaires, car ils ont en commun de n’avoir pas de lendemain.
Je ne comprends pas, dit-il, comment l’homme qui a une valeur littéraire consent à perdre son talent dans les obscurs travaux du journalisme ; comment lui, qui peut écrire sur du parchemin, se résout à griffonner sur le papier brouillard d’un journal ; certes, ce ne doit pas être pour lui un petit crève-cœur quand il voit les feuillets où il a mis sa pensée tomber sans bruit avec ces mille feuilles que l’arbre immense de la presse secoue chaque jour de ses branches.
Claude Tillier était journaliste. Mon oncle Benjamin, qu’il a publié un an avant de décéder, à seulement 43 ans, d’une maladie de poitrine, s’achève par ces mots : « À son retour du convoi, mon oncle avait une dizaine de mille francs de revenu. Peut-être verrons-nous plus tard quel usage il fit de sa fortune ». Quelle mauvaise fortune pour nous que Tillier n’ait pas eu le temps de nous le conter…
   
> Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier, Librairie Gründ, La bibliothèque précieuse, 1936 (1ère édition 1843), 255 pages.

mardi 5 juillet 2011

Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows


L’histoire 
Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, correspondance entre Juliet Ashton, jeune écrivain, et ses proches, son éditeur, ainsi qu’une poignée de guernesiais, créateurs d’un cercle littéraire d’amateurs de tourte aux épluchures de patates.

Ma lecture 

Quelle fraîche et aimable promenade dans le Londres et le Guernesey d’après-guerre que ce livre, qui restera l’unique de Mary Ann Shaffer, née en 1934 et décédée en 2008, peu après avoir appris que son roman, achevé avec l’aide de sa nièce Annie Barrows, s’apprêtait à être publié et multi-traduit.
À quoi le charme tient-il ? À la période traitée peut-être, cet après-guerre dont il nous semble concevable qu’il ait été l’occasion de rapports aussi bon enfants, terriens et aimables que ceux qu’entretiennent les principaux personnages du livre. À la simplicité désuète (comme quoi désuétude et fraîcheur peuvent aller de pair, eh oui) de ces rapports précisément, qui créent cet univers délicieux et confortable où il est si plaisant de se laisser embarquer. À cette évidence dans les relations qu’entretiennent les différents protagonistes avec la lecture, avec l’écriture aussi : Juliet par exemple ne doute pas un instant de ses compétences ou de sa légitimité d’écrivain. Et à cet humour pince-sans-rire et absurde so british, employé par une majorité de personnages.
C’est là l’une des légères défaillances du livre d’ailleurs, le fait que les voix soient si peu différenciées, qu’à de subtiles nuances près le ton des lettres des différents personnages soit si semblable. L’autre bémol que j’y mettrais tient à la quantité de lettres de l’héroïne, Juliet Ashton, par rapport à celle, nettement moindre, de ses correspondants. Car cela crée un déséquilibre : dans ses courriers Juliet raconte sa vie, parle des gens qu’elle rencontre, de ses expériences, et en dit (et demande) peu des personnes auxquelles elle écrit, si bien qu’à force elle semble très autocentrée, et ses correspondants peinent parfois à exister autrement que comme des faire-valoir.
Mais qu’importe ces réserves, cette lecture reste tout à fait charmante.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

Je surveillerai mes expressions. 
Ainsi je n’écrirai pas de phrases du genre : « Tu vois comme la vie insulaire est stimulante. Victor Hugo en est la preuve vivante. », dans un récit qui se déroule plus de soixante ans après la mort de Victor Hugo.

Si je choisis la forme épistolaire, je ruserai pour délivrer mes informations. 

Et j’essaierai de révéler les actes de mes personnages de façon plus subtile qu’en choisissant que l’un d’eux écrive à un autre ce que ce dernier vient de faire. Comme lorsque Juliet écrit à Sidney : « Comme tu as été bien inspiré d’envoyer un tel cadeau à Kit. Des chaussures de claquettes en satin rouge couvert de paillettes. » Dans la vraie vie, vous vous voyez écrire à quelqu’un ce qu’il vient de faire, vous ?

> Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, de Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, traduction Aline Azoulay-Pavcon, 2011 (pour l’édition poche), 10/18, 410 pages.

samedi 28 mai 2011

Les lectures indispensables de Georges Brassens et René Fallet


Il y a quelques bonnes trouvailles à l’expo Brassens organisée par Clémentine Deroudille et Joann Sfar à la Cité de la musique à Paris, jusqu’au 21 août prochain. J’ai un faible pour certaines archives de l’INA, et notamment une interview télévisée de 1967, quand Polac reçut Georges Brassens et son ami écrivain René Fallet à sa « Bibliothèque de poche ».
Michel Polac y interroge les deux amis, le poète et l’écrivain, sur leurs lectures. Dans ce qui nous est donné à voir, c’est essentiellement Brassens qui répond.

