dimanche 13 mars 2011

Les yeux jaunes des crocodiles, de Katherine Pancol


L’histoire
Les membres de trois générations d’une même famille, avec leurs querelles de castes, leurs rêves et leurs mensonges, évoluent au début des années 2000, certains d’entre eux portés par le soutien des étoiles, d’autres guettés par des crocodiles aux avides yeux jaunes.

Ma lecture

J’ai pris mon temps avant de m’intéresser à la saga de Katherine Pancol. Alors que le troisième tome (Les écureuils de Central Park sont tristes le lundi) sort en version poche, je viens seulement de lire le premier, Les yeux jaunes des crocodiles. J’ai donc pris mon temps. Et pourtant, je n’avais pas conscience d’avoir tardé à ce point. Car de toute évidence je l’ai lu trop tard. Ces jeunes femmes prénommées Joséphine et Josiane, ces pas si jeunes mais pas vieux Marcel, René ou Ginette, ces références à Jackie BKO, Scarlett O’Hara ou aux tableaux d’honneur de l’école, cet argot Belle époque, ces expressions qui n’ont plus cours, c’est net : j’ai lu ce bouquin avec 50 ans de retard, au bas mot !
Sauf que non. Il a été publié en 2006 et l’histoire, si je me fie aux quelques précisions temporelles données au cours du récit, est bel et bien supposée se dérouler dans les années 2000. Alors quoi ? Alors le style est daté. Et est-ce un problème ? Eh bien pas vraiment, si l’on fait abstraction précisément des quelques repères temporels et que l’on aborde ce récit comme étant atemporel.
Ce qui est drôle d’ailleurs, c’est que Pancol elle-même moque le manque de modernité d’un des personnages. Ainsi, à un moment, Joséphine se dit, en contemplant son beau-père Marcel :
Il avait une de ces manières de parler : il employait des expressions qui n’avaient plus cours. Avec lui, on voyageait dans les années soixante, soixante-dix. Ce doit être la seule personne que je connais à dire encore « c’est chouette » ou « ça boume » !
Ce qui est en revanche plus perturbant, c’est le côté très creative writing de l’écriture de Pancol (je sais, de post en post je me répète). On jurerait lire un manuel d’écriture active des dialogues. Elle a probablement appris qu’il faut absolument que l’on sente les corps vivre quand les personnages parlent, alors hop que je t’écris au milieu de ce dialogue-ci que Bérengère fait des boules de miettes de pain, et dans ce dialogue-là qu’Iris écrase rageusement sa tarte avec sa fourchette, et quand les personnages ne mangent pas ils se scrutent le visage en parlant, ou retirent leurs gants, ou se grattent la jambe. Ce qui donne au final des dialogues non pas peuplés d’êtres incarnés, mais alourdis de détails fabriqués et n’apportant rien au récit. C’est si travaillé qu’au lieu de donner spontanéité et vie aux personnages, ça met en exergue le fastidieux labeur de l’écrivain appliqué. Et puis, Pancol écrit, décrit tout sur tout. Les sentiments de chaque personne, le passé de chaque personne. C’est d’ailleurs ce que l’on aime par moments, rentrer dans les détails, tout voir par le trou de la serrure, avoir accès à chaque sentiment, chaque manigance, chaque pourquoi et chaque comment. Mais ça ajoute à la sensation d’une écriture laborieuse.
À un moment, dans le récit, l’un des personnages dit que l’écriture c’est 90% de travail et 10% de talent. Eh bien disons que chez Pancol, les 90% se ressentent très fortement. Néanmoins, curieusement, malgré les longueurs, une fin ultra-prévisible n’échappant ni au pathos, ni au mélo et qui tombe à plat, on poursuit la lecture, on s’attache, on veut connaître la suite. Ainsi quelles que soient les imperfections, c’est une lecture qui fonctionne, paisiblement.


Pour mon best-seller à venir, j’en retiens que :


Je rentrerai rapidement dans le vif du sujet.
L’intrigue des Yeux jaunes des crocodiles est extrêmement lente à se mettre en place, la faute en partie à cet excès de détails que je mentionnais plus haut. Non, on n’a pas besoin de connaître en profondeur chaque aspect de la vie de chacun des personnages. Non, on n’a pas besoin de savoir que chez Shirley, la voisine de Joséphine, « on hume le caramel qui blondit, la pâtisserie qui gonfle, le chocolat qui fond, le caramel qui cristallise, l’oignon qui dore et la poularde qui rissole ». On peut à l’occasion nous montrer ces choses-là, mais nous décrire autant de vies, de personnes sur les cent premières pages, cela ne fait que reporter plus encore le début d’une action qui se fait attendre.

