mardi 8 juin 2010

Amkoullel, l’enfant peul, d’Amadou Hampâté Bâ


L’histoire en quelques mots
Biographie sous forme de récits autour de la jeunesse et de la genèse malienne du jeune Amkoullel, jusqu’à ce qu’il atteigne l’âge où il deviendra l’homme Amadou Hampâté Bâ, à une époque de bouleversements pour l’Afrique et le Monde.

Ma lecture
Amadou Hampâté Bâ est un authentique conteur. Nourri et éduqué aux contes, qui longtemps constituèrent la mémoire transmise de génération en génération dans une Afrique de tradition orale, il est en permanence dans le récit. Sa langue est dépouillée mais précise, c’est beau comme des pages web avec des CSS, les phrases sont simples et justes, les envolées réservées à certains personnages exaltés ainsi qu’aux dialogues restitués par la mémoire sidérante de l’auteur.
C’est peu scénarisé : on ne suit pas des événements, il n’y a pas de progression dans l’intensité du récit car la progression est chronologique. Les premiers récits, consacrés aux ancêtres d’Amkoullel, sont glorieux et épiques, la linéarité désarçonne, qui ensuite nous présente puis nous fait suivre pas à pas le chemin plus ordinaire de l’auteur enfant. Ainsi nul suspense graduel, nulle angoisse de ce qui suivra, mais un intérêt véritable pour ces saynètes qui bout à bout prennent sens et nous embarquent aisément.

De cette lecture je retiens que dans mon best-seller :

Je n’hésiterai pas à faire intervenir des personnages hors du commun.
Les souvenirs du jeune Amkoullel en sont peuplés, par exemple l’homme qu’il décrit ainsi :
Musicien virtuose, il faisait ce qu’il voulait de ses mains, mais aussi de sa voix. Il pouvait faire trembler son auditoire en imitant les rugissements d’un lion en furie ou le bercer en imitant, à lui seul, tout un chœur d’oiseaux-trompettes. (…) Je ne connais pas un cri d’animal ni un son d’instrument de musique qu’il ne pouvait imiter. Et quand il dansait, c’était à en rendre jaloux Monsieur Autruche lui-même.
Too much, trouvez-vous ? Et pourtant, spécialement à des yeux d’enfant et quand elles captent l’attention des adultes, les personnes rencontrées semblent souvent ainsi, exceptionnelles et supérieures. Pourquoi ne pas le restituer ?...

Je décrirai des héros intrépides.
Parce que c’est beau, les personnages qui infléchissent le cours divin par la force de leur volonté, et parce que cela crée de l’enjeu. Quand le deuxième père du jeune Amkoullel se fait emprisonner et disparaît, sa mère Kadidja ne se désespère pas. Elle remue ciel et terre pour le retrouver après s’être engagée à obtenir des résultats dans un délai serré auprès de sa belle-mère, engagement sacré donc :
Je te demande un délai de trente-trois jours. Avec l’aide de Dieu, je te promets que j’obtiendrai des nouvelles de mon mari. Et si pour cela il faut escalader les cieux, j’irai chercher au besoin l’échelle des prophètes pour le faire !
Quand on est lié par de telles promesses, on n’a d’autres choix que de réussir ou de mourir en s’y employant !

Je donnerai des clés de compréhension.
Si j’écris un livre sur des bretons et que je destine ce livre à un public parisien, il faudra naturellement que j’explique deux/trois choses de la vie bretonne ou mes lecteurs risquent de tout mal interpréter. Quand Amadou Hampâté Bâ décrit la place des enfants au cours des repas du soir (assis en bout de table, contraints au silence, cantonnés aux légumes...), le lecteur occidental peut être choqué. Sauf qu’aussitôt l’auteur explique en quoi il s’agit là d’un système d’éducation tout à fait défendable :
Toute cette discipline ne visait nullement à torturer inutilement l’enfant, mais lui enseignait un art de vivre. Tenir les yeux baissés en présence des adultes (…) c’était apprendre à se dominer et à résister à la curiosité. Manger devant soi, c’était se contenter de ce que l’on a. Ne pas parler, c’était maîtriser sa langue et résister au silence : il faut savoir où et quand parler. Ne pas prendre une nouvelle poignée de nourriture avant d’avoir terminé la précédente, c’était faire preuve de modération. Tenir le rebord du plat de la main gauche était un geste de politesse, il enseignait l’humilité. Éviter de se précipiter sur la nourriture, c’était apprendre la patience. Enfin, attendre de recevoir la viande à la fin du repas et ne pas se servir soi-même conduisaient à maîtriser son appétit et sa gourmandise.

J’inclurai un peu de bon sens traditionnel.
Parce que les recettes de grand-mère, ça marche toujours ! Bon dans Amkoullel, l’enfant peul, en l’occurrence, il s’agit surtout de conseils de mère, mais ça marche aussi :
Je me souvenais des conseils de ma mère : « Un bon chef de waaldé doit toujours se montrer patient et conciliant. Il ne doit pas encourager la bagarre, mais si celle-ci devient inévitable, il ne doit pas non plus reculer. Et dans la mêlée, si mêlée il y a, il ne doit jamais fuir, quels que soient le nombre et la violence des coups qu’il reçoit. La seule blessure incurable pour un chef, c’est de fuir devant l’ennemi ».

J’essaierai du générer un peu de suspense même dans une biographie.
Pour que le lecteur ait envie de lire la suite, quoi de plus simple que de l’appâter en lui suggérant que quelque chose d’énorme l’attend dans les pages à venir ? Ce qu’Hampâté Bâ fait par exemple comme cela :
Je ne savais pas que, sur ce bateau, j’allais faire une rencontre dont les conséquences lointaines détermineraient toute mon attitude en face des honneurs de ce monde.
Tintintin !!

Je répondrai à une question que tout le monde se pose.
Comme ça mes lecteurs auront au moins le sentiment d’avoir appris quelque chose. Dans Amkoullel, l’enfant peul, on apprend plein de choses sur l’Afrique, c’est vrai, mais surtout, surtout, on apprend que le Point G existe, eh oui, Hampâté Bâ le décrit en page 469, aucun doute possible, il s'agit d'une colline, à Bamako !!

>> Amkoullel, l’enfant peul, Mémoires T1, d’Amadou Hampâté Bâ, Actes Sud collection Babel, 1993, 534 pages.

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