Et à quarante-six ans, Brassens commence par répondre qu’il ne lit plus autant qu’avant, que désormais il relit. Il explique en effet :
Je me suis aperçu que j’avais mal lu pendant très longtemps, alors je relis, de peur que trop de belles choses m’aient échappé – en réalité la plupart des belles choses m’avaient échappé. (…) Tous les quatre ou cinq ans, on a quand même une façon de juger un peu différente.
Tous les quatre ou cinq ans. Hum. Ce blog a un an, faudrait-il que j’envisage de le faire boucler tous les quatre/cinq ans, d’alors relire tous les bouquins dont j’aurais parlé précédemment et d’actualiser mes points de vue en fonction de ma nouvelle façon de juger ? Peut-être. Mais tous les bouquins dont j’aurais parlé… ça inclut déjà un Guillaume Musso, un Paulo Coelho et un Immarcescible ! Donc je ne vous promets rien.

Mais Brassens alors, que relit-il ?
Tout d’abord, Voltaire.
Et de la poésie, bien sûr : Louis Aragon, François Villon, Paul Fort (« Si tous les gars du monde voulaient se donner la main, ils feraient quelque chose pour Paul Fort », dit Brassens. Vous seriez partants pour qu’on se donne la main et qu’on fasse quelque chose pour Paul Fort, plutôt que de s’infliger des relectures d’Immarcescibles tous les quatre/cinq ans ?)...
Du Maupassant, en particulier ses contes (la chanson de Brassens La fille à cent sous est tirée de l’un d’eux).
Gil Blas aussi, dont René Fallet dit que Brassens le lui a fait lire. S’il ne l’avait pas lu jusqu’alors, c’est que, dit-il, « l’ennui des chefs d’œuvre, c’est que très souvent on n’a pas envie de les lire ». Il ajoute : « Peu de gens ont lu Gil Blas ». Brassens rétorque : « Non, les gens qui aiment la lecture et qui essaient de faire leurs humanités, ils lisent Gil Blas quand même ». Rassurez-moi, René Fallet est plus dans le vrai que Brassens là-dessus, non ?

Mais surtout, juste après Voltaire, Brassens relit Mon oncle Benjamin de Claude Tillier. Il le relit même chaque année. « [ René Fallet et moi ] ne lions pas connaissance avec un nouvel ami sans l’obliger d’abord à lire Mon oncle Benjamin », dit Brassens à Polac (avoir vu le film avec Brel, vous pensez que ça suffit à être de leurs amis ?). René Fallet renchérit, disant que Brassens et lui sont « les agents secrets de la littérature », qu’ils « se passent Claude Tillier sous le manteau ».
Brassens dit encore : « Je ne sais plus qui a dit "un auteur c’est un homme qui prend dans les livres tout ce qui lui passe par la tête" », lui en tout cas s’est découvert en lisant Mon oncle Benjamin.
Alors, si vous faites partie de ceux qui se sont découverts en écoutant Brassens, vous savez ce qu’il vous reste à faire…

Sachez toutefois que devenir un authentique auteur n’est pas sans risque :

- En fait, pour un écrivain, il y a une chose très ennuyeuse qui peut survenir, dit René Fallet. C’est de mourir.
- Et ça leur arrive à tous, hein, tu as remarqué ?, répond Brassens. Y’en a pas un qui ait survécu…

vendredi 20 mai 2011

Les écrivains et l’actualité


Dans L’homme qui tua Liberty Valance, John Ford nous apprenait que lorsque la légende dépasse la réalité, on publie la légende. Mais que publier quand la réalité dépasse la fiction ? Que reste-t-il à l’écrivain quand un homme dont on dit qu’il serait le septième plus puissant au monde est accusé d’une possible agression sordide sur une femme de chambre immigrée ? Que peut la littérature face à la réalité ?
Hasard du calendrier, à l’occasion des cinquièmes Assises internationales du roman, qui se tiendront à Lyon du 23 au 29 mai, Le Monde des livres publie un cahier dédié à la relation d’auteurs à l’actualité.
Et ce que Le Monde des livres et les écrivains interrogés y suggèrent, c’est qu’un auteur ne peut échapper à la réalité. Comme le dit Marie Desplechin, « il faudrait être extraordinairement nul pour ne pas être percé par son temps ».