J’adapterai le comportement des personnages à leur âge.
Zoé, 10 ans, parle et se comporte comme une enfant beaucoup plus jeune, de 6 ans tout au plus. Hortense, 14 ans, qui a déjà un corps de jeune fille dont elle sait jouer comme une jeune fille, s’autorise pourtant à grimper sur les genoux de son beau-père comme si elle avait 8 ans. L’accumulation de détails de ce genre fait que l’on peine à croire à certains personnages y compris, du coup, lorsqu’ils se mettent à agir conformément à leur âge.

J’amènerai mes descriptions en finesse.
La spécialité de Pancol, c’est de nous montrer un personnage regarder quelque chose, ou penser à quelque chose, pour mieux pouvoir ensuite nous décrire ce quelque chose.
Elle va par exemple écrire : « Et pendant que Josiane déroulait la vie et la carrière de cet employé qu’il avait à peine remarqué, Marcel Grobz revivait la sienne. », et faire suivre cela d’une longue description de la vie de Marcel. Ou bien elle va écrire, en parlant d’Iris : « Son regard fit le tour de la petite pièce élégante, raffinée, aux boiseries claires où elle aimait se réfugier. », puis va nous infliger une longue description de la pièce. À la page suivante elle va nous dire que les yeux d’Iris se posent sur un tableau, et enchaîner sur une interminable description du tableau.
Le procédé est d’autant plus agaçant qu’employé un nombre invraisemblable de fois, et, l’apprend-on en page 346, de façon parfaitement consciente. En effet, vers la moitié du bouquin, alors que Joséphine réfléchit à la façon dont elle va écrire son roman, elle se dit qu’à un moment son héroïne, Florine, va se retirer dans sa chambre. « Et là, écrit-elle, je décris sa chambre : ses coffres, ses tentures, ses icônes, ses bancs et escabeaux, son lit ». Subtil, dites-vous ?…

J’éviterai de donner mes astuces d’écriture.
À plus forte raison si je les applique dans le bouquin en question. Cela vaut pour les descriptions, comme mentionné juste avant, mais cela vaut aussi pour la façon dont Pancol pratique l’ellipse. En page 364 elle fait dire à Iris, parlant de l’écriture d’un roman : « Tout doit couler, tout doit avoir l’air d’être écrit sans effort pour que le lecteur puisse s’engouffrer et faire son miel. Laisser des trous, faire des ellipses… » Bon vous aurez compris qu’il n’y a pas beaucoup de trous dans Les yeux jaunes des crocodiles, la plupart du temps on sait absolument tout des détails des actes mais également des pensées de chacun. Cependant, entre chaque chapitre Pancol opère une légère ellipse de temps. C’est donc ça, son truc pour que nous lecteurs fassions notre miel… Humhum…
Autre secret de fabrication qu’à sa place je n’aurais pas dévoilé : l’origine de son inspiration. À la fin du bouquin, elle prend la peine de livrer une bibliographie, où l’on découvre qu’elle a lu une douzaine d’ouvrages sur le Moyen âge (époque qui tient une part importante dans le bouquin) ainsi que… 2 articles du New York Times sur les élevages de crocodiles (qui tiennent également une part importante dans l’histoire), les deux publiés en octobre 2004. Et là on se dit qu’elle se moque de nous, qu’elle n’a pas pu se baser uniquement sur la lecture de deux articles du New York Times pour écrire son histoire. Pourtant en page suivante, page de ses remerciements, elle enfonce le clou, en expliquant comment lui est venue l’idée de ses principaux personnages (on apprend qu’Hortense lui est venue d’une silhouette entrevue dans un magasin de chaussures) et où elle confirme « J’ai rencontré les crocodiles à New York dans les pages du New York Times ». Quand on vient de passer plus de 600 pages avec des personnages, cela brise légèrement la magie. Alors si je choisis de délivrer mes recettes d’écriture, je penserai au minimum à le faire en début de bouquin, afin qu’après les lecteurs oublient, et que les derniers mots qu’ils liront du livre ne leur dévoilent pas à quel point mes personnages n’existent pas.

> Les yeux jaunes des crocodiles, Katherine Pancol, Le livre de poche, 2007, 666 pages.

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