vendredi 23 avril 2010

L’échiquier du mal, de Dan Simmons

lire l echiquier du mal de dan simmons pour mieux ecrire- L'échiquier du mal, tome 1, Dan Simmons, VF, traduction Jean-Daniel Brèque, poche, Gallimard Folio SF, 2000, 688 pages (première édition aux USA 1989)
- L'échiquier du mal, tome 2, Dan Simmons, VF, traduction Jean-Daniel Brèque, poche, Gallimard Folio SF, 2000, 544 pages

L'histoire en quelques mots
Des vampires de l'esprit en manque de divertissement font des festins humains et politiques à l'échelle planétaire mais trouvent sur leur route un survivant des camps de concentration, une étudiante afro-américaine orpheline et un shérif têtu.



!! Attention, la suite de ce post dévoile des infos capitales sur le contenu du bouquin !!

Ma lecture
Prenez une grande respiration parce que je vais vous en écrire des tartines sur celui-ci ! Hé, je me suis coltiné les 1.232 pages de la VF, il faut que je rentabilise mon temps !
Et surtout, c'est un excellent exemple de bouquin où l'écriture mêle le meilleur et le pire, un vrai cas d'école ! Dans le pire : l'absence de travail d'éditeur (Simmons a choisi de s'en passer et s'en félicite, hem), des longueurs inutiles, des personnages à une seule facette, plats, clichés et peu attachants, et bien d'autres maladresses sur lesquelles je reviendrai dans mon point « j'éviterai ». Dans le meilleur : de bonnes idées, de l'imagination, un suspense politique et stratégique habile, quelques scènes ultra-violentes dont l'horreur nous laisse une empreinte durable (je le mets dans « le meilleur » car j'estime que cela témoigne d'un vrai talent dans la description de ces scènes, mais je précise que les scènes de viol vues à travers le regard du détestable Tony Harod (que Simmons met cependant tout en œuvre pour nous faire apprécier sur la fin), sont in-sou-te-na-bles, en tout cas pour moi, je conseille à ceux qui ne l'auraient pas lu, auraient fait fi de ma mise en garde de spoiler et seraient dérangés par ce type de scènes de ne lire qu'en diagonale tous les premiers chapitres rédigés selon le point de vue de Tony Harod), et surtout un énorme travail de recherche et de restitution de la réalité.


J'en retiens que dans mon best-seller j'adopterai :
- Le mythe du vampire. C'est décidément une valeur sûre, qui fonctionne d'autant mieux s'il fait l'objet d'une variation intéressante, comme c'est le cas ici.
- La rigueur dans le travail de recherche documentaire. Si l'on considère que le succès tient à l'équilibre entre histoire / personnages / travail / talent, disons qu'ici les personnages sont d'un intérêt mineur, l'histoire inégale, le talent ça se discute, en revanche que de travail, que de recherches historiques, scientifiques, psychologiques, médicales, recherches n'oubliant évidemment pas les techniques du jeu d'échecs, la trame reproduisant une partie mythique ayant opposé Boris Spassky à Bobby Fischer en 1972. Tant qu'on apprend des choses et que ce qu'on nous dit semble documenté et authentique, même si le reste est de moindre intérêt on se prend à apprécier et poursuivre la lecture.
- La patience et la ténacité. Avoir une histoire en tête c'est une chose, prendre le temps de la rédiger patiemment mot à mot sur 1.200 pages c'est ce qui distingue les écrivains de ceux qui ne le seront jamais que dans leurs rêves.
- La winner attitude. Parce que c'est à la mode (ne faites pas semblant de ne pas savoir à quoi je fais référence, on vous a vus regarder tf1 dans la nuit vous aussi !) et parce que ça fonctionne. Dan Simmons était prof, un jour il a décidé qu'il serait écrivain et s'en est donné le temps et les moyens, et voilà le résultat ! Il est écrivain !