Ils migrent, donc j’écris
Certains viennent d’ailleurs à l’écriture pour cela, par envie de transmettre le réel. C’est le cas de Fabrizio Gatti, qui, reporter au Corriere della Sera, a choisi d’écrire par besoin de parler des migrants. Prenant conscience du fait que « les journalistes [n’écrivent] sur les migrants que lorsqu’ils [sont] arrêtés ou impliqués dans des affaires criminelles », mais que « personne ne [raconte] jamais (…) les histoires de milliers de femmes et d’hommes qui [vivent] honnêtement bien qu’exploités dans leur travail », il décide d’y remédier, de « raconter les parcours de ces hommes invisibles », de « mettre au jour leurs rêves, leurs peurs, leurs cauchemars, tout ce qui [fait] leur texture humaine ».

Je migre, donc j’écris
La migration peut aussi être une étape dans la vie de l’écrivain. Tahar Ben Jelloun, « écrivain d’origine marocaine installé en France » et fasciné par la société et la culture japonaises, explique : « Qu’on soit physiquement éloigné de la terre natale, dans un exil choisi ou imposé, l’écriture est le recours le plus naturel pour infliger un démenti au réel. L’écrivain (…) installe une distance entre lui et le pays. Il le regarde pour mieux s’en éloigner et s’émanciper par les mots. »
Abilio Estevez, né à La Havane et installé à Barcelone, ne pouvait envisager l’écriture sans l’exil. Il l’explique ainsi : « Lorsque, adolescent, je me mis en tête (…) de devenir écrivain, j’avais la certitude qu’il aurait été préférable d’être né dans n’importe quelle autre ville. (…) Comme je ne pouvais pas m’échapper réellement, je découvris que je pouvais m’échapper par l’imagination. (…) Je me rendis compte qu’écrire, ou me délecter de ce que quelqu’un d’autre avait écrit, impliquait toujours et d’une certaine façon un exil, un confinement, le fait d’être là où l’on ne se trouve pas. » Et finalement il ne se sent aujourd’hui de nulle part : « Ses livres et son imaginaire : là est sa patrie. La vraie. »
D’autres viennent à l’écriture à cause de l’exil, parce que c’est leur unique moyen de se libérer d’images d’une vie disparue. C’est le cas de Gyorgy Dragoman, qui explique : « J’avais 13 ans quand j’appris que nous allions (…) partir en exil. Un départ définitif, sans possibilité de retour. (…) Je regardais tout et tout le monde comme si je les voyais pour la dernière fois. (…) Tout cela eut un effet secondaire intéressant : je me mis à voir des images d’une netteté aussi intense qu’inoubliable, dont je ne pouvais me libérer qu’à travers l’écriture. »
Alain Mabanckou, lui, n’est pas devenu écrivain parce qu’il a émigré. Simplement il a « posé un autre regard sur [sa] contrée une fois [qu’il s’en est] éloigné ». Il précise : « l’émigration aura contribué à ressortir en moi cette inquiétude qui fonde toute démarche de création. (…) L’écriture redevient alors à la fois un enracinement, un appel dans la nuit et une oreille tendue vers l’horizon. »

Littérature et catastrophes
D’autres écrivains sont davantage sensibles aux catastrophes. Soit ils en traitent directement, soit elles leur servent de support à une critique du traitement médiatique ou politique fait de l’actualité. Pour Iegor Gran, qui dans son dernier livre raille la pensée dominante écologiste, un événement de l’ampleur du récent tsunami japonais fait relativiser « le prêchi-prêcha apocalyptique des écologistes. Face à ces désastres qui font des milliers de morts en quelques instants, quelle sottise arrogante faut-il avoir pour penser que le petit geste au quotidien nous permettra de sauver la planète ! »
D’autres élaborent des scénarios-catastrophes reflétant les craintes que leur inspire tel ou tel choix de société. Le fataliste Rodrigo Fresan évoque, dans son dernier roman, une fin du monde générée par « la saturation électrique de l’air que nous respirons, provoquée par l’usage d’une multiplicité de téléphones mobiles, iPod, iPad, Blackberry, etc. »
Peut-être ce catastrophisme n’est-il qu’une solution de facilité. Hartmut Rosa estime ainsi qu’il « nous est aujourd’hui bien plus facile de nous représenter la fin du monde – sous la forme d’une catastrophe nucléaire, virale ou écologique – que d’imaginer une alternative au système dominant ».

