dimanche 17 juillet 2011

Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier


L’histoire 
Dans la première moitié du XIXe siècle, un journaliste raconte les tribulations de jeunesse de son oncle, médecin de campagne à « l’estomac plein d’élévation et de noblesse », à l’épée plus décorative qu'offensive, à la philosophie nourrie au bon lait de l’automne.

Ma lecture 

Vous vous souvenez que, quand je vous racontais que Georges Brassens et René Fallet disaient que pour être de leurs amis il fallait en passer par la lecture de Mon oncle Benjamin, je me demandais si avoir vu le film avec Jacques Brel pourrait suffire ? Eh bien j’ai la réponse : c’est non, très probablement pas.
Car si Brel y campe un Benjamin idéal, le scénario est loin de restituer la truculence de ce livre au vocabulaire joyeux, aux situations loufoques, aux interminables envolées philosophiques, à l’humour réjouissant, notamment dans les dialogues, dont voici un exemple :
- Prends garde, Page, fit le notaire Arthus, tu n’es qu’un homme de plume, et tu as affaire à un homme d’épée.
- Il t’appartient bien, à toi, homme de fourchette, mangeur de saumon, de parler des hommes d’épée ; pour que tu fisses peur à quelqu’un, toi, il faudrait qu’il fût cuit.
La langue est vive, riche et chantante et, dès la première page, on comprend qu’elle ait tant séduit Brassens. Tillier et lui affectionnent quelques mêmes expressions (on trouve dans Mon oncle Benjamin comme dans Le gorille une « vieille décrépite », et comme dans Le grand chêne des « jours filés d’or et de soie »), et certains personnages auraient toute leur place dans l’univers de Brassens, par exemple ce bailli qui « aurait donné sa femme, ses enfants et son greffier pour un chétif morceau de blason ». Benjamin aussi évidemment, dont il est dit qu’à 32 ans il vivait chez sa sœur, laquelle « lui donnait de bons conseils qu’il écoutait fort attentivement, il faut lui rendre justice, mais dont il ne faisait pas le moindre usage ». Quand Brassens chante le savoir-boire, Benjamin est, lui, décrit comme n’ayant pas été un ivrogne mais « un épicurien qui poussait la philosophie jusqu’à l’ivresse », Tillier concluant en ces mots l’une de ses aventures : « Ainsi finit cette grande expédition, qui coûta peu de sang à l’humanité, mais beaucoup de vin à M. Minxit ». Et puis, à travers Benjamin, Tillier exprime des idées de liberté, d’égalité, d’humanité mais aussi d’irrévérence argumentée et élégante envers la bourgeoisie, la noblesse (Benjamin voue aux nobles une haine qu’il dit « toute philosophique », mais que son beau-frère juge plutôt « toute platonique »), le clergé, qui ne pouvaient que plaire au poète. Et au minimum à tous ses amis, forcément.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :
 

J’adopterai le bon sens implacable. 
Car cela permet aux héros des réparties parfaitement imparables, comme lorsque Benjamin, attaqué sur le décès de certains de ses patients, argue :
À quoi servirait-il que Dieu se donnât la peine de nous envoyer des maladies, s’il se trouvait des hommes qui pussent les guérir ?

J’oserai l’indignation citoyenne. 

Ainsi raisonne Benjamin Rathery :
Il est impossible que vingt millions d’hommes consentent toujours à n’être rien dans l’Etat pour que quelques milliers de courtisans soient quelque chose ; quiconque a semé des privilèges doit recueillir des révolutions. »
Puisse l’Histoire lui (re)donner raison…


!! Attention, le paragraphe ci-dessous dévoile la fin de l’histoire !!

Je m’interrogerai sur les formes d’écriture, tant que j’en aurai le temps. 

Le narrateur, journaliste et pour cela, à ses propres yeux, raté, compare les articles de journaux aux produits culinaires, car ils ont en commun de n’avoir pas de lendemain.
Je ne comprends pas, dit-il, comment l’homme qui a une valeur littéraire consent à perdre son talent dans les obscurs travaux du journalisme ; comment lui, qui peut écrire sur du parchemin, se résout à griffonner sur le papier brouillard d’un journal ; certes, ce ne doit pas être pour lui un petit crève-cœur quand il voit les feuillets où il a mis sa pensée tomber sans bruit avec ces mille feuilles que l’arbre immense de la presse secoue chaque jour de ses branches.
Claude Tillier était journaliste. Mon oncle Benjamin, qu’il a publié un an avant de décéder, à seulement 43 ans, d’une maladie de poitrine, s’achève par ces mots : « À son retour du convoi, mon oncle avait une dizaine de mille francs de revenu. Peut-être verrons-nous plus tard quel usage il fit de sa fortune ». Quelle mauvaise fortune pour nous que Tillier n’ait pas eu le temps de nous le conter…
   
> Mon oncle Benjamin, de Claude Tillier, Librairie Gründ, La bibliothèque précieuse, 1936 (1ère édition 1843), 255 pages.

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