En revanche dans mon best-seller j'éviterai :
- D'essayer de caser à tout prix tous mes points de vue. Car en un seul roman il est impossible (ou alors envoyez-moi la recette) de livrer une analyse : de la société, des médias, des luttes de pouvoir et de classes, des rapports hommes/femmes, de la sexualité, de la religion, du racisme, de la guerre, du nazisme, des ghettos et j'en passe, sans que cela finisse par nuire à l'histoire.
- De faire tuer des méchants de légende aux pouvoirs surhumains par de petits héros lambdas, n'ayant pas (à l'inverse d'un Frodo dans Le seigneur des anneaux ou même d'un Harry Potter faisant preuve d'une humanité impossible à comprendre pour un Voldemort) un trait de caractère les prédisposant à terrasser le mal. Parce que sinon ça veut dire qu'ils n'étaient pas si redoutables.
- De vouloir tout montrer. Parce que ok on a appris qu'il faut montrer, pas dire, mais nous est-il vraiment nécessaire de savoir au début d'une scène que Natalie a besoin de se soulager mais qu'à la fin de la scène elle n'en a toujours pas trouvé l'occasion, quand cette information n'apporte rien à l'histoire ?
- De me moquer de mon éditeur s'il me suggère de couper ou alléger certaines scènes. Si l'histoire fait 1.232 pages alors que tout pourrait être dit en 400, il n'a pas forcément tort.
- D'étaler ma science. Parler de ce qu'on connaît c'est très bien, se documenter pour éviter invraisemblances et anachronismes formidable, mais expliquer sur des pages le fonctionnement des ondes thêta ou de tel fusil semi-automatique ça n'aboutit qu'à nous faire décrocher de l'histoire, et parsemer les dialogues d'expressions en allemand non traduites c'est carrément une faute de goût. C'est vrai, je ne parle pas allemand moi, zut !
- De répéter des pensées ou gestes, surtout s'ils ne concernent pas chaque fois le même personnage. Si Saul « se surprend à avoir envie de lever ses jambes pour ne pas toucher le sol » quand il se retrouve dans un avion qui vole à basse altitude, et que 50 pages plus loin Natalie « se surprend à avoir envie de lever ses jambes pour ne pas toucher le sol » quand elle se retrouve dans un avion qui vole à basse altitude, on comprend que c'est surtout Dan Simmons qui, un jour, en avion, s'est surpris à avoir envie de lever ses jambes pour ne pas toucher le sol et a voulu en témoigner dans le livre, mais a oublié l'avoir déjà fait et a récidivé quelques pages plus loin.
- De changer les règles du jeu en cours de route parce que je ne sais pas comment m'en sortir sinon. Si pendant 700 pages les vampires psychiques ont besoin de contact visuel avec une personne pour pouvoir en prendre le contrôle, il n'y a pas de raison pour que, sans explication, l'un d'eux puisse s'en passer dans le reste du bouquin.
- D'avoir recours aux ressorts Deus ex machina. Non, il n'est définitivement pas crédible que deux personnages qui se retrouvent en pleine forêt, sans véhicule, encerclés de toutes parts y compris par la voie aérienne via des hélicoptères et traqués par des monstres qui lisent dans les pensées, que ces deux personnages donc tombent par miracle sur un 4x4 tout neuf, laissé au milieu de la forêt, prétend l'auteur, par un couple à l'intention d'un autre couple supposé rejoindre le premier pour un w-e de camping, avec la carte grise, un pack de bières et les clés gentiment planquées dans le pot d'échappement. Non. Soit les héros trouvent un moyen crédible de s'en sortir, soit ils meurent, mais ça non.
- D'éliminer le personnage le plus attachant (et peut-être l'unique personnage un tant soit peu attachant de l'histoire) alors qu'il reste plus de 500 pages à tirer.
- D'écrire des monologues interminables. Vous avez déjà vu dans la vraie vie quelqu'un qui, il ne sait pas pourquoi, a envie de passer 4 heures non-stop à raconter à une inconnue des choses de sa vie qu'il n'a jamais révélées, inconnue qui de son côté elle ne sait pas pourquoi (mais là nous lecteurs on commence à savoir, c'est parce que c'était bien pratique pour l'auteur) a envie de l'écouter, et comme au bout de 4 heures le monologue n'est pas fini mais l'inconnu est épuisé (on le comprend, on l'est aussi à force) ils vont tous les deux dormir (en toute chasteté mais chez l'inconnue, car même si elle n'a rencontré le bavard que le jour même, entrant par effraction dans une maison, qu'il vient de passer 4 heures à lui parler de vampires et que c'est un homme de 3 fois son âge, elle a envie de lui faire confiance), pour reprendre la conversation le lendemain matin au réveil ?
- D'écrire des dialogues sans tête. En tant que lecteurs on n'aime pas trop tomber sur 15 pages de dialogues d'affilée sans rien pour nous rendre la scène plus vivante ou concrète (action, geste, regard ou élément nous rappelant que ces phrases sont prononcées à un endroit et par des gens), pas vrai ? Eh bien il faut savoir qu'un éditeur c'est pire, s'il voit ça il se dit « amateur, débutant ! ». Alors, évitons.
- De rejouer des scènes depuis des points de vue différents. Chez Tarantino c'est chouette, pourtant, me direz-vous ! Oui, mais chez Tarantino quand on revoit la scène d'un autre point de vue on découvre des éléments essentiels qui bouleversent notre compréhension des événements. Si le nouveau point de vue n'apporte rien à notre compréhension du récit il ne fait que ralentir le rythme et gonfler sans intérêt un nombre de pages déjà beaucoup trop élevé.
- D'interrompre les scènes d'action par des flashbacks visant à expliquer la psychologie et les réactions en situation extrême d'un personnage. Soit l'histoire nous a permis de comprendre ses motivations, soit sa réaction dans l'action nous l'apprendra, mais briser le rythme de l'action, c'est niet.
- De tenter de harponner régulièrement mes lecteurs pour leur arracher de l'empathie que je n'ai pas su créer naturellement envers des personnages… pour mieux les tuer au paragraphe suivant !