Roman et mutations
Ce système dominant, beaucoup y réfléchissent. Il est des écrivains qui se posent la question des mutations du monde, et notamment de la mondialisation. Anne-Marie Garat par exemple, qui explique : « Aujourd’hui, on voit réapparaître des romans longs, des romans d’histoire, comme chez Javier Marias ou Javier Cercas. J’y vois une manière non globalisante de rapatrier des questionnements sur notre devenir dans le monde contemporain et sur sa mémoire. »
Pour Maylis de Kerangal, le lien entre mondialisation et littérature est évident. « Quelle que soit la nature du pacte qui les unit, le roman "provoque" le monde et réciproquement », dit-elle. Et d’ajouter : « C’est précisément ce mouvement de réciprocité, quasi chimique, qui conduit le roman contemporain à faire trace de la mondialisation, à se frotter à elle, à se saisir de ce phénomène tout autant que, simultanément, à être saisi par lui. »
Etienne Klein suggère quant à lui qu’avec l’explosion des télécommunications, nous avons tendance à confondre temps et vitesse. Il pense que la fonction du roman « est désormais de nous apprendre la lenteur, de nous resynchroniser avec notre rythme propre, (…) de nous réconcilier avec la linéarité du temps. Lire, lire vraiment, est l’exact contraire de cliquer. »

J’écris réel, donc je ris !
Pour de nombreux auteurs une chose est certaine : si l’on choisit de traiter du réel, alors il convient de le faire avec humour.
Ainsi que le dit Philippe Djian, l’humour « nous apprend beaucoup sur l’auteur, sur sa capacité à percevoir le monde, à choisir l’angle de vision le mieux adapté, le plus aiguisé, à effectuer ce fin et salutaire décalage qui ragaillardit le lecteur que nous sommes avant tout, et c’est là l’essentiel. »
Pour Aleksandar Hemon, l’humour seul semble à même de révéler la tristesse de la condition humaine : « La vie humaine est une plaisanterie, dont la mort est la chute. Nous essayons de transcender l’Histoire, et l’Histoire nous rit au nez. Nous imaginons notre grandeur, nous sommes fiers de nos grandes réussites humaines, et puis nous mourons en bavant et en divaguant comme des déments, et notre vie inspirera des souvenirs cocasses à nos enfants. »
Selon Goran Petrovic, une littérature ancrée dans le réel et l’humour est surtout expiatoire. Il raconte : « Dans la Grèce antique, notamment à Athènes, existait la coutume de choisir une fois l’an deux hommes qui devaient prendre sur eux les péchés de tous et de les mettre cruellement à mort. (…) Le fait étrange, c’est que ces [hommes] riaient pendant qu’on les menait à la mort. (…) Dans notre civilisation contemporaine, c’est la littérature qui, "au nom de tous", a accepté de mourir. Je me dis aussi que ce rite sacrificiel doit s’accomplir avec force rire et humour. Cela afin de nous détourner de l’idée qu’il s’agit en fait de meurtre ou, mieux encore, de suicide collectif. »
Plus prosaïque, Alan Warner juge qu’il lui est absolument nécessaire, en tant que romancier contemporain actif, de posséder un certain sens de l’humour, « ne serait-ce qu’à titre de mécanisme de défense ». Ses arguments se tiennent : « Deux fois par an, je reçois de mes éditeurs les chèques de mes droits d’auteur. L’aptitude à me tenir les côtes, me pencher légèrement en avant et rire est très importante quand je lis les chiffres qui figurent sur chacun des chèques – en remarquant une fois de plus que les petites cases destinées à inscrire les millions… et de fait, les milliers… sont vides. »

dimanche 15 mai 2011

La souris bleue, de Kate Atkinson


L’histoire 
Dans une Angleterre où personne ne sort sans son aérosol, où les jeunes filles sont des proies et les familles des lieux de destruction autant que d’amour, un ancien flic devenu privé s’intéresse à de vieilles affaires non classées.

