vendredi 31 décembre 2010

Confidences à Allah, de Saphia Azzeddine


L’histoire
Soliloque candide et furieux de la jeune marocaine Jbara, adressé à Allah, mais pas seulement.

Ma lecture
Jbara Aït Goumbra/Saphia Azzeddine est énervée. Contre l’usage que le Maroc fait de la religion, contre la pauvreté et la richesse, contre les idées reçues, bien-pensantes ou hypocrites, contre la perception du corps et les convenances. Elle s’en ouvre totalement, librement (et admirablement) auprès d’Allah, mais aussi de ses lecteurs qu’on imagine qu’elle imagine français (« fronçais », dirait Jbara).
C’est peut-être l’unique chose qui m’ait dérangée dans ce récit incarné et poignant : que par moments, de rares et tout petits moments, il perde un peu de son authenticité quand Saphia Azzeddine s’adresse trop directement non plus à Allah mais à un lectorat. Par exemple lorsqu’elle écrit : « Tandis qu’il me parle, je découvre une magnifique ceinture en or, l’équivalent de votre bague de fiançailles. » Notre bague de fiançailles ? Alors le discours glisse, alors le destinataire ne peut plus être Allah, alors toute cette rage nous devient destinée et la force de cette écriture qui semblait brute et spontanée s’efface sous un discours réfléchi et engagé qui, tout original et intelligent et rafraichissant qu’il soit n’en est pas moins archi-moralisateur.
À cette réserve près, ce livre est un véritable petit joyau. Mais un joyau poli.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

J’adopterai l’autofiction…
Ici, une vraie réussite !

… tout en restant humble.
Ainsi, je n’oublierai pas qu’un seul personnage détient rarement toutes les vérités. J’accepterai donc d’envisager certaines autres vérités.

J’irai jusqu’au bout de ma démarche.
Je traquerai donc le moindre anachronisme et la moindre déviance de mon discours. Et donc si ma narratrice est une jeune bergère marocaine inculte n’ayant jamais touché un jean de sa vie, la première fois qu’elle en aura un entre les mains elle ne jugera pas au premier coup d’œil qu’il lui ira « tip top ». De la même façon si ma narratrice est rétive à toute morale, j’éviterai tout discours ou situation moralisatrice (par exemple condamner mon héroïne à la prison le jour où elle sent qu’elle fait la première vraie mauvaise chose de sa vie, à savoir dire non à un homme qui l’aime), et préfèrerai faire confiance à la force de mon récit pour diffuser mes messages.

> Confidences à Allah, Saphia Azzeddine, Editions Leo Scheer, 2008, 145 pages.

dimanche 26 décembre 2010

Parce que je t’aime, de Guillaume Musso


L’histoire
Mark, le psy à succès, et Nicole, la superbe et talentueuse violoniste, avaient tout pour être heureux. Jusqu’à ce qu’un drame vienne bouleverser leur vie…

Ma lecture
Il fallait bien que je lise un Guillaume Musso. C’est vrai, je prétends m’intéresser aux best-sellers mais n’en étais encore jamais passée par là.
Alors c’est chose faite, et je dois dire qu’au sortir d’un mois de NaNoWriMo acharné, après lequel, vous l’aurez remarqué, j’ai eu du mal à me remettre à la lecture, l’écriture ou toute autre activité dont j’aurais pu vous parler ici, lire du Guillaume Musso est une expérience très gratifiante. Nombreux sont les écueils – ainsi que les gators (private joke réservée aux NaNoteurs, bah oui il faut bien que je me la raconte un peu !) – auxquels on se heurte quand on s’engage dans un marathon d’écriture, et ça fait du bien de constater que certains, sans cette pression du temps, arrivent à s’y heurter plus fort encore – et à s’en satisfaire, et à être publiés, et à être ultra-vendus.
Dans Parce que je t’aime, les héros vivent à New York, mais n’ont pas échappé à la violence de Chicago. Leurs vies peuvent avoir eu des « débuts prometteurs », un « milieu lumineux », jusqu’à ce que s’ensuive une « descente aux enfers ». Ils tenteront alors d’échapper à une « fin sordide ». Fréquemment, ils « écrasent des bâillements » ou « balayent le paysage du regard », parfois sous une « pluie battante ». Ils se posent des « questions lancinantes », vivent des « angoisses sourdes », ont des bébés à « la bouille ronde ». Il leur arrive d’être « spectateurs impuissants » face à des « événements tragiques ». Mais peu importe, car toujours l’amour triomphe, d’autant plus qu’ils se savent « unis par des liens indéfectibles ».
Une écriture qui ne place donc pas le curseur plus haut que l’envie de raconter une histoire, laquelle se terminera forcément par un rebondissement supposé imprévisible. Les personnages affichent des carrières brillantes, des profils lisses et des réparties convenues qui ne dénoteraient pas dans un bouquin de Mary Higgins Clark. On a d’ailleurs ici droit à autant de descriptions vestimentaires que chez la reine du suspense – avec en prime une abondance de citations de marques.
On est ainsi baignés dans un univers de carton pâte, reposant et sans surprise, saturé de bons sentiments, scénarisé et rédigé suivant des règles ultra balisées : expressions courantes voire clichés, citations en début de chapitres, repères temporels précis. Aucun risque que le lecteur se perde en cours de lecture, aucun risque qu’un élément quelconque lui échappe. La recette du succès ?...


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :

Je n’abuserai pas des effets de tabulation.
Car le pathétique aussi a ses limites. Qui parfois semblent être franchies, comme en page 44 :
          « Mais quelle est l’espérance de vie d’une fille de quinze ans,
                    perdue,
                              sans ressources,
                                        au milieu d’une nuit d’hiver
                                                  à Manhattan ? »

Je ménagerai les oreilles de mes lecteurs.
Et donc je ne me sentirai pas obligée d’octroyer une bande-son à chacun de mes chapitres. Mais peut-être Musso projetait-il déjà l’adaptation cinématographique de ce roman ?...

Je vérifierai mes constructions de phrases.
Parce que je t’aime est parsemé de phrases du genre : « En tant que spécialiste de la résilience, la FAA et le FBI faisaient appel à lui lors des catastrophes aériennes et des prises d’otages. » Hum.

Je surveillerai mes images.
Musso en a de splendides, par exemple ici : « Le médecin lui tendit un mouchoir en papier et, quelques secondes, un parfum de reconnaissance flotta dans l’air. » Ah, ce doux parfum de reconnaissance… En lisant ça, moi, je n’ai pas pu m’empêcher de lever le nez pour le regarder flotter !

J’éviterai de faire l’apologie de la sœur jumelle de Paris Hilton.
Car même si c’est possiblement vendeur, je devrais tout de même pouvoir trouver mieux à écrire !

Je fixerai le temps de mon histoire.
Que les flashbacks soient écrits au passé, cela semble logique. Mais que le cours du récit soit rédigé tantôt au passé, tantôt au présent, ça me laisse perplexe. Vous comprenez quel pourrait en être l’intérêt, vous ?

> Parce que je t’aime, Guillaume Musso, Pocket, 2008, 313 pages.