samedi 17 juillet 2010

La théorie des cordes, de José Carlos Somoza


L’histoire
Quand une poignée de physiciens assistés d’étudiants brillants, de paléontologues et d’un théologien trouvent à la théorie des cordes (théorie dite « du tout », visant à réconcilier mécanique quantique et théorie de la relativité générale, mais aussi à unifier les interactions fortes, faibles, électromagnétiques et la gravitation (je sens que j’en largue certains, ahah, on fait moins les malins et on comprend tout de suite mieux l’intérêt de lire Science & Vie là !)) de nouvelles équations permettant d’ouvrir les cordes du temps, et d’ainsi emprunter des fenêtres sur le passé, l’horreur n’est pas loin.

Ma lecture
Il est des bouquins à la lecture desquels on ne peut s’empêcher de penser aux chefs-d’œuvre qu’ils auraient pu être, si seulement ils avaient été plus ceci, avaient montré moins de cela, etc. C’est malheureusement le cas de La théorie des cordes.
À quoi cela tient-il ? À pas grand-chose. À plein de petites choses.
À des personnages forts peut-être, mais qui ne suscitent pas d’empathie, en bonne partie à cause d’allers-retours entre passé et présent des personnages, où les scènes du passé ne sont pas suffisamment dans l’action pour nous embarquer, et trop nombreuses pour permettre aux scènes du présent de compenser.
À un mélange des genres déroutant. On achète un bouquin Actes Sud à la couverture d’un grand classicisme et au titre ultra sérieux. On découvre une première partie qui ressemble à un thriller avec certaines maladresses stylistiques mais au fond scientifique sérieux, nourri, ancré dans le réel (l’auteur va jusqu’à faire intervenir de vrais astrophysiciens, par exemple Stephen Hawking) et non dénué de clins d’œil (le second rôle principal, un physicien fictif brillantissime, invente une théorie dite « du séquoia » et s’appelle Blanes, nom très proche des « branes », ces membranes ou objets étendus de la théorie des cordes). Puis sans prévenir on se retrouve dans de la science-fiction virant au fantastique horrifique, sorte de sous Ça de Stephen King.
Il y a des trouvailles, des idées originales, mais j’ai regretté que le style et le parti-pris scénaristique soient en-deçà des ambitions et efforts de recherches scientifiques. Ça aurait pu être un vrai bon roman...


J’en retiens que dans mon best-seller :


J’éviterai d’aligner les généralités.

Par exemple les phrases du genre : « Comme c’est le cas de tous les grands timides, son discours se fit soudain disproportionné », ou : « La voix de Mme Ross surgit par surprise, comme pour ceux qui parlent rarement ». À plus forte raison si c’est pour employer ces tournures malheureuses !

J’exigerai de mon éditeur une bonne traduction.

Je sais, les gens polis ne balancent pas. Je sais aussi, en tout cas j’imagine, le travail que représente la traduction d’un bouquin pareil, long (600 pages) et avec des longueurs ce qui fait qu’en longueur ressentie c’est pire encore. Reste que si je décidais d’écrire un best-seller en espagnol j’éviterais de le faire traduire par Marianne Millon. Je serais drôlement curieuse de lire la version originale des deux phrases citées dans le point précédent, pour voir si c’est aussi mauvais. Et quand bien même la maladresse de ces phrases précises ne viendrait pas d’elle, on peut certainement lui attribuer les très fréquentes confusions de genres, des « le » à la place de « la », des « il » à la place de « elle », qui font que souvent on a du mal à suivre les scènes. Un exemple en page 307, où on lit :
«  Une pensée semblait avoir traversé l’esprit de Carter.
- Je ne vous aurais jamais imaginés si détectives, dit-elle. »
Carter, qui vient de parler, est un homme. Un personnage secondaire, dont on peut très bien avoir oublié à ce moment-là qu’il s’agit d’un homme, auquel cas on est alors complètement perdus dans la lecture.
Et que penser de tournures comme celle-ci : « Sans comprendre leurs propos, le regard d’Elisa, déconcerté, voyageait de l’un à l’autre ». Ainsi donc certains propos échappent au regard d’Elisa ? Hum. Il y a certes de quoi être déconcerté.

Je n’abuserai pas des cliffhangers.

La première fois que José Carlos Somoza écrit : « Elle se trompait lourdement, et il lui restait à peine plus de six minutes avant de le constater », ou encore nous parle de la « culbute horrible et définitive » qu’allait prendre le cours de la vie d’Elisa, on est intrigués et avides de savoir ce qui va se passer. Mais après 500 pages de récit relativement plat, parsemé tous les 6 paragraphes de phrases du genre « Cependant, les choses allaient prendre un tour qu’elle ne soupçonnait même pas. », ou « Des années plus tard, elle en viendrait à penser que, si elle avait soupçonné ce qui l’attendait après ce voyage, elle n’aurait pas pris cet avion, ni répondu à l’appel du portable ce dimanche-là. », ou « Plus que toute autre chose, cette curieuse expression fut son résumé visuel de la journée. Et les événements postérieurs feraient qu’elle ne l’oublierait jamais. », ou « Le moment difficile était venu, et elle le savait », ou « S’il avait raison, si Zigzag était tel qu’il le croyait, alors cela serait bien pire que tout ce qu’ils imaginaient », etc., etc., on n’en peut plus. Quand il s’avère que « l’horreur » tant attendue est des plus banales et prévisibles, on referme le bouquin avec le sentiment d’avoir été copieusement floués.