Ma lecture 

Alors que l’actualité nous pousse à nous interroger sur nos éventuels réflexes sexistes, il faut que je vous avoue quelque chose : quand j’ai refermé La souris bleue, j’ai fait des recherches Internet pour vérifier qui était son auteur, Kate Atkinson. Plus précisément, j’étais curieuse de savoir si « Kate Atkinson » n’était pas un pseudo qui camouflerait… un homme !
Bon d’après mes recherches, Kate Atkinson est bien une femme. Pourtant en découvrant son détective aux considérations très mâles, Jackson Brodie, cette écriture rythmée aux préoccupations tellement similaires aux classiques des grands hommes du polar, un regard sur des femmes souvent vulnérables et parfois à la limite du cliché, j’ai douté. Pas tout le temps, et pas dès le début. Le premier chapitre par exemple, qui ne met en scène quasiment que des femmes, dans un environnement champêtre, fleuri, désuet, baigné de soleil et de langueur, me semblait, j’avoue encore, radicalement féminin. Comme quoi contrairement à mes préjugés, on peut avoir une écriture à la fois complètement féminine et complètement masculine (comment ça parler d
écriture féminine ou décriture masculine serait encore un préjugé...), selon les besoins dune scène.
Ainsi, si l’intrigue est honnête, l’écriture efficace, le suspense raisonnable (même si le fait que tous les personnages nous soient présentés dès les premiers chapitres fait que l’on comprend assez rapidement qui a commis quoi), pour moi l’une des grandes réussites de ce livre restera qu’il sonne juste, quel que soit le point de vue.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

Je varierai mes adjectifs et adverbes. 
Lorsque tout est « nonchalant » ou effectué « négligemment », au bout d’un moment cela devient éminemment lassant.

J’adopterai le titre de chapitre éloquent… 

À savoir des titres de chapitre du genre « Antécédent N°1, 1970, Complot de famille », bien pratiques pour garder l’attention d’un lecteur auquel je m’apprête à infliger trois chapitres et plus de 60 pages de flashbacks avant d’entrer dans le vif du sujet.

…  mais sans forcément donner toutes les clés dès ces premiers chapitres. 

Les premiers chapitres de La souris bleue nous présentent une ribambelle de personnages sans lien apparent. Mais à partir du moment où un lien se crée entre deux de ces personnages, on comprend que tous les personnages vont être reliés, et il devient si facile de comprendre qui a commis quoi que le suspense n’a plus que peu de ressort.

> La souris bleue, Kate Atkinson, Le livre de poche, 2006, 413 pages.

lundi 2 mai 2011

Où on va, papa ?, de Jean-Louis Fournier


L’histoire
Ceux qui pensent que la foudre ne frappe deux fois au même endroit que dans les Tex Avery se trompent. Jean-Louis Fournier en a fait l’expérience, se retrouvant père d’un enfant handicapé. Puis de deux. Autobiographie romancée, grinçante et d’une étonnante douceur, adressée par un père à deux enfants qui ne pourront jamais la lire.

Ma lecture
Peu de livres m’auront autant que Où on va, papa ? fait m’interroger sur mon attitude de lectrice. Ce n’est certes pas la première fois que je m’interroge sur le sujet. Il y a quelques mois, à la lecture d’Un roman russe de Carrère, je n’avais pas aimé me retrouver voyeuse (bizarre ce mot au féminin, non ?…) malgré moi. Ici c’est très différent. Le thème aurait pu se prêter à toutes formes d’indécences, mais l’écriture de Fournier est d’un bout à l’autre délicate et pudique. Pas de voyeurisme donc, mais une vraie difficulté à ne pas adopter l’attitude de circonstance, que précisément Fournier ne souhaite pas provoquer. À ne pas être comme cette femme qu’il rencontre à l’occasion d’un dîner et qui, apprenant qu’il est père de deux enfants handicapés, se met à le regarder « avec le sourire triste et humide qu’on voit aux femmes du peintre Greuze ». Mais à ne pas non plus, une fois les premières gênes et hésitations passées, laisser le rire, tout provoqué qu’il soit par l’auteur (il peut parler de ses enfants en ces termes : « La seule chose qu’on a réussie, ce sont vos prénoms. En choisissant Mathieu et Thomas, on a fait dans le bon chic bon genre, avec en plus un petit clin d’œil à la religion. Parce qu’on ne sait jamais, et qu’il vaut toujours mieux être bien avec tout le monde. »), occulter l’âpreté de la situation.
L’écriture de Jean-Louis Fournier est simple et juste, stupéfiante de sincérité, le découpage en saynètes est très bien vu et la tendresse est transmise sans jamais céder à la démagogie. Reste au lecteur à savoir être à la hauteur de ce témoignage.