Attention, cliché !
Il fallait bien que je commence à l'utiliser, mon logo « danger cliché » ! Alors désolée les gars, ça va peut-être vous faire un choc mais il faut que vous le sachiez : non, nos seins ne « gonflent » pas d'amour, de désir ou je ne sais quoi. Ils peuvent gonfler bien sûr, avec un soutien-gorge push-up, de la silicone, la maternité, une forte prise de poids et que sais-je encore, mais d'anticipation d'un acte amoureux, définitivement, non (détrompez-moi les filles si une telle expérience vous était arrivée !).
On le sait que vous n'êtes pas toujours très rationnels quand vous parlez de seins, tenez ça me fait penser à un bouquin d'Olivier Adam, Les vents contraires, lu il y a bien un an alors je ne pourrai pas vous garantir l'exactitude de la citation, en tout cas il comportait une scène où le héros, repensant à sa femme partie, se remémore comme il aimait la voir quand elle prenait son bain et que son grand truc était de disparaître entièrement sous l'eau, ses seins seuls dépassant de la mousse. Ça m'a intriguée alors, brave bête qui ferait n'importe quoi pour vous donner de l'info, de la vraie, j'ai testé et rien à faire, à moins d'avoir une baignoire vraiment grande ou d'être vraiment petite nos genoux sont pliés et dépassent, et à moins d'adorer le picotement de l'eau savonneuse dans les narines le visage aussi surnage, bah oui, essayez donc de mettre la tête en arrière dans une baignoire vous !, ou alors il faudrait un pince-nez et replier ses jambes sous soi pour camoufler les genoux et une telle position n'aurait plus rien de très sexy à mes yeux même si en effet de cette façon seuls les seins dépassent, et peut-être le pince-nez aussi, ça dépend du type de pince-nez utilisé, tout ça pour dire que certaines images vous semblent peut-être torrides les gars, mais elles nous font surtout décrocher, nous autres nanas, devant un fantasme pathétique de plus.
Mais revenons à Dan Simmons qui, le pauvre, s'est après tout contenté de parler de seins gonflés et n'avait pas mérité tout ça, peut-être, sauf que si ça a retenu mon attention critique c'est que ça arrivait après toute une série de scènes de fantasmes adolescents, suivies de viols pour l'essentiel, ayant pour objet des sujets aussi originaux que :
- la jeune actrice-mannequin ingénue, et quelques actrices plus âgées ne pensant qu'à coucher,
- l'hôtesse de l'air frigide,
- l'afro-américaine aux lèvres « pleines », que tout le monde sans s'être concerté semble avoir envie d'appeler « bébé » (on sait pourtant tous depuis Dirty Dancing que « bébé » ça fait ringard !),
- l'infirmière excitée,
- l'eurasienne sublime que rien n'effraie, à la beauté pure et aux gestes gracieux (j'aurais dû compter le nombre de fois où l'un de ses gestes est précédé ou suivi des adjectifs « gracieux », « souple », « élégant », etc.), impeccable en toutes circonstances, y compris par grand froid après six nuits blanches et dans une mare de sang.
Bref, comprenez qu'à force j'étais agacée. Je reconnais toutefois que les clichés n'épargnent pas les personnages masculins, puisqu'en face de ces forcément somptueuses créatures on trouve :
- un producteur hollywoodien trapu, velu et vicieux,
- une poignée de politiciens âgés et manipulateurs,
- un agent de la CIA sans états d'âme,
- un psy juif décharné ayant survécu aux camps,
- un brave shérif obèse et vieux garçon.
Alors à choisir, finalement...

