lundi 2 mai 2011

Où on va, papa ?, de Jean-Louis Fournier


L’histoire
Ceux qui pensent que la foudre ne frappe deux fois au même endroit que dans les Tex Avery se trompent. Jean-Louis Fournier en a fait l’expérience, se retrouvant père d’un enfant handicapé. Puis de deux. Autobiographie romancée, grinçante et d’une étonnante douceur, adressée par un père à deux enfants qui ne pourront jamais la lire.

Ma lecture
Peu de livres m’auront autant que Où on va, papa ? fait m’interroger sur mon attitude de lectrice. Ce n’est certes pas la première fois que je m’interroge sur le sujet. Il y a quelques mois, à la lecture d’Un roman russe de Carrère, je n’avais pas aimé me retrouver voyeuse (bizarre ce mot au féminin, non ?…) malgré moi. Ici c’est très différent. Le thème aurait pu se prêter à toutes formes d’indécences, mais l’écriture de Fournier est d’un bout à l’autre délicate et pudique. Pas de voyeurisme donc, mais une vraie difficulté à ne pas adopter l’attitude de circonstance, que précisément Fournier ne souhaite pas provoquer. À ne pas être comme cette femme qu’il rencontre à l’occasion d’un dîner et qui, apprenant qu’il est père de deux enfants handicapés, se met à le regarder « avec le sourire triste et humide qu’on voit aux femmes du peintre Greuze ». Mais à ne pas non plus, une fois les premières gênes et hésitations passées, laisser le rire, tout provoqué qu’il soit par l’auteur (il peut parler de ses enfants en ces termes : « La seule chose qu’on a réussie, ce sont vos prénoms. En choisissant Mathieu et Thomas, on a fait dans le bon chic bon genre, avec en plus un petit clin d’œil à la religion. Parce qu’on ne sait jamais, et qu’il vaut toujours mieux être bien avec tout le monde. »), occulter l’âpreté de la situation.
L’écriture de Jean-Louis Fournier est simple et juste, stupéfiante de sincérité, le découpage en saynètes est très bien vu et la tendresse est transmise sans jamais céder à la démagogie. Reste au lecteur à savoir être à la hauteur de ce témoignage.


Même si le sujet est très particulier et difficilement récupérable, pour mon best-seller à venir j’en retiens que :

 
J’adopterai l’analogie percutante.
Comment mieux parler d’une situation, pour l’essentiel étrangère au grand public, qu’en la rapprochant d’une situation commune, ainsi que le fait Fournier dans ce passage :

À chaque époque, dans chaque ville, dans chaque école, il y a toujours eu et il y aura toujours, au fond de la classe, souvent près du radiateur, un élève au regard vide. Chaque fois qu’il se lève, qu’il ouvre la bouche pour répondre à une question, on sait qu’on va rire. (…) L’enfant au regard vide, debout au milieu des élèves déchaînés, n’a pas envie de faire rire, il ne le fait pas exprès, au contraire. Il aimerait bien ne pas faire rire, il aimerait bien comprendre, il s’applique, mais malgré ses efforts il dit des bêtises, parce qu’il est non comprenant.

Je penserai à mon lectorat féminin.
J’y irai donc mollo avec mes petits réflexes misogynes. J’essaierai ainsi d’éviter le cliché de la ravissante idiote, dans lequel Fournier s’engouffre par exemple ici :

J’ai rencontré quelques mignonnes un peu sottes. Je me suis bien gardé de parler de mes enfants, sinon elles se seraient sauvées.
Je me méfierai également des comparaisons pères/mères, risquées :
On entend certaines mères, devant le berceau de leur enfant, dire : « On ne voudrait pas qu’il grandisse, on voudrait qu’il reste toujours comme ça. » Les mères d’enfant handicapés ont beaucoup de chance, elles joueront à la poupée plus longtemps.
(…)
Les pères s’intéressent aux enfants quand ils sont plus grands, quand ils sont curieux, quand ils commencent à poser des questions.
J’ai attendu vainement ce moment-là.

Je me méfierai des généralités.
Où on va, papa ? a des airs d’appel à la tolérance. Sauf que l’on sent les limites de sa tolérance lorsque Fournier évoque les « autres enfants », les « normaux », par exemple ici :

Si vous étiez comme les autres, je vous aurais conduits au bal avec vos fiancées dans ma vieille voiture décapotable.
Si vous étiez comme les autres, je vous aurais donné en douce des petits biffetons pour faire des cadeaux à vos fiancées.
Si vous étiez comme les autres, on aurait fait une grande fête pour votre mariage.
Si vous étiez comme les autres, j’aurais eu des petits-enfants.
Je résume : un fils « comme les autres », un fils « normal », aurait donc forcément été hétéro et, un jour ou l’autre, marié et père de famille. Tolérance, disions-nous ?…

> Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier, Le livre de poche, 2010 (2008 pour l’édition originale chez Stock), 149 pages.

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