Même si le sujet est très particulier et difficilement récupérable, pour mon best-seller à venir j’en retiens que :

 
J’adopterai l’analogie percutante.
Comment mieux parler d’une situation, pour l’essentiel étrangère au grand public, qu’en la rapprochant d’une situation commune, ainsi que le fait Fournier dans ce passage :

À chaque époque, dans chaque ville, dans chaque école, il y a toujours eu et il y aura toujours, au fond de la classe, souvent près du radiateur, un élève au regard vide. Chaque fois qu’il se lève, qu’il ouvre la bouche pour répondre à une question, on sait qu’on va rire. (…) L’enfant au regard vide, debout au milieu des élèves déchaînés, n’a pas envie de faire rire, il ne le fait pas exprès, au contraire. Il aimerait bien ne pas faire rire, il aimerait bien comprendre, il s’applique, mais malgré ses efforts il dit des bêtises, parce qu’il est non comprenant.

Je penserai à mon lectorat féminin.
J’y irai donc mollo avec mes petits réflexes misogynes. J’essaierai ainsi d’éviter le cliché de la ravissante idiote, dans lequel Fournier s’engouffre par exemple ici :

J’ai rencontré quelques mignonnes un peu sottes. Je me suis bien gardé de parler de mes enfants, sinon elles se seraient sauvées.
Je me méfierai également des comparaisons pères/mères, risquées :
On entend certaines mères, devant le berceau de leur enfant, dire : « On ne voudrait pas qu’il grandisse, on voudrait qu’il reste toujours comme ça. » Les mères d’enfant handicapés ont beaucoup de chance, elles joueront à la poupée plus longtemps.
(…)
Les pères s’intéressent aux enfants quand ils sont plus grands, quand ils sont curieux, quand ils commencent à poser des questions.
J’ai attendu vainement ce moment-là.

Je me méfierai des généralités.
Où on va, papa ? a des airs d’appel à la tolérance. Sauf que l’on sent les limites de sa tolérance lorsque Fournier évoque les « autres enfants », les « normaux », par exemple ici :

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au bal avec vos fiancées dans ma vieille voiture décapotable.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais donné en douce des petits biffetons pour faire des cadeaux à vos fiancées.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait une grande fête pour votre mariage.
Si vous étiez comme les autres, j’aurais eu des petits-enfants.
Je résume : un fils « comme les autres », un fils « normal », aurait donc forcément été hétéro et, un jour ou l’autre, marié et père de famille. Tolérance, disions-nous ?…

> Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier, Le livre de poche, 2010 (2008 pour l’édition originale chez Stock), 149 pages.

lundi 25 avril 2011

Happy birthday to Lire pour écrire !


Vous savez ce qu’il s’est passé jeudi ? Ce blog a fêté son premier anniversaire ! Comme ça, tranquillement, l’air de rien, sans même que je le réalise. Un an déjà. C’est passé drôlement vite.
Du coup je m’aperçois que Lire pour écrire est taureau. Je ne sais trop qu’en penser. C’est un signe favorable vous croyez ? Ça fait un peu plan-plan et terre-à-terre non ? Bon en horoscope chinois Lire pour écrire est tigre et ça, c’est carrément favorable, un vrai signe de feu, pas tant qu’un dragon sans doute mais un sacré signe de chance tout de même ! Et si on conjugue les horoscopes, un tigre taureau c’est pas mal du tout : la rusticité du taureau compense l’électricité du tigre, ce qui en fait un spécimen au final assez équilibré, quoique légèrement trop sensible. Voire susceptible. Vous serez avertis comme ça.

Mais sinon alors, que s’est-il passé pendant cette année ?
Eh bien, figurez-vous que vous avez légèrement changé de profil.
Un mois après l’ouverture du blog, je vous avais informés que vous étiez 31 (dont un tiers de ma connaissance), que vous aviez visité ce blog 180 fois et y passiez en moyenne 5,8 minutes. Et vous étiez français.
 