4 commentaires:

  1. Salut,
    je ne peux que te féliciter de la qualité de ta critique sur "l'échiquier du mal". ça fait longtemps que j'ai lu le bouquin (et j'avoue, j'avais bien aimé) et j'en ai oublié une bonne partie mais ça me donne envie de le relire pour y voir toutes les références que tu cites :-).
    Quoi que je me souviens que la lecture était très loooooongue...

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  2. loool je n'avais jamais partagé cet avis avec qui que ce soit, mais je suis contente de constater que des fois, les fantasmes décrits laissent à penser que l'auteur est nul en anatomie (ou se représente trèèès mal les choses quand il les imagine).
    Ca ne donne pas très envie de lire le bouquin cette critique (et en plus, les vampires ne m'ont jamais intéressée).
    Et dans les défauts de l'oeuvre, je ne pense pas que Hypérion en souffre (alors qu'ils se suivent, il a fait des progrès faut croire XD)
    Je me suis sincèrement attachée à plusieurs personnages, parce qu'ils étaient drôles, émouvants malgré leurs défauts pour certains (alors que dans Endymion, aucun personnage ne s'est attiré ma sympathie).

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  3. Bah après tout les fantasmes ne sont pas faits pour être réalistes, mais en ce cas des fois mieux vaut éviter de les écrire ! :)
    Ce ne sont pas des vampires classiques, ce sont des hommes et femmes qui vampirisent l'esprit, ressort plutôt amusant mais pas aussi exploité qu'il aurait pu l'être. Simmons a au moins le mérite de ne pas trop chercher à rendre ses personnages sympathiques, il ne connaît pas le politiquement correct, la contrepartie c'est qu'on se moque du sort des héros, parfois même on leur souhaite carrément du mal !
    Mais tu n'es pas la première à me dire beaucoup de bien d'Hypérion, j'essaierai !

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  4. Ah oui, je voulais réagir sur ce que tu dis à propos de la scène du viol que tu trouves dur à lire. Ca me donne envie de la lire du coup ! parce que jamais rien ne me met mal à l'aise en lecture (ou au ciné d'ailleurs) alors je cherche des exemples de trucs sensés être "terribles" à lire.
    Dans "American Psycho" j'ai lu sur des forums que des lecteurs trouvaient les passages de tortures hard et qu'ils faisaient des pauses avant de continuer, alors que j'adorais ces passages !

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