J’épargnerai à mes lecteurs d’avoir à deviner qui est le personnage duquel j’adopte le point de vue à chaque saut de ligne.
Parce que déjà, c’est complètement dépassé d’adopter un point de vue omniscient. Et surtout parce que l’effet de suspense qui peut se créer la première fois que l’auteur écrit une scène en disant « il » plutôt que Victor ou David ou Tartempion (en commençant par exemple par : « Il était inquiet, sans trop savoir pourquoi. », pour qu’on se dise, oh, mais qui peut-ce donc être qui est inquiet, et pourquoi ?), se transforme en impatience féroce quand Somoza emploie le ressort pour la cinquantième fois, nous faisant systématiquement patienter plusieurs pages avant de nommer son personnage – soit longtemps, longtemps après qu’on ait deviné de qui il s’agit.

J’éviterai de révéler dans mon prologue la clé de l’intrigue.

Car un lecteur peut parfaitement se rappeler ce qu’il a lu dans le prologue. Souvent d’ailleurs il se doute que, si un événement a été placé en prologue, c’est qu’il jouera un rôle important avant la fin de l’histoire, il le mémorise donc d’autant plus. Alors évitons de mettre en place un suspense qui, ô surprise, se révélera dans les dernières pages être lié à un prologue très (trop !) explicite.

Je n’en ferai pas trop sur mon héroïne.

Surtout quand ses actions ou paroles ne sont pas à la hauteur des descriptions que je trace d’elle. Voyez cette description que Somoza donne de son héroïne Elisa dès la deuxième page de la première partie : « une femme jeune et solitaire, à la longue chevelure noire ondulée, dotée d’un visage et d’un corps qui n’auraient pas détonné sur la couverture d’un magazine de mode, mais qui possédait en même temps un esprit analytique et une prodigieuse capacité de calcul et d’abstraction ». Rien que ça. Pourquoi pas. Mais alors on demande à le voir à l’œuvre, cet esprit prodigieux, on attend des répliques plus travaillées que celles de la première gamine (sur le tard) effrontée venue ! Somoza, lui, a visiblement considéré que la seule chose qu’il était nécessaire de démontrer à répétition n’était pas son grand intellect mais plutôt son grand potentiel d’attractivité sexuelle. Facile (encore que, souvent raté d’ailleurs, par exemple quand Victor admire sous son t-shirt « ses seins doux et fermes » à la fois : comment sait-il en regardant le t-shirt d’Elisa que dessous se cachent des seins « doux et fermes » ? Mystère). Et dommage.

J’éviterai les inventions qui pourraient trop vite faire tomber mon livre en désuétude.

Le récit de La théorie des cordes, que Somoza rédige en 2006, se déroule en 2015. Futur très proche. Or ses héros ne se séparent pas de leurs « bracelets-montre-ordinateurs-ultra-plats ». Espérons pour Somoza que de tels gadgets ne tardent pas à voir le jour…

Je serai prudente avec les figures de style.

Quand Somoza écrit « Mais Mendez, soudain, s’était transformé en Colin Craig », ça prête à confusion. Ok, on comprend vite que Mendez ne s’est pas vraiment transformé en Colin Craig, qu’il a juste emprunté les manières brusques de Craig, mais dans un récit de science-fiction on s’attend à tout, y compris aux métamorphoses, alors l’accumulation de telles figures de style rend la lecture ardue.
D’autres figures, sans prêter à confusion, prêtent plutôt à sourire, comme celle-ci : « son estomac se transforma en un poing de pierre ». D’autres encore, plus poétiques, sont tout aussi nuisibles car nous font trop nous attarder sur elles, cassant ainsi le rythme de la lecture et nous déconnectant de l’action à des moments cruciaux, par exemple : « Elle avait tellement peur que sa propre peur la paralysait encore plus, ce qui ne faisait que la développer, dans une sorte de pari où des quantités minimes seraient devenues énormes en raison de la contribution d’un nombre infini de joueurs ». Toujours se rappeler le conseil du Maître du genre (Stephen King bien sûr, qui d’autre ?!) : chaque mot qui ne fait pas progresser l’action est un mot superflu !

J’exigerai que les versions étrangères respectent mon travail.

Car finalement, mon principal problème avec ce bouquin réside dans d’étranges choix de l’éditeur français. Tenez, regardez ces trois couvertures :

La première couv est l’originale, celle de la version espagnole. Le titre est Zig Zag, la pochette fait thriller fantastique. Couverture cohérente. La deuxième est la couv de la version anglophone : titre inchangé, graphisme science-fiction. Couverture différente mais cohérente elle aussi. Et la troisième est la couv de la version française : titre sérieux (« Zig Zag » devient « La théorie des cordes »), éditeur sérieux, illustration sérieuse. Mais bouquin qui n’en vire pas moins au thriller fantastico-horrifique.
Alors, qui est responsable de ma déception, au final ?...

>> La théorie des cordes, de José Carlos Somoza, 2008, Actes Sud, collection Babel, traduit de l’espagnol par Marianne Millon, 600 pages.

1 commentaire:

  1. Excellente analyse! Mais puisque vous usez du futur plutôt que du conditionnel, avez-vous vous donc écrit votre propre best-seller ou est-il en préparation?! Je me refuse à croire que l'omission réitérée du s à la première personne puisse résulter d'une aussi grossière confusion grammaticale, venant d'un aussi fin lettré que vous paraissez être!

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