Mais ça c’était il y a 11 mois. Car désormais :
  • vous êtes 490 à être venus sur Lire pour écrire ;
  • vous y êtes venus 1509 fois et vous avez vu 2044 pages ;
  • vous passez en moyenne 2 minutes 54 secondes sur le blog à chaque visite, et vous avez laissé 25 commentaires (ok, non, 10 sont de moi, mais vous m’avez quand même laissé 15 commentaires, soit un peu plus d’un par mois, ah ça je vous inspire ! Mouais.) ;
  • vous venez de 35 pays ! Essentiellement de France bien sûr, mais aussi du Canada, de Belgique, d’Algérie, du Maroc, de Suisse, des USA, d’Espagne, de Tunisie, du Brésil, d’Allemagne, du Sénégal, du Burkina Faso, de Russie, du Royaume-Uni, de Côte d’Ivoire, de Mauritanie, d’Italie… Bon je ne vous liste pas les 16 pays restants, qui ont généré une visite chacun, mais j’ai quand même envie de saluer l’internaute néo-zélandais qui a passé 7’03’’ à me lire et l’internaute béninois qui y a passé 5’44’’ ! ;
  • vous avez tendance à venir beaucoup plus quand le blog est régulièrement mis à jour. Ça me met une sacrée pression dites. En même temps c’est bien agréable de savoir que quand je mets en ligne un post, il se peut qu’il soit lu. Car si la démarche « lire pour écrire » fait sens, ce n’est pas sans son corollaire « écrire pour être lu » !
Et quand vous venez au fait, que recherchez-vous ?
Eh bien vous venez à 29% (en quantité de visites, pas en quantité de visiteurs) par lien direct, c’est-à-dire en saisissant directement l’adresse du blog dans votre navigateur, 29% donc à connaître ce blog et à lui être fidèles, c’est gentil ça !, et j’imagine que ce que vous y recherchez c’est avant tout de la nouveauté (j’essaierai de faire mieux, promis !).
Le reste d’entre vous vient par mots-clés dans les moteurs de recherche. En tout, vous avez pour l’instant saisi 332 mots-clés distincts, celui revenant le plus étant « lire pour écrire », ce qui est logique et du coup presque inattendu. Vous êtes d’ailleurs extrêmement flatteurs et encourageants, car vous êtes plus d’un à être venus après avoir saisi la recherche « lire pour écrire le film ». Alors désolée, je n’ai pas encore dit oui aux nombreux studios qui m’ont contactée pour faire de la merveilleuse histoire de ce blog un film, je crains qu’il ne vous faille attendre encore un peu…
Outre ces recherches directes, vous êtes nombreux à être venus en effectuant des recherches sur des auteurs, en premier lieu Amadou Hampâté Bâ, mais aussi sur Bourgeon et les Passagers du vent (plusieurs d’entre vous intéressés plus particulièrement par la scène du viol, bravo !), sur Godard et Guillaume Musso (l’un d’entre vous voulait des explications sur le pourquoi du titre « Parce que je t’aime » – certains d’entre vous sont vraiment mignons…), sur de jeunes auteurs aussi, Antonia Kerr et Benoît Charuau, et puis sur Christine Bravo (vraiment beaucoup de recherches sur Christine Bravo, qu’au final je n’ai même pas lue, désolée pour vous, il faudra que j’y remédie un de ces jours…) et Nancy Huston, sur Emmanuel Carrère et sur Dan Simmons (pourquoi mais pourquoi là encore toutes ces recherches sur les scènes de viol de L’échiquier du mal ? Rhô !…), et sur tous les autres mentionnés, Paulo Coelho, Philip Roth, JMG Le Clézio, Saphia Azzeddine, Marisha Pessl, mais aussi Hubert Reeves, Ken le survivant ou Six feet under, etc.
Parfois vos recherches sont des questions. Vous vous demandez si un auteur a le droit de tout écrire (j’espère que je n’ai pas à y voir de message codé ! Quoi ? Je vous ai prévenus qu’un tigre taureau ça peut être susceptible !), vous vous demandez ce qu’est une vengeance artistique (la mienne était aveugle mais artistique quand même, pas vrai ?), vous vous demandez comment écrire à un acteur en général, et à Michael Douglas en particulier (j’aurais tendance à vous répondre « en anglais », mais à vous de voir…), vous vous demandez comment écrire en un mois (ça c’est fastoche, c’est en faisant un NaNoWriMo !), ou bien comment écrire une petite nouvelle (ne soyez pas si timorés, lancez-vous directement dans le best-seller, c’est ce qu’on fait tous ici). Vous êtes plusieurs à vous demander comment écrire à une petite fille et comment décrire une libido (hem, j’espère pour vous que vous n’êtes pas les mêmes que ceux qui se posaient certaines questions sur L’échiquier du mal ou Les passagers du vent, car sinon je vous préviens je vous dénonce !!). Mais vous vous demandez aussi comment écrire un premier roman à 60 ans (là je vous renvoie forcément à Sam Savage…), comment écrire sur le bois ou sur l’enfance, ce qu’il convient d’écrire sur la première page d’un livre d’or pour les gîtes (alors ça, excellente question !) ou à un discours de fiançailles (je vous conseille de davantage regarder les séries tv et téléfilms de M6, vous aurez de quoi faire !), et vous vous demandez pourquoi on ressasse (et vous êtes arrivés ici, ce qui signifierait que Google juge ce blog représentatif du ressassement ? Hum. Mais que faire d’autre que ressasser, franchement ?). Vous vous demandez aussi comment remédier aux blocages quand on est une intelligence supérieure, et là je me sens hautement solidaire, et vous vous demandez ce qu’il faut lire pour être romancier (rien peut-être, si vous êtes un natural born writer). Enfin souvent vous souhaitez des conseils pour écrire un roman et vous vous demandez comment écrire un best-seller, et là j’espère que je vous comble quand même un tout petit peu !…

