mardi 27 septembre 2011

La délicatesse, de David Foenkinos


L’histoire 
Deuil et émois suédois à variante polonaise d’une française à la féminité suisse.

Ma lecture 

Septembre n’est pas toujours le meilleur mois. C’est la rentrée, puis l’automne, les jours raccourcissent, les feuilles tombent, d’autres que les feuilles tombent aussi parfois et l’humeur suit.
Il existe heureusement certains remèdes, au premier rang desquels… un bon défi !!
Or en matière de défis, et en période de rentrée littéraire, Lire pour écrire aurait difficilement pu trouver mieux que l’énigme La délicatesse. Imaginez : ce roman, ainsi que le clame le bandeau ceignant sa version poche, a obtenu pas moins de 10 prix littéraires.
Oui, 10.
Avouez qu’il y a de quoi s’interroger.
Car, je ne le nie pas, La délicatesse est une lecture distrayante, amusante même, à dessein ou pas d’ailleurs, mais comment accorder beaucoup de crédit à un bouquin qui ne peut être lu qu’au second degré, à l’écriture trop clinique pour émouvoir, pour susciter même un quelconque attachement aux personnages, un quelconque intérêt aux (rares) événements.
En imaginant qu’on fasse l’effort d’entrer dans l’action, cet effort se révèle vain car quelques lignes plus loin il y aura immanquablement une interruption. La délicatesse est tellement entrecoupée d’intermèdes, digressions, notes de bas de page qu’aucun apprivoisement n’y est envisageable.
Et puis c’est truffé d’idées, dictons et vérités définitives parfois drôles (« On a toujours cinq minutes de retard sur nos conversations amoureuses ») mais souvent risibles (hommes ou femmes, tous définissent la féminité par le bruit de talons aiguilles, en conséquence de quoi tous exècrent la moquette), voire franchement agaçants (« Les enfances en Suède ressemblent à des vieillesses en Suisse »).
« Le Larousse s’arrête là où le cœur commence », écrit Foenkinos. Son univers est si aseptisé, poli, candide, insipide, jusqu’aux images et métaphores d’une platitude remarquable (« Il était Armstrong sur la lune. Ce baiser était un grand pas pour son humanité. »), qu’il ne semble pas absurde de penser que son écriture s’y est arrêtée également.
Soit.
Mais alors, me direz-vous, pourquoi cette avalanche de prix ? Pourquoi cette traduction en 15 langues, ce succès en librairie ?
À cela, j’avoue avoir vainement cherché des indices dans et entre les lignes. Avant de réaliser que, comme souvent, la réponse était visible comme de gros caractères blancs sur un bandeau violet : il s’agissait d’un coup marketing !
Absolument, tout bêtement.
Dubitatifs ?
En ce cas sachez que La délicatesse fut retenue pour le Goncourt, le Renaudot, l’Interallié, le Femina et le Médicis. Et obtint (et remerciez-moi, j’ai sué pour trouver la liste complète) : le prix Conversation, le prix Notre Dame des Dunes, le prix du 7e Art (journées du livre et du vin), le prix des Écrivains dans le vent (prix An Avel), le prix des lecteurs du Télégramme de Brest (prix Jean-Pierre Coudurier), le prix Orange du livre, le prix Fnac Riviera, le prix Gaël-Club, le prix littéraire des lycéens du Liban, ainsi que le non moins fameux prix Humanités de l’école Massillon.
Alors, convaincus ?


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

Je m’efforcerai d’écrire une histoire, avant de penser à son adaptation ciné. 
Le désir de Foenkinos de voir son livre porté à l’écran est si patent qu’il en devient inconvenant. Si les scènes, les situations nous avaient laissé un doute, Foenkinos nous l’ôte en écrivant une de ses saynètes au format scénario. Et en nous livrant les titres des trois livres préférés de son héroïne, Belle du seigneur d’Albert Cohen, L’amant de Marguerite Duras et La séparation de Dan Franck, qui ont en commun d’avoir tous leur adaptation filmique. Belle du seigneur a toutefois longtemps été réputé inadaptable. Faut-il y voir un présage ?…

Je réfléchirai bien à mon titre. 

