dimanche 27 juin 2010

Six Feet Under : écriture et scénaristes


En mai 2009, Télérama s’interrogeait longuement sur le travail d’écrivain à l’heure des grandes séries télé américaines, de la chaîne HBO notamment (Dossier Des saisons très littéraires - Pourquoi les séries télé vampirisent les écrivains, TRA 3097). Parmi celles-ci, Six Feet Under, dont je viens de terminer de visionner les cinq saisons (achevées en 2005, je sais, mais il n’est jamais trop tard pour bien faire !).
Cinq saisons aux scènes inégales mais dans l’ensemble de très grande qualité, avec des personnages complexes superbement incarnés par des acteurs venus pour l’essentiel du théâtre, et un scénario osé, inventif et abouti.

Synergie de scénaristes
Dans le dossier de Télérama, Philippe Djian assenait : « Tout le monde sait que ces grandes séries valent nos meilleurs romans. », et le journaliste de Télérama, Erwan Desplanques, s’interrogeait : « comment l’écrivain peut-il rivaliser, en face, seul avec son stylo ? ».
Après avoir vu tout Six Feet Under ainsi que ses bonus, j’ai l’impression que le mot le plus important, dans ce questionnement, est « seul ». L’écrivain presque tout le temps écrit seul. Un imaginaire, un vécu, un point de vue, un style, un œil critique. A contrario lorsqu’Alan Ball, scénariste oscarisé pour American Beauty, crée Six Feet Under, il s’entoure de sept scénaristes parmi les plus doués qui soient selon lui. Chacun ayant, dit-il dans les bonus de la série, « un parcours personnel extrêmement riche et intéressant », chacun apportant des idées dont Alan Ball se dit que, seul, il n’aurait jamais pu les avoir. L’une des coscénaristes, Jill Soloway, le confirme, disant que tous ont apporté à la série des bouts de leur vie personnelle (acteurs inclus, d’ailleurs).
Chaque jour, le bataillon de scénaristes se réunit dans une pièce ornée de grands tableaux sur lesquels chacun note ses idées pour chaque personnage, puis rebondit sur les idées des autres. Une façon de travailler qui pourrait rappeler en France celle du tandem Jaoui/Bacri. Mais en littérature ?...

Inspirons-nous des scénaristes…
Revenons à nos sept scénaristes. Ne s’expriment-ils pas sur les apports spécifiques de chacun ? Ne pourrait-on pas leur emprunter quelques astuces ?
Humbles dans les interviews bonus, ils mettent surtout en avant ce que leur a appris Alan Ball.
D’abord, le refus de la linéarité. Le coscénariste Craig Wright dit que l’une des phrases que Ball prononce le plus est : « C’est trop linéaire ». Il n’aime pas qu’une chose se produise en réaction à une autre. Si par exemple David et Keith ont une altercation en scène 1, David ne va pas décharger sa colère sur quelqu’un en scène 2, il va au contraire se montrer très gentil, quitte à exploser en scène 3.
Ensuite, une certaine compréhension de la psychologie. Jill Soloway dit qu’Alan Ball comprend que la tristesse et le rire sont la même chose, qu’ils viennent du même endroit, que c’est pourquoi certaines personnes rient dans les enterrements. Un autre des coscénaristes, Bruce Eric Kaplan, estime que le succès de la série tient en partie à cette finesse de la construction psychologique des personnages, car « les gens aiment qu’on montre les méandres de l’âme humaine et la difficulté de communiquer avec autrui ».

Et inspirons-nous du montage !
Un autre bonus de la série qui donne à réfléchir à l’écrivain est celui où l’on s’immisce dans la salle de montage. Le monteur coupe, colle, essaie différentes prises d’une même scène, teste différentes musiques sur chacune de ces prises, chaque prise de chaque scène est filmée sous plusieurs angles alors il essaie aussi ces différents angles, l’équipe visionne, le monteur modifie à nouveau, colle les scènes sélectionnées, l’équipe revisionne, constate qu’une autre prise fonctionnerait mieux à tel stade de l’enchaînement, au final de centaines d’heures de rushs on extrait un épisode de 50mn extrêmement soigné.
Alors pourquoi ne pas nous aussi écrire nos scènes une première fois, puis une seconde, puis dix fois, puis toutes les réécrire depuis des points de vue différents pour, comme ces équipes de séries télé, pouvoir s’offrir le luxe de ne garder que la meilleure ? Chronophage, certes. Mais peut-être payant ?…

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