vendredi 24 septembre 2010

Ton aile, de Benoît Charuau


L’histoire
Un tout jeune homme, plutôt sage et mesuré, se retrouve pourtant emprisonné à Fleury-Mérogis et y entame une correspondance avec son (également jeune) ancien prof de philo de terminale.

Ma lecture
Enfin, j’ai lu du Benoît Charuau !!
Je dis « enfin » car lui et moi (si je n’étais si polie j’aurais écrit « moi et lui », la chose étant parfaitement unilatérale…) c’est une vieille histoire : l’ami d’un ami d’un ami, rencontré trois ou quatre fois en soirées dans les années 2000, il s’y distinguait, observateur et raffiné, s’appliquant à absorber chaque scène (enfin, principalement celles mettant en scène des hommes quand même…), la parole réfléchie et précise (même si parfois un tantinet misogyne, m’avait-il semblé…), présent et commentateur mais avec recul, évoluant un monde au-dessus des autres, jeune aussi, on me l’avait présenté comme étant prof de français (c’était de philo, en fait) et écrivain. Le parti idéal pour l’un de mes cousins, me disais-je alors ! Ok il était toujours accompagné, et toujours du même homme, qui ok je le savais partageait également son toit, mais il en aurait fallu plus pour me freiner !
Il faut dire que j’étais très marieuse à l’époque, je me souviens de ce couple d’amis qui se séparaient tout le temps et de mes complots pour les aider à se remettre ensemble, ah puis il y avait aussi ce tuteur de mémoire, que j’aurais trouvé parfait pour une de mes proches… Las, le couple d’amis n’en est définitivement plus un, et je ne suis jamais parvenue à faire se rencontrer ni mon prof et ma proche, ni mon cousin et celui dont je ne connaissais alors que le prénom, Benoît, et en partie le métier.
J’aurais voulu compenser en le lisant, malheureusement trouver un bouquin quand on ne sait ni de quoi il parle ni dans quelle maison d’édition ou même dans quel genre le chercher, et qu’on ne connaît de l’auteur qu’un prénom, courant d’ailleurs, n’est pas chose facile, par ailleurs trouver le nom de famille de l’ami d’un ami d’un ami ne l’est pas davantage, d’autant que les amis des amis ne le restent pas toujours, c’est comme les couples d’amis, bref. Pourtant il ne faut jamais désespérer. Parce que maintenant je le sais, il s’appelle Charuau, et ça y est j’ai, enfin, pu lire ses deux bouquins publiés à ce jour : Ton aile et Soleil levant sur son chemin.
Ton aile, c’est ce bouquin dont je vous disais ici qu’il est construit sous forme de correspondance entre un prisonnier et son ancien prof de philo. Benoît Charuau est prof agrégé de philo, il enseigne aussi aux détenus de Fleury-Mérogis, autant dire que c’est empreint de vécu, de questionnement, d’idéologie. Cela tient autant de la littérature que du témoignage, de la fiction que de l’introspection, d’un point de vue obstrué par toutes sortes de barreaux que d’une réflexion globale sur la société.
Les deux protagonistes auraient pu être plus dissemblables (on a parfois l’impression d’un dialogue entre un homme de 35 ans et sa réplique de 20 ans, notamment dans la façon dont se construit leur réflexion), cela aurait pu être plus rythmé, plus souple, mais il faut le lire car l’écriture est riche, intime et le propos travaillé, il faut le lire car c’est actuel et qu’il y a urgence à entendre ce qu’il s’y dit des prisons, de l’exclusion, de tant de formes d’exclusion, urgence à entendre cette autre voix sur les relations prof/élèves, il faut le lire car même si Benoît Charuau devait ne jamais rencontrer mon cousin (et, au passage, tout invraisemblable que cela puisse vous paraître, ne jamais se souvenir m’avoir rencontrée !) ce récit vaut une lecture, vraiment !


Pour mon best-seller, j’en retiens que :

Je m’autoriserai l’écriture à toutes les personnes.
Il y a quelques jours je vous parlais de cette écriture qu’Adam Walker, héros de l’Invisible de Paul Auster, ne parvient à poursuivre qu’après passage du « je » au « tu ». Dans leurs échanges de lettres, les deux héros de Ton aile troquent spontanément le « je » pour le « tu », mais aussi pour le « il », le « vous », le « nous », le « eux ». Les transitions sont naturelles, évidentes, et le ressort met joliment en exergue l’émotion, l’état d’esprit d’un instant.

Je ne jouerai pas avec l’idée de me laisser emprisonner quelques mois pour avoir le loisir d’écrire.
C’est un vrai classique des fantasmes de l’écrivain en herbe, mais Benoît Charuau en a fait l’expérience : ce n’est pas une si bonne idée…

J’élargirai ma cible…
… en ne considérant pas que, sous prétexte que je fais partie d’une minorité (les bretons de la capitale par exemple) mon récit doit forcément s’en réclamer et s’adresser principalement à cette communauté. C’est vrai, pourquoi me priverais-je d’emblée de tant de ventes potentielles ?!
Alors pourquoi avoir publié Ton aile, dont l’homosexualité des héros ne change bien sûr rien à l’universalité du propos, aux éditions Biliki, dans une collection (Thé glacé) connue pour être l’une des pionnières de la littérature gay et lesbienne francophone ?


>> Ton aile, Benoît Charuau, éditions Biliki, collection Thé glacé, 2005, 206 pages.

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