Le terme « délicat » est décliné à satiété au fil du récit. L’aurais-je autant remarqué, cela m’aurait-il tant agacée s’il n’avait pas été le titre du bouquin ? Probablement pas. Un procédé, qui plus est, bien peu dans la délicatesse…

J’éviterai de flatter mes personnages… 

… par exemple en vantant leur humour, quand celui-ci est relativement plat. Ou en m’extasiant sur l’originalité de leurs répliques, quand celles-ci sont tout de même assez convenues.

> La délicatesse, David  Foenkinos, Folio Gallimard, 2011 (éd. originale 2009), 209 pages.

dimanche 11 septembre 2011

L’épouvantail, de Michael Connelly


L’histoire 
Face à la planète Web, les empires de presse vacillent et le LA Times en envisagerait de se séparer de l’un de ses meilleurs, mais coûteux, journalistes, Jack McEvoy. En place de la sortie en fanfare espérée, celui-ci va découvrir que les nouvelles technologies, et ceux qui en font l’usage, pourraient lui coûter beaucoup plus qu’un job…

Ma lecture 

Quelle virtuosité que la première partie de L’épouvantail !
Virtuosité par comparaison d’abord. Là où, dans Ciels de foudre ou Horreur boréale, on devinait leurs auteurs derrière les héros (ces derniers étant visiblement des versions idéalisées de ce que les premiers auraient rêvé être, vivre), dans L’épouvantail on peine à croire que Connelly ait pu ne pas vivre ce qu’il écrit, ne pas être Jack McEvoy racontant sa propre vie tant tout semble authentique, des conversations jusqu’aux pensées du héros lorsqu’il traverse tel lieu, observe tel détail. Ici on ne sent plus l’univers et le travail de l’auteur derrière le héros, on voit ce que voit le héros, on s’immerge dans sa vie.
Avouons cela dit que la vie de Connelly est (ou fut) proche de celle de McEvoy (ancien journaliste du LA Times, finaliste du Pulitzer en 1986). Mais il y a plus. Car la virtuosité de Connelly réside aussi dans son don d’amener le lecteur exactement où il le veut, quand il le veut : au moment précis où l’on devine une chose, les héros non seulement la devinent également mais la commentent, et en la commentant en devinent davantage que nous, tandis que dans le même temps, ailleurs, l’histoire s’accélère pour aussitôt nous orienter vers des situations plus imprévues encore. Ainsi le rythme évolue à celui de la lecture, et le lecteur ne garde jamais plus d’une page de déductions d’avance.
Malheureusement, la deuxième partie est plus faible. Un personnage essentiel disparaît brutalement et cette disparition est peu traitée. Un autre, à l’esprit jusqu’alors brillant, ne semble plus rien percevoir. Et la fin aurait pu être plus grandiose.
Vraiment dommage que ce final n’atteigne pas la bluffante efficacité d’une première partie, par ailleurs passionnant tableau de l’appréhension d’une époque vécue depuis l’intérieur d’une rédaction.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’éviterai les répétitions. 
Et surtout je n’emploierai pas plusieurs fois dans un même roman un terme connu mais non courant, car alors le regard bute démesurément sur lui. Comme lorsque Connelly, ou son traducteur français, emploie le terme « sis »… pas moins de cinq fois dans un même roman (« une boîte aux lettres sise près de SeaTac », « des installations qui, sises à Mesa, Arizona, offraient une sécurité », etc.) !

Je pratiquerai l’humour à mes dépens. 

Connelly, anciennement journaliste, écrit :
Tout au fond de lui-même, le journaliste a toujours envie d’être un romancier. C’est la différence qu’il y a entre l’art et l’artisanat. Les écrivains veulent tous être considérés comme des artistes.
C’est pour des phrases comme celle-là que je lui pardonne de pratiquer l’humour également aux dépens des blogs, par exemple ici :
Le journal est censé être le chien de garde de la communauté et on est en train de le filer à des petits chiots. Pense au grand journalisme que nous avons connu. La corruption débusquée, le bien public. D’où tout cela va-t-il venir, maintenant que tous les journaux du pays disparaissent ? Du gouvernement ? Allons donc. De la télé ? Des blogs ? Tu rigoles ! D’après un de mes amis qui a accepté de se faire racheter en Floride, la corruption est l’industrie qui va le plus progresser quand il n’y aura plus de journaux pour la surveiller.
À condition qu’il ne récidive pas trop, quand même. Non mais.