Le top 10 des articles que vous avez le plus visités :
1/ Amkoulell, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ
2/ La petite fille bois-caïman, suite et fin des Passagers du vent, de François Bourgeon
3/ Godard, œuvre et droit de citation
4/ Michael Douglas, Christine Bravo, l’acteur, l’écrivain et le forgeron
5/ Une vraie romancière !
6/ Un roman russe, d’Emmanuel Carrère
7/ L’échiquier du mal, de Dan Simmons
8/ Ken le survivant, histoire d’un doublage français
9/ NaNoWriMo : écrire un roman en un mois (et devenir exceptionnel)
10/ Ton aile, de Benoît Charuau

Le top 5 des articles sur lesquels vous avez passé le plus de temps :
1/ Mange, prie, aime, d’Elizabeth Gilbert - Best-seller Immarcescible #1
2/ Hell bent for leather - Confessions of a heavy metal addict, de Seb Hunter
3/ L’écrivain au café
4/ Nancy Huston et le côté artistique de la vengeance aveugle
5/ Vous ne serez jamais Beckett ou Duras (en partie par ma faute)


lundi 18 avril 2011

Natural born writer


Un samedi soir de plus passé devant Ruquier. Je sais, ce n’est pas sérieux. Et en plus ça ne se dit pas. Mais c’est plus fort que moi, et avouez que ce serait moins drôle si je ne vous en faisais pas profiter. Car il y a de bonnes sorties, quand même, parfois. À un moment, Zemmour a dit à Edwy Plénel qu’il était sa boussole sud, car il était diamétralement opposé à chacune de ses pensées. Pas mal comme expression, non ? Et puis c’est vrai qu’il a son côté solaire, Edwy Plénel, boussole sud ça lui va bien… En tout cas la formule a dû plaire à plus d’un sur le plateau, ou bien boussole est le mot à la mode, je ne sais pas, car ensuite tout le monde n’avait que ça à la bouche : on apprit que Barbara avait été l’une des boussoles musicales de la jeune chanteuse L, Naulleau y alla aussi de sa boussole à je ne sais plus quel propos, peu importe car ça ne valait pas la boussole sud.
Mais les invités n’ont pas seulement parlé de boussoles, ils ont aussi parlé de poésie : la poésie des textes des chansons de L. Sur le plateau, L a déclaré ne pas avoir énormément lu, un peu ado, plus trop après. Est-ce vrai, est-ce faux ? Elle semblait modeste. Zemmour a considéré que c’était vrai, et lui a dit que ses textes étaient très réussis, qu’on ne sentait pas qu’elle avait peu lu. Ah ben oui, ça peut être glacial quand on suit l’étoile polaire. Sa boussole sud a rétorqué qu’il n’était pas nécessaire d’avoir beaucoup lu pour savoir écrire. Zemmour (serait-il fervent défenseur de ce blog ?…) a trouvé cela d’une démagogie insupportable, convaincu qu’il est que l’on ne devient pas écrivain par hasard, qu’avoir beaucoup lu est une condition sine qua non.
Faut-il avoir lu pour avoir les mots ? Faut-il s’imprégner du style des autres pour trouver le sien ? Avoir écouté quantité de chansons à textes, ou de rhétoriciens brillants, ou avoir beaucoup observé dispense-t-il de lecture ? Est-ce ridicule de vouloir lire pour écrire ? C’est que les polarités opposées font s’affoler les aiguilles et moi j’en perdrais le nord !
Pourtant, admettons que la vie soit complètement injuste et que les natural born writers existent. Peut-on, en toute objectivité, y classer tous les auteurs de best-sellers par exemple, mettons, Guillaume Musso ou Marc Levy ? (ok, facile, je sais…) Et si notre talent naturel est plus proche de ceux-là que des précédents, la lecture ne peut-elle pas au moins aider à, disons, légèrement polir l’aspect brut de nos possibilités ?…