> L’épouvantail, Michael Connelly, Points Policier, 2011, 519 pages.

samedi 3 septembre 2011

Ainsi saigne-t-il, de Ian Rankin


L’histoire 
Enquêtant sur de troublants suicides, l’inspecteur John Rebus se retrouve confronté aux ambiguïtés de la machine politique écossaise. Or, tout incorruptible et tenace qu’on soit, peut-on avoir raison de la raison d’État ?

Ma lecture 

Après l’honnête Ciels de foudre et le prometteur Horreur boréale, voici enfin un polar étalon, auquel ne manque aucun des indispensables du genre. L’inspecteur Rebus est ce qu’il faut de désabusé, placide, sensible, alcoolique, lucide, face à des collègues au choix compétents et intrépides, ou obtus et détestables à souhait. L’écriture est efficace et directe, rythmée de dialogues du type :
-    Laissez-moi vous dévoiler le fond de ma pensée sur cette affaire John.
-    Oui, monsieur ?
-    Un beau merdier, du début à la fin.
Si l’on excepte une bande-son parfois inutile, ainsi qu’une fin qui aurait pu être plus étoffée et achevée, car en l’état elle contraint presque à acheter le bouquin suivant, Ainsi saigne-t-il propose donc, et jusqu’à son titre, tout ce qu’on attend d’un vrai bon polar, intrigue soutenue, bas-fonds glauques et machinerie politique, humour vif et dépaysement en prime.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’éviterai de trop hacher mes dialogues. 
Bizarre, ce penchant de Rankin pour les inserts, entre parenthèses et fréquents, d’éléments de description tronçonnant ses dialogues. Ainsi lorsque Mathieson parle à John Rebus, ça donne cela :
-    Nous doutions-nous alors que ces profits étaient générés par des moyens frauduleux ? (Il haussa les épaules.) C’est une question pour les avocats. (…) C’est beaucoup de temps, beaucoup d’argent aussi… (Il ouvrit les bras, paumes vers le ciel, confirmant son talent de comédien.) Et tout ça au nom de quoi, je vous le demande ? (…) La loi est une maîtresse intransigeante, à ce qu’on dit. (Petit sourire entendu.) Mais la loi, répondrais-je, n’est pas tout. (Il leva un doigt comme pour souligner ce point, puis le porta à ses lèvres.) La loi morale, inspecteur, c’est autre chose.
Difficile, avec toutes ces interruptions, de rester concentré sur le cours de la tirade…

Je respecterai l’écriture du genre. 

Et donc si j’écris un polar, comme Rankin j’abuserai de phrases du style :
Il allait dire à Davidson tout ce qu’il savait, ce qui ne représentait pas la moitié de ce qu’il soupçonnait. Ce qui, en soi, ne représentait pas la moitié de ce qu’il redoutait.
Ou de pensées du genre :
Une nouvelle fois, Rebus regarda le corps. On l’enveloppait dans une housse. Direction la morgue dans un premier temps, puis le funérarium ; vos derniers déplacements en ce monde sont aussi prévisibles que les premiers.
Car l’écriture d’un bon roman policier se doit d’être efficace, drôle et mélancolique. Non ?

> Ainsi saigne-t-il, Ian Rankin, Gallimard, Folio Policier, 2003, 495 pages.

mercredi 31 août 2011

Horreur boréale, d’Åsa Larsson


L’histoire 
Le passé nous rattrape toujours. Telle est l’expérience que fait Rebecka Martinsson, jeune et brillante avocate fiscaliste à Stockholm, lorsqu’un crime atroce frappe l’un de ses anciens proches, membre de la communauté religieuse de Kiruna, la ville lapone de son enfance, la contraignant à y revenir.

Ma lecture 

Quelle désillusion, mais quelle désillusion ! Je vais avoir du mal à m’en remettre. Rendez-vous compte : à en croire ce qu’écrit Åsa Larsson, les rapports hommes-femmes en Suède sont à s’y méprendre rigoureusement semblables à ce qu’ils sont sous nos latitudes. Or si le mythe d’une société éveillée, égalitaire et harmonieuse se brise, que reste-t-il ?
Eh bien il reste un polar, de plutôt bonne facture d’ailleurs.
Premier roman d’Åsa Larsson, Horreur boréale est assez prometteur. Rythmé, alternant plutôt habilement scènes au passé et au présent, habité de personnages ce qu’il faut de complexes et incarnés (la relation entre l’héroïne et sa meilleure amie-ennemie d’enfance, Sanna, est spécialement bien vue), il bénéficie aussi d’une intrigue travaillée et documentée – notamment s’agissant des ressorts traitant des communautés religieuses ou des soupçons de fraude fiscale. Il faut dire qu’Åsa Larsson traite de toute évidence de sujets qu’elle maîtrise : elle-même juriste de formation, elle est comme son héroïne originaire de Kiruna, et l’on ne serait pas surpris d’apprendre qu’elle est ou a longtemps été sensible à la spiritualité.
Sur ce point, je pourrais la comparer à C. J. Box, dont je vous parlais il y a quelques jours, car lui aussi a choisi d’attribuer à ses héros des bouts d’histoire lui appartenant : le Wyoming (sa région), les ranchs (il fut manœuvre de ranch), l’intervention d’un guide de pêche (un autre de ses anciens métiers). Autres points communs : ils sont de la même génération (Åsa Larsson est née en 1966, C. J. Box en 1967), sont favorables au point de vue omniscient, et ont semble-t-il tous deux une aversion éprouvante pour le verbe dire (tous les dialogues sont rythmés de « mentit-elle », « soupira-t-il », « héla-t-elle », « glissa-t-il », etc.). Reste que l’écriture d’Åsa Larsson est beaucoup plus subtile, nuancée que ne l’est celle de C. J. Box.
Horreur boréale n’est pas sans quelques faiblesses, cela dit. Åsa Larsson verse légèrement dans la facilité parfois mièvre d’une Mary Higgins Clark, à laquelle elle a peut-être emprunté un penchant pour les flashbacks et pour la description des tenues vestimentaires, notamment lorsque celles-ci sont de marques coûteuses, ainsi qu’une façon de situer le(s) coupable(s) dans un cercle proche, de faire peser le poids du passé, de présenter les pensées de l’assassin tout en brouillant les pistes, ou encore de développer une romance que l’on voit venir des chapitres avant l’héroïne. Il n’empêche que malgré cela, et malgré une dernière scène inutile et des remerciements qui auraient pu ne pas préciser que les événements décrits sont fictifs, il s’agit d’un premier polar riche et abouti, qui incite à se pencher sur la suite des aventures de son héroïne, Rebecka Martinsson.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’y irai mollo avec les images d’un même type. 
À la première analogie animale, on reconnaît que l’image est parlante. Mais quand on lit : « Elle prêta l’oreille mais n’entendit que le bruit de son cœur, cognant dans sa poitrine tel un lièvre apeuré. », puis quelques lignes plus loin : « Pas étonnant que la nuit mes pensées tournent en rond, comme un écureuil dans sa roue. », et quelques paragraphes après : « Les deux autres s’agitaient fiévreusement, tels de jeunes chiens flairant une piste. », on se dit qu’à moins qu’il ne s’agisse d’un gimmick supposé nous faire sourire, ce qui ne semble pas être le cas, ça trahit un certain manque d’imagination.

Je vérifierai mes sujets. 

S’agit-il d’Åsa Larsson, ou bien de ses deux traducteurs français ? En tout cas il y en a au moins un, parmi eux trois, qui raffole du placement des subordonnées ou compléments circonstanciels en début de phrase… mais qui derrière la virgule ne place pas le bon sujet ! Ce qui donne, toutes les 4 ou 5 pages, des tournures comme :
À cause de ses petites pattes, l’épais manteau neigeux ralentissait Tjapp.
Les petites pattes de l’épais manteau neigeux ? Mouais.

> Horreur boréale, de Åsa Larsson, Folio Policier, 2011 (édition originale 2003), 389 pages.